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Canada

Chefferie du NPD : Sous le turban de Jagmeet Singh

L’attachement à la laïcité au détriment des débats politiques

tiré de Ricochet | 31 août 2017

La course à la chefferie du Nouveau parti démocratique (NPD) a jusqu’ici suscité bien peu d’émoi au Québec, si ce n’est la question de la laïcité soulevée par le turban de Jagmeet Singh. En effet, alors que la province croyait avoir enterré la religion depuis la Révolution tranquille, une personne qui affiche sa foi peut-elle aspirer à y glaner des votes ? Plusieurs Néodémocrates craignent que non et s’inquiètent de la popularité du candidat sikh. Et ils ont peut-être bien raison : un sondage Léger indiquait récemment que le turban de Singh découragerait 28% des Québécois.es de voter pour lui.

À ce sujet, Manon Cornelier, du Devoir, nous explique que « [l]es membres et députés inquiets déploraient aussi que la sensibilité québécoise en ce domaine soit incomprise et perçue comme de l’intolérance dans le reste du pays ». Or, comment interpréter autrement cette « sensibilité » envers l’habillement de ceux et surtout celles qui sont construit.e.s, ici, comme les « autres » ? Quelqu’un s’est-il déjà plaint de la jolie petite croix en or de la réceptionniste du CLSC ? Bien sûr que non ! Ce symbole religieux n’est pas « ostentatoire ». Seuls sont ostentatoires les pratiques de ces « autres ». En témoigne la croix qui trône encore à l’Assemblée nationale.

Comme l’a fait remarquer Singh avec éloquence, il porte peut-être certains vêtements traditionnels (et aussi parfois des bretelles vraiment hipster), mais ses idées sont loin d’être rétrogrades. Prenant comme point de comparaison le chef du Parti conservateur, il a affirmé : « Il ne porte pas de signes religieux. Il cache sa religion. Mais il est contre les droits de la femme et de la communauté LGBTQ. Moi je partage les mêmes valeurs du Québec, progressistes. »

En effet, il serait peut-être temps de s’intéresser à ce que Singh a dans la tête, plutôt que sur la tête. Voyons un peu ses propositions politiques.

Contre les discriminations systémiques

Concernant la communauté LGBTQ2+, il veut tenter d’enrayer la discrimination systémique à laquelle ses membres font face. Pour ce faire, il compte créer un réseau de logement qui leur sera adressé et mettre fin à la non-admissibilité au don de sang des hommes ayant eu des relations homosexuelles.

En matière de discriminations systémiques, Singh s’y connait bien, puisqu’il a lui-même subi le profilage racial de la police de Windsor durant son jeune temps. C’est pourquoi, dans sa formation en droit à l’Université York, à Toronto, il a choisi de se spécialiser comme criminaliste.

En tant qu’avocat, il a souvent donné des formations légales gratuitement aux étudiant.e.s ontarion.ne.s. Il a également offert ses services pro bono à un groupe qui manifestait contre la venue d’un ministre indien ayant été impliqué dans la persécution des Sikhs. C’est ce groupe qui l’a convaincu de se présenter en politique partisane. Durant sa campagne, il a décidé d’abandonner son deuxième nom de famille, Dhaliwal, qui indiquait son appartenance à la caste supérieure et ce, afin de signifier qu’il comptait bien représenter l’ensemble de la population.

Le candidat de l’antiracisme...

Singh semble donc être le candidat tout indiqué pour mettre à l’avant-plan les luttes antiracistes au sein du NPD. Il ne faut cependant pas interpréter son opposition au projet de loi 62 présenté par le gouvernement Couillard (l’obligation de donner et recevoir les services publics à visage découvert) simplement comme une volonté de donner préséance aux droits individuels sur les droits collectifs, comme le fait Alexandre Boulerice. Ici, on parle également du droit des groupes minoritaires de vivre comme ils l’entendent, sans se voir dicter les règles de la vie bonne par la majorité.

À gauche, certains intellectuels seraient tentés de voir dans ce « communautarisme » un effritement du « commun », ce qui est plutôt ironique étant donné la racine commune (!) aux deux mots. Par on ne sait quel tour de passe-passe, ils associent alors cette mort du monde commun au néolibéralisme. Peut-être lient-ils la mondialisation et l’immigration. Pourtant, les phénomènes migratoires existaient bien avant les années 70. Peut-être est-ce le cosmopolitisme entraîné par une économie globalisée qui leur font dire que nous avons coupé nos dernières attaches. Pourquoi, alors, vouloir arracher leurs traditions à des gens qui n’ont rien demandé ?

De plus, si les communs pour lesquels on se bat en 2017 se résument à une garde-robe, cela ne me donne pas beaucoup d’espoir en l’avenir. Ce dont j’aimerais voir la gauche se saisir, c’est bien davantage une offre de services publics payés en commun, selon les moyens de chacun, et qui sont offerts à tous gratuitement, selon les besoins de chacun.

... et de la redistribution de la richesse

À ce niveau, Singh propose que les dépenses publiques en infrastructures passent par des ententes sur les avantages pour les communautés (Community Benefit Agreements), qui garantissent que les investissements génèrent des opportunités économiques localement. Il compte également augmenter les impôts des plus riches, les taxes sur les gains en capitaux et implanter une taxe sur les propriétés foncières de plus de 4 millions de dollars.

Avec ces nouveaux revenus, il augmenterait significativement l’aide aux travailleurs et travailleuses pauvres, triplant notamment la prestation fiscale pour le revenu gagné Working Income Tax Benefit. Il renforcerait finalement l’aide aux aîné.e.s et aux personnes en situation de handicap.

Voilà des propositions beaucoup plus rassembleuses et nécessaires que celles cherchant à imposer une façon uniforme de mener sa vie - comme par hasard celle de la majorité blanche, la même qui tyrannise l’ensemble de la planète depuis plusieurs siècles.

Vivre et laisser vivre

Les sociétés sont intrinsèquement hétérogènes et souhaiter le contraire nous tirerait vers une dangereuse pente fascisante. Cela est vrai pour la société canadienne, qui contient par exemple des anglophones et des francophones, à qui l’on accorde des droits particuliers. Cela est aussi vrai à l’intérieur de la société québécoise, qui contient par exemple des gens de gauche et de droite. Obligerait-on tout le monde à être de gauche sous prétexte de freiner l’effondrement des communs ? On a déjà tenté cette option et c’est pour se distancier de ces expériences malheureuses que les communistes d’hier ont décidé de se rebrander sous le nom de « socialistes ».

Jagmeet Singh n’est donc pas tant le défenseur des libertés individuelles que des droits des minorités et cela tombe bien, puisque c’est bien ce à quoi sert la gauche : défendre les plus vulnérables. D’ailleurs, puisque la société québécoise est intrinsèquement hétérogène, il y a peut-être 28% d’électeurs et électrices qui seraient rebuté.e.s par son turban, mais il y en a également 55% qui affirment y être indifférent.e.s !

Comme quoi, ce ne sont pas tou.te.s les Québécois.es qui ont le même rapport à la laïcité. Certain.e.s trouvent amplement satisfaisant que l’Église ne dirige plus nos institutions publiques…

Céline Hequet

Étudiante en sociologie

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