Édition du 16 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Comment voter sans avoir (trop) honte ni (trop) se fatiguer

Décidément, cette campagne continue comme elle a commencé, dans les faux-fuyants, les faire-semblants, les votez-pour-moi-car-j’ai-les-dents-plus-blanches. C’est le « modèle américain », basé sur des armées de spécialistes en marketing et en communication. Vendre un candidat ou vendre une paire de souliers, c’est seulement un détail. Les conservateurs, les libéraux et Mulcair sont tous sur le même registre. Ce qui implique de ne rien dire, ou en tout cas, d’en dire le moins possible sur les questions fondamentales : l’économie, l’avenir du Québec, les droits et libertés, la discrimination, les autochtones, etc.

Du côté de Harper, cet « art » de la politique est celui qui l’a porté au pouvoir dès 2006. Son principal point faible, disent les analystes, c’est moins sa gouvernance de voyou qu’une certaine fatigue à son égard. Cela va mal, on ne sait pas trop pourquoi, donc on vote pour le « changement ». Il reste à Harper pas mal de temps et pas mal de trucs pour s’imposer comme le défenseur du statu quo en jouant sur la division entre les autres partis et en capitalisant sur sa base de droite et d’ultra-droite qui lui semble indéfectible.

Entre-temps, les « spins » de Trudeau l’ont placé à « gauche » en promettant des jobs et des projets, sans dire un mot sur comment tout cela s’insérerait dans un cadre cohérent. Peut-être qu’un journaliste sérieux –il doit bien en rester un ou deux- pourrait lui demander ce qu’il pense des politiques économiques. Il faudrait d’abord qu’il surmonte le barrage des « spins » dont la job est d’empêcher le fils de l’autre de parler.

Reste Mulcair. C’est le roi de la manœuvre. Depuis une semaine, il dit souvent, « ah oui n’oubliez pas, nous sommes un parti social-démocrate… » Ses spins ont bien vu qu’il risquait gros à se présenter pour ce qu’il est, c’est-à-dire un homme du centre-droit, dans la lignée de Tony Blair. Mais fondamentalement, sa stratégie est la même : de vagues promesses sans explication et le « déficit zéro » comme n’importe lequel démagogue réactionnaire. Un peu plus, il va nous faire oublier le grand sourire de Jack.

Reste le Bloc Québécois où au moins, Gilles Duceppe parle moins la langue de bois pour dire ce qu’il représente, en tant que porte-drapeau du projet souverainiste. Là-dessus il fait du sens mais autrement, il n’en fait pas. Il perd son temps et il perd notre temps dans une élection fédérale.

Ce portrait lamentable s’explique, en partie au moins, par le pathétique système politique canadien, que des farceurs continuent de qualifier de démocratique. Comme aux États-Unis et en Angleterre, la « démocratie » canadienne est un chiffon qui ne sent pas bon. Du haut en bas en passant par tous les côtés, c’est un univers de mensonges et de manipulations. 

On pourrait penser, dans le cas du NPD, qu’il y a autre chose que cette clownerie. Après tout ce parti a une histoire liée aux syndicats et aux mouvements coopératifs notamment. Est-ce le seul côté de l’affaire ? La social-démocratie canadienne a eu comme principale fonction d’éradiquer la gauche qui était bien implantée au tournant des années 1930-40. Après la Deuxième Guerre mondiale, ce qui est devenu le NPD a été, comme ses contreparties en Europe, un pilier du dispositif impérialiste organisé autour des États-Unis et de l’OTAN. La guerre contre les méchants communistes comptait beaucoup plus que les luttes d’émancipation du tiers-monde. Lorsque le NPD a gouverné des provinces comme l’Ontario, le Manitoba, la Colombie britannique, il l’a fait d’une façon « loyale » du point de vue du capitalisme canadien.

Certes, certains élus et candidats du NPD sont de « gauche », qui se sont battu avec le mouvement populaire. Rapidement en parcourant la liste des candidats au Québec, j’en ai trouvé : Alexandre Boulerice (Rosemont). Guy Caron (Rimouski), Jonathan Genest Jourdain (Manicouagan), Hans Marotte (St-Jean), Nycole Turmel (Hull), Karine Trudel (Jonquière). J’en oublie sans doute, mais cela ne contredit pas le fait que la majorité vient « d’ailleurs ». On le sait, ils se sont retrouvé sur des listes de candidats-fantômes et ils ont été élus sans avoir fait une demi-journée de campagne. Plusieurs, non seulement la « fameuse » Ruth Ellen Brosseau (unilingue anglaise élue à Berthier alors qu’elle faisait la fête à Las Vegas), ne savaient pas trouver sur une carte Roberval, Trois-Rivières ou Mégantic. Quant aux députés progressistes, une chance qu’ils sont là. Encore là, on ne peut occulter le fait que Mulcair les a obligés à d’humiliants reniements par rapport à leurs engagements, envers Québec Solidaire, notamment.

La réalité, ce n’est pas un secret, c’est que le NPD n’a pas gagné en 2012 sur son programme ou ses idées, mais sur une immense « vague » autant irrésistible que vide de sens. Ce fut, on s’en souvient le triple non : non à Harper, non au PLC (alors taché par les nombreux scandales) et non au Bloc. Jusqu’à la fameuse apparition de Jack à Tout le monde en parle, le NPD aurait eu bien de la misère à réunir 200 personnes dans une salle, même à Montréal !

Aujourd’hui, on peut espérer que ce parti fera les choses différemment. Certains vont dire qu’il faut laisser la chance au coureur. De toutes les manières, qu’on se pose des questions ou non, cela ne change pas la situation, car Mulcair a dans un sens gagné son pari en apparaissant comme le candidat le plus susceptible de battre le « mal absolu ». Le résultat du vote au Québec, à moins d’un spectaculaire changement dans la campagne, est déjà connu.

Bon, on se dira « tant mieux », Adieu Harper. Bienvenu Tom. Quitte à l’attendra au rebond, s’il se met à défendre l’austérité, appuyer les pipelines qui menacent le Québec, à attaquer sans relâche l’idée de souveraineté et à essayer d’éradiquer Québec Solidaire.

En attendant, je vais voter sans enthousiasme, un peu gêné. Plutôt que de blâmer Mulcair cependant, je trouve qu’une partie de la responsabilité repose sur nous, la gauche. Qu’est-ce qu’on a fait et surtout, qu’est-ce qu’on n’a pas fait depuis des années ? Comment se fait-il qu’on se retrouve sur un terrain politique miné, où il faut choisir entre le pire et le moins pire ? Je pense qu’il faut explorer cela davantage.

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