Édition du 16 avril 2024

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Europe

Allemagne : la tempête se lève – Le congrès du SPD et la formation d’une coalition gouvernementale

Ce fut de justesse. Trois ou quatre pour cent de moins et le congrès du SPD (social-démocrate) n’aurait pas autorisé l’ouverture de discussions en vue de former une grande coalition gouvernementale avec Merkel. Retour sur les éléments clefs de ce congrès.

Tiré de Europe solidaire sans frontière.

L’appui des grandes fédérations régionales de la Rhénanie-Westphalie du Nord ou de la Hesse a été obtenu grâce à l’intégration de trois revendications centrales dans les négociations à venir :

• une réglementation plus généreuse des allocations familiales pour les réfugié·e·s provisoirement admis ;

• la suppression des contrats de travail à durée déterminée sans raison objective, en particulier pour les jeunes ;

• l’harmonisation des honoraires pour les patient·e·s de l’assurance-maladie publique et de l’assurance privée (de telle manière qu’il ne soit pas plus lucratif pour les médecins de soigner ces derniers).

Pour les dirigeant·e·s de ces fédérations régionales, c’était la clef pour approuver la poursuite des négociations. En revanche, les Jeunes socialistes (Jusos) sont restés fidèles à leur opposition à la grande coalition (Groko). Il est intéressant de voir que les résistances à la Groko sont venues principalement de villes et de régions comme Dortmund, Stuttgart, la Hesse et de quelques régions de l’Est (la Saxe-Anhalt, la Thuringe, Berlin).

Les premières s’appuient sur une classe de travailleurs·euses qualifiés bien payés, les secondes connaissent en partie une coalition avec Die Linke. Les Jusos auront été les orateurs du Non à ce congrès, les personnalités du SPD qui avaient auparavant critiqué les résultats des discussions préalables ne s’étant pas manifestées à la tribune. Il existe un profond malaise dans le SPD, qui pour l’instant n’a pas encore trouvé son porte-parole.

A ce jour, les résultats des discussions préalables contiennent des reculs politiques patents, comme la décision de ne pas respecter les objectifs climatiques, ou encore le plafonnement de l’accueil des réfugié·e·s, leur encasernement dans des centres d’hébergement et le refus des allocations familiales pour les réfugié·e·s provisoirement admis. D’un autre côté, il y a aussi une tentative de satisfaire un peu la clientèle du SPD, puisque les ménages à moyen et bas revenus, surtout s’ils ont des enfants, sont dégrevés.

A qui profite la Groko ?

A la demande de la Süddeutsche Zeitung, un groupe de chercheurs du Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung (ZEW) et de l’Institut für die Zukunft der Arbeit (IZA) a calculé ce que rapporterait financièrement la Groko aux ménages allemands. Le résultat est qu’aussi bien les gens à faible revenu (la clientèle du SPD) que les couches moyennes (courtisées tant par le SPD que par la CDU) en profiteraient surtout. […]

Une chose est certaine : du point de vue des revenus, la Groko est meilleure que l’ancienne tentative de coalition Jamaïque (noir, jaune et vert : libéraux, chrétiens-­démocrates et Verts). La direction du SPD a abondamment mis en avant ces « succès » lors du congrès extraordinaire sur la coalition.

Mais il semble que cela ne soit plus suffisant. Mises en pleine lumière, ces quelques centaines d’euros qui tomberaient en plus chaque année (et qui sait par quoi ils seront absorbés…) apparaissent ridicules comparées aux milliards dont les nanti·e·s et les hauts revenus se gavent. On ne peut en aucune mesure parler d’une vraie correction de l’inégalité de répartition des revenus et de la fortune, pourtant si nécessaire. La coalition ne procède à aucun changement fondamental de la politique fiscale, bien que les caisses de l’Etat fédéral soient pleines à ras bord et que le réacteur de la conjoncture vrombisse.

