Édition du 16 avril 2024

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Canada : La crise de l’eau met en danger les familles des Premières Nations

Une meilleure réglementation, des investissements et un contrôle accru sont nécessaires pour remédier à un système déficient.

Le Canada dispose d’eau en abondance, pourtant dans de nombreuses communautés autochtones en Ontario, l’eau est impropre à la consommation, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd’hui. L’eau dont dépendent de nombreuses communautés des Premières Nations du Canada sur les terres connues sous le nom de réserves, est polluée, difficile d’accès ou même toxique en raison de systèmes de traitement défectueux. Le gouvernement fédéral ainsi que les autorités provinciales devraient prendre des mesures urgentes pour assumer leur rôle dans cette crise.

« L’eau contaminée et les installations défectueuses dans les réserves des Premières Nations en Ontario mettent en péril la santé des résidents, engendrent une surcharge de travail pour les parents et les personnels soignants, et exacerbent d’autres problèmes dans les réserves », a déclaré Amanda Klasing (https://www.hrw.org/fr/about/people/amanda-klasing), chercheuse senior à Human Rights Watch et auteure du rapport. « Les personnes des Premières Nations ont les mêmes droits que tous les Canadiens à des systèmes d’assainissement et d’eau potable de qualité, mais dans la pratique ils ne peuvent y avoir accès. »

Le rapport de 92 pages, intitulé « Une eau qui doit être sans danger : L’obligation du Canada de mettre un terme à la crise de l’eau dans les réserves des Premières Nations » (« Make It Safe : Canada’s Obligation to End the First Nations Water Crisis » - résumé et recommandations disponibles en français https://www.hrw.org/node/290522/), documente les impacts graves et prolongés liés aux problèmes d’eau potable et d’assainissement pour des milliers de personnes autochtones – connues sous le nom de « Premières Nations » – vivant dans les réserves. Le rapport évalue les causes des problèmes liés à la qualité de l’eau et de l’assainissement dans les réserves, notamment le manque de réglementations contraignantes sur la qualité de l’eau, un financement insuffisant et arbitraire, des infrastructures défectueuses ou de qualité inférieure, et la dégradation des sources d’approvisionnement en eau. Les audits réalisés par le gouvernement fédéral lui-même depuis plus de vingt ans révèlent une tendance de promesses exagérées et de faibles réalisations en matière d’eau et de traitement des eaux usées pour les réserves.

Dans tout le Canada aujourd’hui, 133 avis sont en vigueur dans 89 réserves des Premières Nations informant que l’eau est impropre à la consommation. La plupart de ces avis sont concentrés en Ontario. Ces avis concernant la qualité de l’eau – dont certains sont en vigueur depuis des décennies – représentent les pires exemples des défis systémiques concernant l’eau et les eaux usées auxquels sont confrontées les Premières Nations au Canada. Les communautés canadiennes vivant en dehors des réserves sont bien loin de connaître un tel niveau de risque pour leur eau ; leurs systèmes sont soumis à des réglementations, et les avis concernant la qualité de l’eau sont bien plus rares.

« Comme le fait remarquer Human Rights Watch, nous, dans les communautés des Premières Nations, nous devons avoir ce que les Canadiens tiennent pour acquis : de l’eau potable et un assainissement convenable », a déclaré le chef régional de l’Ontario, Isadore Day. « Même s’il y a eu quelques progrès et de nombreuses promesses, il y a bien trop de personnes autochtones qui vivent encore – et qui meurent – dans la pauvreté dans ce pays aujourd’hui. »

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Dans le cadre de ses recherches, Human Rights Watch a effectué une enquête auprès de 99 foyers, accueillant 352 personnes, dans cinq communautés des Premières Nations en Ontario, et mené 111 entretiens qualitatifs. Le rapport analyse les données de sources gouvernementales sur les installations d’eau et d’eaux usées, les allocations budgétaires et les avis concernant la qualité de l’eau. Au total, Human Rights Watch a compilé les données gouvernementales portant sur 191 systèmes d’eau dans 137 communautés appartenant à 133 Premières Nations distinctes en Ontario.

