Édition du 26 mars 2024

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Argentine, le niveau de vie des milieux populaires et des classes moyennes se dégrade

Loin des satisfecits internationaux décernés au président Mauricio Macri, en Argentine, le niveau de vie des milieux populaires et des classes moyennes se dégrade. Mise au point par le GRECAL, le Groupe de Réflexion et d’Etudes Critiques sur l’Amérique Latine.

Le concert de louanges adressé au président argentin Mauricio Macri pour sa politique économique, auquel a notamment participé la directrice générale du Fonds monétaire international Christine Lagarde, contraste radicalement avec une toute autre musique, de plus en plus omniprésente en Argentine.

C’est un refrain de sept mots, scandé sur un hymne de stade, qui est rapidement devenu le « tube de l’été » et la terreur du gouvernement argentin. Entonnée pour la première fois lors d’un match de foot il y a quelques semaines, la chanson s’est répandue comme une traînée de poudre. D’autres stades ont suivi, puis elle a débordé le milieu du football : elle inspire des musicien·ne·s de rue, interrompt des concerts et des cortèges de manifestant·e·s la reprennent en choeur : « Mauricio Macri, la puta que te pario » (“fils de pute”). Le 8 mars, des manifestantes l’ont adaptée dans une version plus féministe  : « Mauricio Macri, la yuta que te pario » (“la flicaille qui t’a enfanté”).

Malgré la longue pause estivale du gouvernement et le soutien inconditionnel des principaux médias du pays, la brutale répression des manifestations contre la réforme des retraites et les cacerolazos spontanés (manifestations rythmées par un concert de casseroles, forme emblématique de la mobilisation populaire en Argentine) qui ont clôturé l’année 2017 ont affecté la popularité du gouvernement en ce début d’année 2018. La coalition au pouvoir, qui a remporté de justesse les élections législatives d’octobre dernier face à une opposition divisée, ne peut plus fonder sa communication sur des promesses floues et sur le supposé « lourd héritage » laissé par les précédents gouvernements Kirchner. Néanmoins, et en dépit d’indicateurs économiques en berne, le discours du président Macri lors de l’ouverture de l’année législative s’est voulu résolument optimiste. Répétant son slogan de campagne comme un mantra « Si, se puede » (“si, c’est possible”), il a remercié à plusieurs reprises l’effort « de tous les Argentins », se félicitant de l’arrivée d’une mystérieuse « croissance invisible » et annonçant qu’il allait poursuivre dans cette voie, freiner l’endettement et multiplier les investissements.

Une conjecture économique fragile

Pourtant, c’est la conjoncture économique qui fragilise aujourd’hui l’image de Mauricio Macri dans l’opinion. L’inflation et les mesures dites d’austérité commencent à affecter sérieusement le pouvoir d’achat des ménages.

Dès sa victoire aux présidentielles en décembre 2015, Mauricio Macri avait annoncé qu’il allait mettre fin au contrôle des changes, qui encadrait jusqu’alors marché du peso argentin. Il s’agissait d’initier la réouverture complète de l’économie argentine au marché global, en supprimant les mesures protectionnistes du gouvernement précédent. Rapidement, cette libéralisation a favorisé une inflation que le président prétendait pourtant juguler. En effet, l’ouverture du marché des devises a entraîné une dévaluation du peso argentin de l’ordre de 30%, ce qui signifiait un renchérissement des importations dans les mêmes proportions. Outre la hausse générale des prix, cette mesure a engendré une diminution de la rentabilité des placements libellés en pesos. De nombreux investisseurs ont alors cherché à les revendre contre des dollars : la dévaluation du peso s’est aggravée et les prix ont poursuivi leur ascension. Une fois la mécanique lancée, la plupart des acteurs du système économique ont nourri l’inflation, en voulant s’en protéger par une augmentation anticipée des prix. En 2017, le niveau général de l’inflation s’est ainsi établi autour de 25%, affectant lourdement les conditions de vie de la population.

Pour enrayer cet engrenage, la Banque Centrale argentine a augmenté ses taux directeurs, mesure qui a généralement pour effet de limiter la création monétaire par le crédit bancaire et qui doit, théoriquement, réduire l’inflation. Cependant, l’élévation des taux d’intérêts des emprunts bancaires, qui renchérit les investissements, a ralenti l’économie - tout comme la baisse du pouvoir d’achat provoquée par l’inflation. Par ailleurs, pour endiguer la dévaluation, cette même Banque Centrale a acheté des pesos et vendu des dollars, ce qui a accru la fuite de devises, provoquée notamment par le déficit de la balance commerciale. Il a alors fallu limiter la valorisation du dollar face au peso et reconstituer le stock de devises nationales, ce que le le gouvernement a fait en s’endettant en dollars sur les marchés financiers.

Or, le creusement de la dette permet au gouvernement Macri de justifier la réduction des dépenses publiques. Les retraites ont été la première cible de cette politique, qui touche presque l’ensemble des services publics et prestations sociales.

Des promesses non tenues

Ainsi, malgré le discours volontariste du ministre de l’éducation Alejandro Finocchiaro, récemment reçu par Jean-Michel Blanquer, l’école publique n’est pas épargnée. Les promesses de campagne sur la rénovation des bâtiments scolaires et la nécessaire construction d’écoles maternelles et primaires sont restées lettre morte. Une vaste réforme entend transformer l’éducation, du primaire au supérieur. Les mesures sont très nombreuses, depuis l’introduction de longs stages en entreprise dans le secondaire jusqu’à la limitation de l’autonomie académique des universités publiques, à travers un complexe système de bourses.

En revanche, les moyens financiers promis tardent à arriver. Si au niveau national cela implique de regrouper les élèves en multipliant leur nombre par classe, dans la province de Buenos Aires - dirigée par María Eugenia Vidal, une proche de Macri - les politiques fédérales et provinciales coïncident : les fermetures d’écoles se multiplient et concernent par exemple les écoles du soir, les écoles rurales et celles du delta du Paraná, à Tigre. Ce sont aussi les revenus des enseignant·e·s, salarié·e·s par les Provinces, qui sont lourdement affectées. Depuis deux ans, les résultats des négociations paritaires sur les salaires, très inégaux à travers le pays, ne compensent en rien l’inflation, ce qui a provoqué de nombreuses manifestations et grèves, et une dégradation des conditions d’enseignement dans un système scolaire public déjà fragile.

La situations des hôpitaux, notamment, n’est pas meilleure : c’est l’ensemble des services publics et des mécanismes de redistribution sociale qui sont affectés. Ainsi, l’inflation et ces attaques contre un état social argentin affaibli se traduisent par une dégradation des conditions d’existence de nombreux·ses argentin·e·s, et en particulier des secteurs les plus populaires.

Malheureusement, les politiques de l’administration Macri ne sont pas sans rappeler celles de son homologue français, Emmanuel Macron, avec lequel il partage donc, en plus d’une homophonie approximative, la volonté de réduire les dépenses publiques allouées aux droits qui fonde l’état social, comme l’éducation ou la santé. Raison supplémentaire, s’il en était besoin, d’analyser avec attention la société argentine

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