Édition du 26 mars 2024

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Europe

Allemagne, élection régionale du Mecklembourg : Un vote anti-réfugiéEs qui approfondit la crise politique

(tiré du site du NPA - https://npa2009.org/)

Contrairement à la France, les élections régionales en Allemagne n’ont pas lieu toutes à la même date, mais une par une ; ou alors elles sont regroupées par deux ou trois. Ces scrutins constituent ainsi, tout au long du mandat d’un gouvernement fédéral (national) et année après année, autant de tests « grandeur nature » pour évaluer l’impact des politiques nationales sur la popularité des partis et forces politiques.

Ce mois-ci, ce sont deux des Etats-régions ou Länder allemands qui votent pour leurs exécutifs régionaux. Le Mecklembourg-Poméranie occidentale, une région pauvre située au Nord-Est de l’Allemagne – en ex-RDA et proche de la frontière polonaise –, est déjà passé aux urnes, dimanche 04 septembre ; son vote sera suivi de celui de Berlin, la capitale qui constitue en même temps un Etat-région et qui s’exprimera le 18 septembre prochain.

A cette occasion, 61,6 % de l’électorat se sont exprimés, dimanche dernier dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale. Ce qui constitue une participation en forte hausse : + 10,1 % par rapport au dernier scrutin comparable en 2011, et selon les commentaires exprimés le soir de l’élection sur la première chaîne de télévision allemande ARD, ce fort recul de l’abstention s’observe essentiellement à cause de la principale formation d’extrême droite : le parti AfD (« Alternative pour l’Allemagne »).

Ce parti, officiellement fondé au printemps 2013, est le grand gagnant de cette élection. Avec 20,8 % des voix exprimées, la nouvelle formation se qualifie d’emblée pour la seconde place, derrière le Parti social-démocrate (SPD) qui maintient sa première place mais perd 5,0 % des suffrages avec 30,6 pour cent. Le parti AfD dépasse ainsi l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de la droite classique auquel appartient Angela Merkel – la chancelière dont la propre circonscription se trouve dans cette région -, relégué à la troisième place avec 19,0 % et une perte sèche de 4,0 %.

En réalité, le parti d’extrême droite gagne des électeurs & électrices en phagocytant à peu près toutes les autres forces politiques, tout en puisant en même temps dans le réservoir des ancienNeS abstentionnistes. Sur environ 180.000 voix obtenues au total par le nouveau parti, 55.000 à 56.000 viennent ainsi d’électeurs et électrices n’ayant pas participé au dernier scrutin. 22.000 ou 23.000 de voix, selon les sources, viennent de la droite classique (CDU) ; 20.000 parviennent du parti néonazi NPD, jusqu’ici représenté au parlement régional mais qui le quitte désormais, puisque le NPD chute de 6,0 % (score obtenu en 2011) à 3,0 %, ce qui le prive de ses mandats.

Le NPD (fondé en 1964 en fusionnant plusieurs petits partis résidus du nazisme) représente une extrême droite « moins complexée », c’est-à-dire plus affichée et plus dure que le parti AfD. Mais les frontières entre les deux formations ne sont pas étanches. Ainsi dans la semaine avant l’élection, le co-président de ce dernier parti à l’échelle fédérale (nationale), Jörg Meuthen, a-t-il déclaré que si le parti néonazi concurrent – le NPD – présentait des « propositions raisonnables » au Landtag ou parlement régional, sa formation allait voter pour celles-ci. Jusqu’ici, l’ensemble des grands partis politiques avait adopté une ligne de boycott de toutes les initiatives parlementaires venant du NPD.

Meuthen lui-même, élu au parlement régional du Bade-Wurttemberg (sud-ouest de l’Allemagne), sort à peine d’une crise politique qui a temporairement fait exploser le groupe parlementaire dans cette région. Un élu, Wolfgang Gedeon, avait cru bon de citer le célèbre faux antisémite intitulé « Les Protocoles des sages de Sion » comme une source prétendument sérieuse, dans un de ses livres récents. Gedeon, un fou-furieux politique qui a d’ailleurs été un militant maoiste-stalinien dans les années 1970, a fini par être exclu du groupe en juillet 2016, mais après de multiples tergiversations et après une scission du groupe d’élus régionaux... dont un tiers avaient refusé de sanctionner l’élu antisémite par une exclusion. A l’heure actuelle, le parti AfD possède ainsi deux groupes d`élus séparés, au parlement régional du Bade-Wurttemberg situé à Stuttgart. Mais une réunification du groupe est désormais prévue pour se faire septembre. L’affaire avait gravement nui au parti AfD à court terme parce que, si le racisme à l’encontre des immigréEs et réfugiéEs a bien trouvé sa place dans le paysage politique allemand (de la manière la plus ouverte avec le parti AfD mais pas uniquement là), l’antisémitisme reste largement frappé d’un tabou, dans ce pays, pour des raisons historiques évidentes. Or, la crise interne du parti semble désormais surmontée, sans lui nuire durablement. A l’échelle fédérale (nationale), le parti AfD, qui avait fortement chuté au début de l’été 2016, est désormais remonté à 12 % des intentions de vote et a ainsi dépassé Les Verts (à 11 %), mais aussi Die Linke, le parti de gauche taxé de 9 % des intentions de vote à l’échelle fédérale (plus en ex-Allemagne de l’Est, bien moins à l’ouest).

