Tiré du journal Le Temps.
« J’ai été licencié 48 heures après avoir annoncé mon apostasie »
Ce combat est partagé par Pao Raffetta, 34 ans, un des pionniers en matière d’apostasie. Aujourd’hui enseignant dans une ONG, il s’est fait débaptiser en 2009, alors qu’il travaillait depuis dix ans dans une école liée aux jésuites. « J’ai été licencié 48 heures après avoir annoncé mon apostasie. J’ai pris ma décision pour deux raisons. D’une part, le refus de l’Eglise de reconnaître les droits des homosexuels et plus généralement de la communauté LGBT. D’autre part, la complicité de l’Eglise avec la dictature et les disparitions de bébés. J’ai donc considéré que cette institution ne me représentait pas. Après avoir changé de sexe et de nom en 2016, je me bats pour que l’Eglise efface toutes les données me concernant », témoigne Pao Raffetta.
De son côté, Emiliano Ramirez, 41 ans, employé au sein du pouvoir judiciaire de Buenos Aires, affirme avoir pris la décision de se séparer de l’Eglise depuis longtemps. Mais le refus de la loi sur l’avortement a agi comme un déclencheur. « Avec ma femme, nous avons contacté la CAEL et avons trouvé avec cette organisation un moyen de concrétiser notre volonté de quitter l’Eglise. Comme la majorité des Argentins, nous ne sommes pas des catholiques croyants et n’allons pas à l’église. Nous n’avons aucun lien avec cette institution. Il n’y a donc aucune raison d’en faire partie. D’ailleurs, mon baptême résulte du désir de mes grands-mères, pas de mon propre choix », relève-t-il. Pour lui, le baptême est une question de génération. Ses trois filles ne sont pas baptisées, les enfants de tous ses amis non plus. « La réalité, c’est que la jeune génération ne va pas à l’église », observe Emiliano Ramirez.
Toutes les tranches d’âge concernées
Quant à Lau Rameri, psychologue de 33 ans, elle a décidé de se faire baptiser il y a dix ans. « Ma sœur aînée m’a demandé de devenir la marraine de son fils. Mon baptême a été une décision d’amour », raconte-t-elle. Mais les choses ont changé avec le refus de la légalisation de l’avortement. « Avec cette question qui concerne le droit de la femme, je me suis rendu compte du rôle de l’Eglise. Dans le débat sur l’avortement, sa position constitue une ingérence dans la politique de santé de l’Etat. L’Eglise a culpabilisé les femmes et j’ai trouvé cela extrêmement moche, alors que l’avortement clandestin provoque des décès », relève la psychologue. Pour elle, la position de l’Eglise n’est pas intelligente, elle ne représente pas ses idées. Elle s’est alors retrouvée dans la CAEL, à suivre le slogan de l’apostasie collective « No en mi nombre » (« Pas en mon nom »). « J’ai décidé d’apostasier samedi dernier », confie-t-elle.
Preuve que le mouvement d’apostasie collective concerne toutes les tranches d’âge : Nora Cortiñas, 88 ans, a suivi le mouvement. Symbole de la lutte pour les droits humains en Argentine après avoir perdu son fils durant la dictature, l’octogénaire confie avoir pris sa décision d’apostasier subitement. « Je suis une catholique croyante et je n’avais jamais pensé à l’apostasie. Mais le jour de la votation de la loi sur la légalisation de l’avortement, le cardinal Poli a donné une messe pour qu’elle ne passe pas. C’était un comble pour moi. C’était la goutte qui a fait déborder le vase, alors que des femmes, surtout les pauvres, meurent des suites d’un avortement. L’Eglise doit être saine, rester discrète. J’accepte qu’elle ne permette pas l’avortement, car c’est son dogme. Mais de là à s’impliquer, non. Cela ne me plaît pas », proteste la cofondatrice de l’association Les Mères de la place de Mai.
Pour César Rosenstein, le mouvement d’apostasie collective se poursuivra ailleurs en Amérique du Sud. Prochainement, assure-t-il, le Pérou, le Chili et l’Equateur suivront l’Argentine.
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