Human Rights Watch a constaté que la crise de l’eau fait diminuer la qualité et la quantité d’eau disponible pour l’hygiène et la consommation dans les réserves. De nombreux ménages interrogés par Human Rights Watch ont signalé des problèmes liés à des infections de la peau, de l’eczéma, du psoriasis, ou d’autres problèmes de peau, qui, selon eux, étaient associés à la qualité de l’eau dans leurs maisons, ou bien aggravés par cette situation.

De nombreuses personnes interrogées ont indiqué que des agences fédérales ou des autorités des Premières Nations les avaient alertées à propos de contaminants contenus dans leur eau, notamment : des colibacilles, des Escherichia coli (E. coli), des trihalométhanes cancérigènes, et de l’uranium. L’exposition à ces types de substances contaminantes peut avoir des impacts sur la santé allant de graves troubles gastro-intestinaux à une augmentation des risques de cancer.

Des familles ont mentionné l’évolution de leurs habitudes d’hygiène, par exemple la limitation des bains ou des douches pour les enfants, à cause de leurs inquiétudes à propos de la qualité de l’eau. Les aides-soignants ont indiqué faire face à une plus grande charge de travail pour veiller à ce que les enfants, les personnes âgées et d’autres personnes évitent l’exposition à de l’eau insalubre.

Le gouvernement fédéral, qui a compétence sur les réserves, n’a pas pris les mesures appropriées pour veiller à ce que habitants des réserves des Premières Nations bénéficient des mêmes protections que les autres communautés devant la loi. Alors que les communautés en dehors des réserves bénéficient de réglementations en matière de qualité de l’eau, il n’y a aucune réglementation sur l’eau dans les réserves.

Le gouvernement fédéral, qui soutient financièrement la conception, la construction, l’exploitation et la maintenance des systèmes d’eau des Premières Nations, a notamment apporté un soutien financier et des prestations de conseil lors de la conception de systèmes dont la qualité est inférieure aux normes appliquées dans les communautés voisines. Quelques-uns de ces systèmes d’eau ont été rapidement placés sous avis concernant la qualité de l’eau, et même pour certains dans les deux ans suivant leur construction. En outre, une personne sur cinq vivant en Ontario dans des réserves obtient l’eau de puits privés, dont la plupart sont également contaminés.

« La crise de l’eau est le résultat d’années de discrimination aggravée par le manque de responsabilité », a expliqué Amanda Klasing. « Et ce sont les familles des Premières Nations qui sont exposées et se préoccupent de savoir si l’eau qu’elles boivent et qu’elles utilisent pour se laver va faire du tort à leurs enfants. Le gouvernement du Canada doit s’attaquer tant aux symptômes qu’aux causes sous-jacentes. »

Le fait que le Canada s’est abstenu d’adopter des réglementations pour les réserves des Premières Nations, ou de fournir une surveillance équivalente, alors que tous les autres Canadiens bénéficient de ces protections, est discriminatoire et viole les droits des personnes des Premières Nations à l’égalité devant la loi, selon Human Rights Watch.

En mars 2016, le gouvernement Trudeau a annoncé de nouveaux engagements et financements pour amener les systèmes d’eau et d’eaux usées dans les communautés des Premières Nations à la norme des communautés comparables hors réserves dans les cinq ans. Il s’agit d’un signe positif, mais ce n’est pas la première fois que le gouvernement a promis de l’argent pour résoudre ces problèmes. Les investissements antérieurs impliquant des milliards de dollars ont échoué à remédier à des problèmes systémiques liés à l’eau et aux eaux usées dans les réserves. Ces investissements ont été irréguliers et handicapés par des formules arbitraires d’attributions, les fonds budgétisés n’étaient pas dépensés et des plafonds rigides ne tenaient pas compte de la croissance de la population, des ressources inégales et des différences entre les réserves. Le gouvernement actuel devrait tirer les leçons des échecs du passé, et collaborer sérieusement avec les Premières Nations en s’employant à tenir ses promesses.