Mais au Mecklembourg-Poméranie occidentale, la totalité des voix nouvellement attirées par le parti AfD ne parvient pas de la droite et de l’extrême droite (CDU et NPD), ensemble avec les ex-abstentionnistes. 15.000 à 16.000 des voix désormais exprimées pour AfD proviennent aussi d’anciens électeurs et électrices du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) ; et, bien pire, 16.000 ou 18.000 de ces voix – selon les sources - correspondent à d’ancienNeS électeurs et électries du parti de gauche Die Linke. Ce dernier chute d’ailleurs gravement, en passant de 18,4 % des voix (en 2011) à 13,2 %, dans une région qui fut l’un de ses fiefs et où son prédécesseur (le « Parti du socialisme démocratique », PDS) a d’ailleurs participé au gouvernement régional dans le passé, entre 1998 et 2006. Die Linke n’apparaît, visiblement, plus comme une expression crédible du mécontentement social aux yeux de beaucoup.

Le thème qui a pris le dessus sur tous les autres, au cours de cette campagne, fut celui de l’accueil des migrantEs et réfugiéEs, doublé d’un débat largement fantasmagorique sur la place de l’islam. Ce dernier étant incarné, pendant plusieurs semaines de campagne au mois d’août, par un pseudo-débat sur la burqa, mené en premier lieu par le ministre de l’Intérieur Lorenz Caffier (CDU) – par ailleurs tête de liste du parti au scrutin de dimanche -, alors même qu’aucune burqa ne semble avoir été vue sur place.

Dans l’électorat, 53 % des personnes interrogées ont cité « la justice sociale » comme décisive à leurs yeux, et 20 % ont cité « l’afflux de réfugiés ». Mais interrogéEs sur leur attitude vis-à-vis du dernier sujet, 62 % des interrogéEs (et 96 % parmi les électeurs et électrices du parti AfD) déclarent ainsi « craindre que l’influence de l’islam ne devienne trop forte » ; 47 % déclarent « avoir peur du fait qu’un tel nombre de réfugiés est venu en Allemagne », alors que 43 % y voient tout de même aussi « un enrichissement ».

Le SPD, qui gouverne la région du Mecklembourg-Poméranie occidentale avec la CDU dans le cadre d’une « Grande coalition » (celle-ci devrait continuer à gérer la région), avait commencé à critiquer sur sa droite la chancelière Angela Merkel, à propos de sa décision de fin août 2015 de laisser entrer au pays les migrantEs se trouvant en Grèce et sur la « route des Balkans ». Sigmar Gabriel, chef du SPD et ministre de l’Economie et des finances dans le cadre de la « Grande coalition » qui gouverne aussi à l’échelle fédérale, avait commencé par critiquer la phrase de Merkel de l’époque : « Wir schaffen das ! » (« Nous allons réussir cela ! », se référant à l’accueil et à l’intégration des réfugiéEs). Mais sa récente critique était ambiguë, pouvant laisser entendre parfois que Merkel avait autorisé trop de migrantEs à venir, mais parfois plutôt qu’il aurait fallu affecter plus de moyens pour l’accueil de ces migrantEs, pour des cours de langue allemande etc. Son collègue de parti Erwin Sellering, président sortant de la région du Mecklembourg-Poméranie occidentale, avait cependant plus clairement demandé une limitation du nombre de migrantEs entrant dans le pays, avant le scrutin régional ; tout en déclarant que son parti, le SPD, devait se battre pour les voix des électeurs tentés de voter pour le parti AfD.

C’est rarement ainsi, en leur faisant de très importantes concessions idéologiques, qu’on a réussi à endiguer la montée des partis racistes et d’extrême droite…

Bertold du Ryon

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