Édition du 16 avril 2024

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Europe

Avis de tempête au Front National

Des lendemains qui ne chantent pas.

Déstabilisé par sa défaite à l’élection présidentielle, que Jean-Yves Le Gallou (ex FN, ex MNR) qualifie de « fiasco intégral », le Front national voit les difficultés s’amonceler. Le vaisseau frontiste tangue et les couteaux sortent du placard. Marine Le Pen semble affaiblie : cacophonie sur la question de l’Euro, retraite de Marion Maréchal Le Pen, ratage du face à face avec Emmanuel Macron (Marine Le Pen semblait bien loin du slogan « La France apaisée ») , fronde contre Florian Philippot et son équipe accusée de sectarisme, vie interne sclérosée, remise en cause de l’organisation, manque de démocratie flagrant car le Comité Central renouvelé depuis 2014 n’a jamais été convoqué, aucune réunion du Bureau Politique depuis 2016 – car Jean-Marie Le Pen en est membre de droit et chacun sait que les relations sont très tendues entre Marine Le Pen, la direction frontiste et le « Président d’honneur ». La question « de la profonde transformation » promise par la présidente est renvoyée au congrès qui devrait se tenir au début de l’année 2018.

La crise apparait complexe à plusieurs niveaux.

La ligne concernant le programme économique et en particulier la question de la sortie de l’Euro chère à Florian Philippot pour qui « sans monnaie nationale, pas de patriotisme économique, pas de contrôle possible sur notre démocratie ». Certains dirigeants, dont Gilbert Collard, considèrent qu’il faut prendre acte du rejet des Français concernant la sortie de l’Euro et que « pour nous, la question de l’Euro est terminée, le peuple a fait son référendum dimanche dernier ».

Marine Le Pen a repris l’autocratisme de Jean-Marie Le Pen et la démocratie n’a jamais été inscrite dans l’ADN frontiste, remise en cause du « marinisme », affaires judiciaires (attachés parlementaires à Strasbourg, surfacturation des campagnes électorales via des sociétés gérées par des anciens du GUD (Axel Lousteau, Frédéric Chatillon) groupuscule fasciste, problèmes financiers qui nécessitent le lancement d’un « emprunt patriotique ».

Tout cela compose un cocktail qui peut rapidement devenir explosif.

Le Cas Florian Philippot, quand le numéro 2 veut devenir le calife

Assez impopulaire au sein du Front national, sa ligne est de plus en plus contestée car considérée comme responsable de l’échec et trop « gauchisante ». Pour Frédéric Pichon (n°2 du groupuscule souverainiste SIEL, un temps allié du Front national) « il est temps d’en finir avec la ligne Philippot ». Florian Philippot, qui peut compter sur sa garde rapprochée, souffle sur les braises. Il menace de quitter le mouvement, si la question de la monnaie unique passe aux oubliettes. Pour Nicolas Bay, secrétaire général, il s’agit « d’un chantage mal venu ».

Florian Philippot a lancé, sans prévenir la direction, son sigle « Patriotes », censé être une boite à idées pour refonder le parti. Certains frontistes, dont Jean Richard Sulzer (économiste du Fn) considèrent que par cette action, il « s’est placé de lui-même hors du parti ». Au cours de son histoire, le Front national a montré que le numéro 2 est dans les faits placé sur un siège éjectable. C’est le fusible qui saute en cas de crise (Bruno Mégret, Carl Lang, Bruno Gollnisch ). Cependant, la situation semble plus compliquée. En effet, la ligne de Florian Philippot a porté ses fruits dans le Nord et l’Est de la France et il apparait difficile de convaincre un électorat du bien fondé d’un retour à la ligne d’un libéralisme économique (comme à l’époque où Jean-Marie Le Pen se prenait pour le Reagan français).

Marion Maréchal Le Pen prend sa retraite

Pour le Front national, l’annonce faite par Marion Maréchal Le Pen de son retrait de la vie politique est un coup dur et représente la perte d’un poids lourd ; très populaire dans le parti (élue en tête des candidats au Comité Central), elle représentait la ligne « libérale conservatrice ». Elle est opposée au « Ni Droite, Ni Gauche » prôné par Marine Le Pen et Florian Philippot. Elle a défendu une ligne clairement ancrée à droite. Elle s’est d’abord adressée à la presse locale, puis à TV Libertés (télévision sur le net dirigée par des ex frontistes, membres du Parti de la France de Carl Lang, anti-marinistes et favorables à Jean-Marie Le Pen), puis elle a donné une longue interview à l’hebdomadaire de « la droite décomplexée » : Valeurs Actuelles titré « le testament politique de Marion Maréchal Le Pen ».

Marion Maréchal Le Pen a toujours marché sur deux jambes : enracinement local et ancrage à droite. Derrière des difficultés personnelles, son départ traduit en fait une opposition à la ligne politique actuelle. Marion Maréchal Le Pen a toujours mis en avant la question identitaire, déclarant que « l’identité représente l’enjeu essentiel de la civilisation ». La question « est de savoir comment conserver, vivifier, transmettre ce ciment social ». Pour elle, la question identitaire permet de transcender les clivages et relie les deux électorats conservateur et populaire. D’autre part, le libéralisme économique doit représenter le modèle économique à défendre en régulant la mondialisation. Cette position est en opposition totale avec la ligne étatique de Marine Le Pen et de Florian Philippot.