« En dépit d’investissements importants dans le secteur de l’eau, le gouvernement canadien n’est pas parvenu à amener les systèmes d’eau et d’eaux usées dans les réserves aux normes dont bénéficient la plupart des Canadiens », a déploré Amanda Klasing. « Le financement seul ne signifie pas le succès. »

La crise a également des impacts sur les droits culturels des communautés des Premières Nations. Leurs cérémonies de l’eau, les pratiques coutumières de pêche et de chasse, et les manières d’enseigner aux enfants et de partager des connaissances traditionnelles sur l’eau sont touchées lorsque l’eau est contaminée. Le droit international reconnaît le droit des peuples autochtones à maintenir et à renforcer leurs liens spirituels avec des terres possédées ou occupées traditionnellement, les territoires, les eaux, et d’autres ressources, et à assumer leurs responsabilités envers les générations futures.

De plus, les sources d’approvisionnement en eau des Premières Nations sont de plus en plus dégradées par les activités industrielles, le ruissellement agricole et les pratiques d’élimination des déchets en dehors des réserves, et pourtant les dirigeants des Premières Nations ont indiqué que les gouvernements provincial et fédéral ne les ont pas impliqués dans la gestion des sources d’eau.

« Des générations d’habitants des réserves des Premières Nations ont grandi sans eau propre, saine et potable », a conclu Amanda Klasing. « Le nouveau gouvernement a affirmé qu’il était déterminé à l’égard du changement. Il est temps maintenant de passer à l’action. »

Témoignages

Debora C., une femme de la Première Nation de Grassy Narrows, a expliqué combien il était difficile de gérer l’irritation cutanée récurrente de son fils de 9 ans : « Je continuais de l’emmener à la clinique et ils continuaient de me dire que c’était de l’eczéma. Son ventre et ses fesses sont devenus très rouges, suintants, et ça s’est étendu. La pommade [qu’ils m’ont donnée] ne fonctionnait pas. Je l’ai emmené de nouveau. » Finalement, son fils a été diagnostiqué comme atteint d’une maladie de peau résistant à la plupart des antibiotiques. Elle ne peut pas le baigner avec l’eau du robinet chez elle, et utilise de l’eau en bouteille contenue dans de grands récipients :

Je l’éponge avec de l’eau en bouteille des récipients, je le nettoie de cette façon.... Mon fils a des cicatrices maintenant là où l’éruption a éclaté. [Ce] n’est pas enflammé maintenant… Mais de temps en temps il a une inflammation, ça ne va pas disparaître [totalement] à cause de l’eau…Mes enfants ne se lavent qu’un jour sur deux. Si mon fils se fait une coupure, cela se transforme en éruption cutanée et je dois le conduire à la clinique pour prendre des antibiotiques. Alors mon fils manque souvent l’école.

Walter S., père de quatre enfants dont trois de moins de trois ans dans la Première Nation de Neskantaga, a signalé que des membres de sa famille ont été diagnostiqués pour la gale l’an dernier. Il pense que les plaies étaient liées à l’eau, parce que le médicament donné à sa famille par le centre de soins est resté sans effet. « Il est difficile de dire à celui de un an et à celui de neuf mois de ne pas se gratter. C’est dur d’être le méchant à propos de tout ça.… Les plus âgés de mes enfants se cachent dans la salle de bains pour se gratter. »

Stacey K., mère d’un bébé de 11 mois dans la Première Nation de Neskantaga, a expliqué :

Quand [mon fils] était un nouveau-né, j’utilisais l’eau du [distributeur à osmose inverse], mais c’était dur de le baigner chaque jour. Alors j’utilise l’eau du robinet. À l’âge de quatre mois, son visage a gonflé. [On m’a dit] qu’il avait de l’eczéma. Je voudrais le baigner chaque jour, mais ça doit être tous les deux ou trois jours. [Quand nous allons à] Thunder Bay, sa peau n’est pas comme ça [quand je le lave dans l’eau là].

Linda R., une mère de la Première Nation de Shoal Lake 40, a indiqué que son fils adoptif présentait une éruption cutanée récurrente, et qu’elle n’arrêtait pas de le conduire chez le docteur.

La quatrième ou cinquième fois que nous y sommes allés, [le docteur] m’a demandé ‘est-ce que vous avez de l’eau traitée dans votre communauté ’ J’ai répondu : ‘Non, nous n’en avons pas.’ ‘Et bien, c’est là votre problème,’ a-t-il dit. 

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