Édition du 16 avril 2024

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Élection de Donald Trump

Après l’élection présidentielle aux Etats-Unis : Construire la gauche pour défaire la droite

Comme des millions de personnes ici et dans le monde, nous nous sommes réveillés ce matin consternés et effrayés par l’élection de Donald Trump à la présidence. Quoi que nous pensions du Parti démocrate et de Hilary Clinton, personne d’entre nous ne voulait croire qu’un si grand nombre d’électeurs pourrait se résoudre à voter pour Trump. Sa victoire s’inscrit dans un schéma global d’une droite populiste ascendante, à la suite d’un vote tout autant inattendu en faveur du Brexit au Royaume-Uni et, de même que le Brexit, elle est célébrée en Europe par les dirigeants de l’extrême droite nationaliste, comme Marine Le Pen.

Résultats du sondage « sortie des urnes » (23583 répondants)

Le résultat de cette élection est en partie une expression de la suprématie blanche, sans aucun doute. Mais il est plus que cela : de nombreux commentateurs ont déjà souligné que les États industriels en ruines, qui ont sans doute privé Clinton de la victoire, étaient des zones où Obama a obtenu bien plus de votes d’électeurs blancs en 2008 et en 2012 que Clinton en 2016. Cela ne permet pas de suggérer que les résultats sont simplement le produit du racisme des électeurs blancs. Le fait est que les politiques néolibérales de la classe dirigeante ont dévasté les vies et les communautés des travailleurs partout dans le pays et dans le monde. Et Hilary Clinton est à juste titre considérée par beaucoup comme l’incarnation de cet establishment de la classe dirigeante. Pour beaucoup de Blancs, le ressentiment qui en résulte prend la forme d’une colère raciste et xénophobe, mais ses causes sont plus profondes. Pour surmonter le contrecoup raciste la gauche a la légitimité pour attaquer à ces causes profondes.

Da façon tragique, alors que l’establishment républicain a perdu le contrôle de son parti au profit du populisme d’extrême droite de Donald Trump, les Démocrates ont doublé la mise du néolibéralisme. Le Comité national démocrate (DNC) a utilisé tous les outils à sa disposition pour assurer que Bernie Sanders – un candidat populiste qui dans presque tous les sondages était donné en meilleure posture face à Trump que Hilary Clinton et qui avait abordé bon nombre de problèmes économiques qui ont nourri Trump – ne puisse remporter la nomination. Ayant pavé la voie pour une candidate dont quasiment personne ne pouvait se satisfaire, le Parti démocrate a fait une campagne de droite, considérant acquis les votes de la gauche et des personnes de couleur et cherchant à gagner les électeurs conservateurs. Il y a des preuves que le DNC a même encouragé la victoire de Trump lors des élections primaires, faisant l’hypothèse qu’ainsi la victoire sera plus facile lors de l’élection générale, permettant aux Démocrates de capturer les votes conservateurs moins motivés par le racisme.

En même temps, le Parti Vert (Green Party) – la plus visible alternative à gauche des Démocrates – semble avoir obtenu à peine 1 % des voix dans la course à la présidence. Un résultat décevant pour ceux qui veulent construire les Verts en tant que parti de gauche – ils parlaient d’un objectif de 5 % – et totalement insignifiant par rapport au nombre de Démocrates et d’indépendants qui ont boudé l’élection ou, pire, ont quitté le navire pour voter Trump.

Pour le dire simplement : dans la politique étatsunienne il y a un vide à gauche. Aucune analyse sérieuse ne permet de conclure que l’aile présidentielle du Parti démocrate représente quelque chose de plus que, au mieux, un néolibéralisme calculateur à visage humain. C’est précisément cette politique qui a générée le mécontentement populaire massif visible dans toute la société et dans toutes les parties du spectre politique. La promotion d’« encore plus de continuité » et la destruction de tous les espoirs ne fournit aucune solution et l’absence de n’importe quelle alternative de gauche a garantit que le mécontentement soit canalisé à droite, au moins en termes électoraux.

Nous devons vaincre le programme d’extrême droite de suprématie et nationalisme blanc que représente Trump. Nos vies en dépendent, littéralement. Mais la seule façon de vaincre la droite c’est de construire la gauche. Nous ne pouvons pas gagner cette lutte en construisant une unité plus large autour des candidats choisis par la classe dirigeante et de leur programme néolibéral. Même si la crainte du pire avait mobilisé assez de gens pour faire gagner Clinton dans cette élection, ou même si elle le fait pour une candidature similaire en 2020, ce ne serait que gagner du temps alors que la droite continuerait à se renforcer. Cela ne nous donnerait pas la force dont nous avons besoin pour gagner et costruire un monde meilleur.