Autre question clivante : comment arriver à dépasser le fameux « plafond de verre » qui bloque la progression du parti ? Marion Maréchal Le Pen se déclare favorable à une « Union patriotique » qui serait « plus une réunion des hommes que des partis ». Il existe, pour elle, une « zone blanche » dans laquelle se trouvent certains courants conservateurs présents chez Les Républicains, chez Nicolas Dupont-Aignan (l’éphémère potentiel Premier ministre en cas de victoire de Marine Le Pen), Philippe de Villiers, des élus et des cadres de droite et le Front national. Dans cette « zone blanche », il y a une recomposition à opérer (Laurent Wauquiez, membre des Républicains, soutien de La Manif pour Tous semble être un interlocuteur potentiel). Pour Marion Maréchal Le Pen « la droite a été depuis des années sous le poids psychologique de la Gauche, le poids du Front national la force à se repositionner ».

Elle ajoute que « face aux dirigeants politiques actuels qui ne raisonnent plus à l’échelle nationale mais à l’échelle mondiale et dont Emmanuel Macron semble actuellement le meilleur représentant (ultra fédérateur européen, soumis à l’Allemagne, représentant d’une politique immigrationniste), seuls les Patriotes défendent l’enracinement ».

Le Front national arrive-t-il au bout du Front national ? Marine Le Pen saura-t-elle le faire évoluer ?

La crise est à la fois profonde et paradoxale. En effet, avec presque 11 millions de voix au deuxième tour de l’élection présidentielle, le Front national a pulvérisé tous les records. Cependant, s’est développé un sentiment de ressenti – d’après un cadre frontiste « c’est que nous avons échoué. Et c’est le ressenti qui compte ». Un certain nombre de circonscriptions semblait gagnables dans le Nord, l’Est et le Sud de la France dans la perspective des élections législatives. Cependant, vu l’impact de la campagne présidentielle, les dirigeants avaient revu leurs estimations à la baisse et avaient tablé sur une quinzaine de députés dont Marine Le Pen, ce qui aurait permis la formation d’un groupe à l’Assemblée Nationale) qui serait entré pour la deuxième fois à la chambre des députés (en 1985-1988, avec le scrutin proportionnel, le FN avait eu 35 députés). Le résultat aux législatives semblait donc crucial. Pour certains dirigeants « on garde le discours lisse et on règle ça après les législatives ». Nicolas Bay, secrétaire général, commença à développer un discours plus « pro-business » et moins anxiogène sur l’Europe.

Le Front national est passé à côté de son objectif final et au soir du 18 juin seulement 8 députés frontistes ont été élus. Plusieurs raisons peuvent être avancées. Les divisions et la campagne ratée. Les législatives confirment la dynamique de la présidentielle, le Front national a toujours fait moins bien aux législatives qu’aux présidentielles (en 2012, 18% aux présidentielles et 14% aux législatives), le mode de scrutin continue de bloquer le Front national qui ne parvient pas à nouer des alliances pour passer des accords au second tour et possède donc très peu de réserve. Toutefois, il est à noter que le Front national est passé de 2 à 8 députés sans aucune triangulaire.

Marine Le Pen arrivera-t-elle à faire prendre un nouveau tournant au Front National ? L’annonce de réformes internes dans un parti qui pratique plus tôt les purges que la culture démocratique et le recours aux débats, n’est-elle qu’une simple poudre aux yeux pour calmer le jeu ? Le Front national arrivera-t-il à fédérer autour de lui et à réaliser un aggiornamento et une remise à plat totale ? Va-t-il se positionner comme un parti populiste comme certains de ses alliés en Europe, avec la question identitaire en centralité, reprendre la thématique du libéralisme économique et la recherche d’alliances avec des courants de droite classique au niveau local ou national – avec en toile de fond la question de « la préférence nationale » considérée comme non négociable par Louis Alliot mais qui est un blocage pour Les Républicains – ou défendre un souverainisme intégral, un interventionnisme étatique dans le domaine économique et camper sur le « Ni Droite, Ni Gauche » ? A terme, la ligne défendue par Marion Maréchal Le Pen va-t-elle supplanter celle de Florian Philippot au sein d’un parti en pleine crise identitaire ?

Le séminaire dit de « refondation » qui devait apporter certaines clarifications n’a débouché sur aucune donnée concrète. Deux lignes se sont opposées, celle de Florian Philippot centrée sur la question de la monnaie unique et celle de Nicolas Bay qui prône un retour aux fondamentaux, à la ligne identitaire, anti immigrée, anti islam (créneau sur lequel, le parti apparait crédible pour une partie de l’électorat de droite) , de défense de la famille et retour au libéralisme économique en rupture avec l’étatisme considéré comme « gauchiste » de Florian Philippot.

Le communiqué final renvoie la question de l’Euro en fin de quinquennat et met en avant la défense « de nos différentes souverainetés en commençant prioritairement par la souveraineté territoriale et donc la maîtrise de nos frontière migratoires et commerciale ». Comme le précise Jean-Lin Lacapelle (responsable des fédérations) « la souveraineté monétaire n’est pas une priorité. La première chose à faire, c’est sortir de Schengen pour retrouver nos frontières ». Quel que soit l’avenir de la « refondation » et l’issue du prochain congrès en 2018, le danger demeure et la vigilance s’impose.

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