Par ailleurs, hormis la suppression des contrats à durée déterminée sans raison objective – qui ne figure pas encore dans l’accord de coalition – aucune mesure susceptible de modifier les dégradations structurelles n’est envisagée. Ces détériorations, qui résultent d’une décennie de privatisations et de dérégulations, du marché du travail surtout, ont dramatiquement altéré la situation des salarié•e•s. Cela a commencé avec l’Agenda 2010, suivi du pillage des caisses de retraite et de la déprédation du système de santé publique. La pression sur les salaires, sur les loyers, sur les conditions de travail persiste. Dans la période gouvernementale précédente, il y a au moins eu le salaire minimal, aussi insuffisant soit-il.

Si la direction du SPD avait voulu défendre, comme condition de la coalition ou pour tolérer celle-ci, son assurance-maladie citoyenne – avec la même pugnacité que la CSU a fait passer sa politique anti-réfugiés – alors il aurait conquis les cœurs, mais il n’a pas osé le faire.

Ce que contient l’accord issu des discussions préparatoires n’est pas suffisant pour sa base qui, après les derniers résultats électoraux, catastrophiques, a le sentiment de s’être fait avoir. Les déclarations d’intention de la direction ne fonctionnent plus. Une grande partie des membres estime que les résultats des discussions préparatoires ne sont pas assez contraignants et que les ministres SPD finiront par s’incliner. La base ne fait plus confiance à l’orientation de sa direction. Elle a bien assez de raisons pour cela.

Des partis groggy

L’Union démocrate-chrétienne déclare fermement qu’il n’y a pas de nouvelles négociations possibles.

Difficile de savoir pourquoi. Veut-elle laisser tomber la Groko et faire confiance à Dobrindt, (membre de la CSU bavaroise, ancien ministre des transports, président du groupe parlementaire de la CSU ; il est le représentant de la droite dure) plutôt qu’à Merkel ? Veut-elle rabaisser encore davantage le SPD (un jeu risqué, aussi) ? Ou encore, subit-elle la pression de sa base en vue d’imprimer une orientation conservatrice à la nouvelle coalition ?

La CSU (Union chrétienne-­sociale), alliée bavaroise et conservatrice de la CDU de Merkel, est celle qui a perdu le plus lors des dernières élections au Bundestag, mais c’est elle qui s’exprime le plus durement et avance les propositions les plus à droite. Poussée par la crainte de voir le succès électoral de l’AfD, parti xénophobe, se répéter lors des élections régionales en Bavière cette année, elle bouscule le SPD sans égard pour les dégâts. L’électorat de la chancelière n’attend plus d’elle qu’elle forme une coalition pour la mener ensuite à bon port à travers la tempête, mais lui demande au contraire qu’elle se batte plus durement dans la lutte pour la répartition des richesses.

Merkel est ainsi soumise à une pression massive de sa droite et la modération n’est pas utile dans ce cadre. Elle doit avoir le courage de défendre offensivement les glissements à gauche qu’elle a imposés à la CDU ces dernières années, contre cette coterie de droite. Mais elle ne le peut pas – toute sa science s’est évaporée et le nouveau gouvernement promet d’être au mieux une foire d’empoigne.

A l’inverse de la précédente, cette coalition, quelle que soit sa forme, sera bien davantage soumise à des pressions et des attentes contradictoires. Merkel (CSU), Schulz (SPD), Seehofer (CSU) sont tous groggy. Dans leur parti respectif, des affrontements sont prévisibles, qui s’exprimeront aussi dans les syndicats. La direction du syndicat de l’alimentation et de la restauration (NGG) a adressé au président de la faîtière syndicale DGB, Reiner Hoffmann, une lettre ouverte critiquant son appui à la Groko. Ce n’est certainement qu’un hors-d’œuvre. Cela créera de nouvelles marges de manœuvre pour les mouvements sociaux, leur permettant de faire de la protestation sociale un acteur autonome et fort. C’est la chance à ne pas rater pour la gauche, qu’elle s’appelle ou non Die Linke.

Angela Klein

* « solidaritéS » (Suisse), n° 322 (01/02/2018) p. 11-12 :
https://www.solidarites.ch/journal/d/article/8502
* Traduction et édition : Daniel Süri.

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