Pour ce faire, nous devons nous organiser. Nous devons créer une force politique vraiment indépendante qui donne à la gauche les moyens d’intervenir de manière significative dans la politique électorale, en commençant par le niveau local. L’alliance progressiste de Richmond – qui a remporté hier deux sièges de plus au Conseil municipal, s’assurant ainsi une large majorité dans la gestion de la ville [1] – est un exemple de ce à quoi pourrait ressembler un tel pouvoir électoral de base – une façon de s’impliquer dans ce type de travail est d’assister à la conférence des élus de gauche à Chicago, du 3 au 5 mars 2017 [2]. La défaite lors du référendum dans l’État de Massachusetts de l’initiative, très largement financée, d’élargir les écoles privées, grâce à la mobilisation d’une coalition autour du syndicat des enseignants, est un autre exemple encourageant sur ce que nous pouvons faire contre le programme néolibéral de privatisations.

Nous devons soutenir et construire le Mouvement for Black Lives [3], comme les efforts de lutte en solidarité avec Standing Rock Sioux contre l’oléoduc Dakota Acces Pipeline [4], les groupes pour les droits des migrants et les autres organisations, qui seuls peuvent construire la force de ceux qui sont les plus vulnérables face au programme de Trump et aux agressions de ses partisans d’extrême droite. Il est également vital que nous construisions une organisation rénovée de la classe ouvrière, comme le syndicalisme de la justice sociale dirigé par en bas, mais aussi des formes nouvelles et novatrices d’organisations, capables d’unifier les travailleurs par la solidarité de classe et briser l’influence des récits racistes de droite sur la classe ouvrière blanche.

Finalement, nous devons construire une organisation révolutionnaire. Car la solution pour mettre fin à l’éventail terrifiant des forces auxquelles nous nous confrontons aujourd’hui dans le monde ne peut être rien de moins que le renversement du capitalisme et de la suprématie blanche et hétéro-patriarcale qui l’étayent et façonnent ses impacts. Nous ne gagnerons pas un monde socialiste sans organisation socialiste. Nous encourageons vivement toutes celles et tous ceux qui s’engagent dans la lutte pour un monde juste à contacter, rejoindre et aider à construire une organisation révolutionnaire, que ce soit Solidarity ou un autre groupe.

Aujourd’hui, nous craignons tous ce qui peut arriver après la victoire de Trump. Nous devons en débattre avec nos amis, familles et camarades pour préserver notre bien-être émotionnel et physique. Mais nous ne pouvons pas attendre les jours meilleurs pour reconstruire une gauche anticapitaliste dynamique, capable de lutter et de gagner. Nous sommes tout à fait d’accord avec ces mots sur tant de lèvres aujourd’hui : ne pas pleurer, organiser !

Le Comité exécutif de Solidarity

* Traduit de l’anglais par JM pour Inprecor

* Solidarity (Solidarité) est une organisation socialiste, féministe et antiraciste aux États-Unis, au sein de laquelle militent les membres de la IVe Internationale et qui a le statut d’observateur permanent au sein de son Comité international.

Notes

1- L’alliance progressiste de Richmond (RPA) dispose actuellement de 5 conseillers municipaux sur 7. Le 8 novembre les électeurs de Richmond (une ville industrielle dans la région de la Baie de San Francisco de plus de 100 000 habitants) ont également voté en faveur de l’établissement d’un conseil des loyers et de la fixation d’un loyer maximal admissible pour les unités résidentielles à loyer contrôlé, fixant une augmentation annuelle maximale admissible des loyers pour la plupart des unités résidentielles et interdisant aux propriétaires d’expulser les locataires sans motif valable. Cette mesure a été approuvée par 12 837 votes (contre 7 114), soit une majorité de 64,34 %.

2- Voir (en anglais) : https://leftelect.net/

3- Mouvement for Black Lives (Le mouvement pour les vies noires) est une coalition de plus de 50 organisations (dont Black Lives Matter network, la Conférence nationale des juristes noirs, le Centre pour les droits humains Ella Baker…), créé en 2016 en réponse à la violence dont sont victimes les communautés noires, exigeant la fin de la guerre menée contre les Noirs, des réparations pour les victimes, la justice économique, l’autogestion communautaire et le pouvoir politique.

4- Long de 1825 km, l’oléoduc Dakota Acces Pipeline de l’entreprise Energy Transfer Partners, en construction, doit traverses les territoires amérindiens, passer sous la rivière Missouri, touchant la réserve indienne de Standing Rocks dans l’État de Dakota. A l’initiative des amérindiens et des militants environnementaux, un mouvement de masse s’oppose à cette construction qui a déjà détruits plusieurs sites sacrés sioux et risque de polluer l’eau dont ils s’abreuvent. Les manifestations de protestation sont violement réprimés (ainsi 141 manifestants ont été arrêtés le 27 octobre dernier par des équipes antiémeutes avec des véhicules blindés).

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