Édition du 16 avril 2024

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International

Changement de régime au Nicaragua

Confession d’une personne naïve

Vice-président du Nicaragua dans le gouvernement sandiniste des années ’80 et chef de l’opposition à l’Assemblée nationale au début des années ’90, Sergio Ramírez fait partie de ces sandinistes déçus par la corruption et les nouvelles orientations du Front sandiniste de libération nationale dont le chef, Daniel Ortega, a repris le pouvoir le 10 janvier. Dans sa « confession », il dénonce le pacte entre Ortega et l’ancien président Arnoldo Alemán et prédit le retour à la présidence de ce dernier.

Le texte « Confesión de un incauto » a été publié le 27 décembre 2006 dans le site de La Insignia.

Traduction de Patrice Lemieux Breton.

Sur une photo du temps des Fêtes, l’ex-président du Nicaragua Arnoldo Alemán, condamné pour blanchiment d’argent, apparaît au côté d’une statue du général Sandino qui lui sert de décoration dans une des salles de sa demeure de la ferme El Chile. La statue est deux fois plus grande qu’Alemán, de telle sorte qu’il arrive juste à toucher la cartouchière du héros, qui s’est fait assassiner sur l’ordre du général Anastasio Somoza García le 21 février 1934, après avoir livré une lutte de plusieurs années contre les troupes d’occupation de la marine des Etats-Unis. Sandino est mort pauvre, sans un sou à léguer, et sa plus belle phrase dont je me souvienne est : « L’homme qui n’exige rien de plus de sa patrie qu’un lopin de terre pour sa sépulture mérite d’être entendu, et aussi d’être cru. »

À Alemán, loin du sacrifice et du martyre, un juge fédéral des États-Unis vient de confisquer 700 000 dollars qu’il avait transportés du Nicaragua à une banque des Etats-Unis, une fraction d’un immense butin toujours dispersé dans le monde. Et sa réponse, ou celle d’un proche avant les faits, a été qu’il s’agissait d’un acte de représailles pour ses dernières déclarations, où il saluait le président Hugo Chávez du Venezuela comme un authentique leader nationaliste populaire et le qualifiait, en plus, d’ami intime.

On arrive à sa résidence de El Chile, en banlieue de Managua, par une route asphaltée qu’Alemán a fait construire avec des fonds publics au temps de sa présidence et qui ne sert qu’à lui et à ceux qui le visitent pour recevoir ses conseils, et sa protection, que ce soient des députés de l’Assemblée nationale, un magistrat de la Cour suprême, des vérificateurs ou des magistrats du Conseil suprême électoral. Au début, cette maison lui servait de prison grâce aux largesses de juges fidèles au nouveau président Ortega. Ces juges lui ont plus tard concédé tout le territoire de Managua comme « prison », un territoire de 3 500 kilomètres carrés, un tiers de Puerto Rico.

La raison extravagante du juge honnête est que la santé d’Alemán était précaire et qu’il ne pouvait donc s’occuper de lui-même ; une condition que le bénéficiaire de la mesure est loin de démontrer dans les somptueux banquets qu’il offre à sa ferme à ses serviables protégés.
Maintenant Chávez compte sur deux amis intimes au Nicaragua, le nouveau président Daniel Ortega y Alemán, tous deux unis par un vieux pacte politique qui continue à leur rapporter. La veille de Noël, ils ont fait réformer par leurs députés fidèles la loi organique de l’Assemblée nationale pour mieux se répartir le pouvoir « de faire et de défaire », à tel point que les citoyens et citoyennes appelés à se présenter devant l’Assemblée et qui refuseront de le faire seront considérés comme des rebelles et poursuivis. C’est-à-dire que nous irons en prison. Et ils ont ajouté un autre article héroïque : tous les députés auront le droit d’importer, exonérés de tout impôt, des automobiles pour leur usage personnel qui seront, sans doute, de luxe.

Avec cela, je veux dire que toutes ces personnes naïves, et moi le premier, qui croyaient après les élections du 5 novembre que la démocratie aurait une nouvelle opportunité et que le bénéfice du doute valait la peine, ce que nous constatons depuis est que le pacte, au contraire, se renforce et se donne un aspect répressif. Et ce n’est pas étrange qu’une de ses clauses secrètes établisse que le prochain président du Nicaragua sera Alemán, le prisonnier à la santé précaire, parce que ce sera à son tour. C’est ainsi qu’Alemán se proclame maintenant candidat, avec le sourire large et au côté de la statue de Sandino.

Cela importe peu qu’il s’agisse d’un prisonnier condamné à 20 ans de prison (à domicile) pour blanchiment d’argent et poursuivi par la justice internationale. Si Alemán dispose maintenant du territoire du département de Managua, il en manque peu pour que, à travers le pacte avec Ortega, les juges lui accordent le reste du pays.

Masatepe, décembre 2006.

Mots-clés : International Nicaragua

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