Édition du 16 avril 2024

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Afrique

Crise en RDC : l’opposition en quête de stratégie

En fixant les prochaines élections au 23 décembre 2018, la Commission électorale congolaise (CENI) a réussi pour la seconde fois le tour de force de reculer les échanges électorales, tout en ménageant la communauté internationale et en laissant l’opposition politique déboussolée.

Tiré du blogue de AfrikArabia.

Le président Joseph Kabila peut être satisfait. La publication tant attendue du calendrier électoral a atteint son objectif : faire baisser la pression internationale sur la crise congolaise et octroyer un an de pouvoir supplémentaire au président congolais. Une année de plus, qui devrait lui laisser amplement le temps de manoeuvrer pour reculer de nouveau les élections et se maintenir au pouvoir, alors que son dernier mandat a expiré depuis le 19 décembre 2016. Pour en arriver là, le stratagème était pourtant simple : faire fuite dans la presse l’impossibilité d’organiser la présidentielle avant la fin 2019, pour ensuite annoncer des élections en décembre 2018, faisant croire ainsi à la bonne volonté des autorités congolaises d’aller au plus vite. Cette manoeuvre ne laissait d’autre choix à la communauté internationale que de valider ce nouveau report, alors que les Etats-unis et l’Union européenne pressent le président Kabila d’organiser le plus rapidement possible l’alternance politique en République démocratique du Congo (RDC).

Le piège s’est donc refermé sur l’opposition politique congolaise qui réclame le départ de Joseph Kabila et des élections au plus tard mi-2018. Une opposition qui ne peut plus compter sur la communauté internationale pour accélérer le mouvement et se retrouve bien seul face à une majorité présidentielle qui ne semble pas disposée à quitter le pouvoir. En offrant une année de répit à Joseph Kabila, la communauté internationale met l’opposition congolaise en difficulté. Car la principale revendication des opposants au chef de l’Etat est d’organiser « une transition sans Kabila » et ce, dès le 1er janvier 2018. En acceptant le nouveau calendrier électoral voulu par la majorité présidentielle, la communauté internationale laisse une opposition bien désemparée.

Répression et bal des égo handicapent l’opposition

L’opposition cherche donc une nouvelle stratégie pour contrer les stratagèmes du chef de l’Etat pour s’accrocher au pouvoir. Et la marge de manoeuvre est étroite. Pour faire partir Joseph Kabila avant le 1er janvier 2018, l’opposition ne pourra donc pas compter sur la communauté internationale qui a validé le nouveau glissement du calendrier électoral. Reste donc la rue pour forcer le président congolais à quitter le pouvoir. Mais depuis maintenant plusieurs mois, l’opposition peine à mobiliser à chacune de ses manifestations ou opérations « ville morte ». Il y a trois raisons à cela.

Premièrement, la répression policière, qui s’accentue en RDC à mesure que le pays s’enfonce dans la crise. Les manifestations sont toutes interdites et réprimés dans le sang s’il le faut. Les arrestations arbitrairement d’opposants se multiplient à chaque mobilisation populaire et les médias proches de l’opposition sont systématiquement muselés. Deuxièmement, il y a « le bal des égo » des politiques qui divise et fractionne chaque jour un peu plus l’opposition à mesure que le pouvoir réussi à débaucher des opposants pour « dialoguer » ou partager le pouvoir.

Difficile de dire qui détient actuellement le leadership de l’opposition ? Après la mort d’Etienne Tshisekedi, son fils Félix, peine à rassembler. Pourtant, il est aujourd’hui un des rares leaders présents sur le terrain à Kinshasa. Jean-Pierre Bemba, le patron du MLC, est en prison pour de longues années, Moïse Katumbi est toujours en exil forcé en Europe et Vital Kamerhe (UNC) voit ses rangs se rétrécir après sa participation contestée au premier dialogue politique. Le patron de l’UNC a bien tenté un rapprochement avec Rassemblement, mais les places sont déjà prises, et pour certains, il n’est plus le bienvenu.

Avec une opposition qui tire à hue et à dia, difficile d’organiser des actions concertées de mobilisation. Notamment avec la société civile et les mouvements citoyens, de plus en plus actifs dans les opérations de contestations. Dans la rue, la Lucha ou Filimbi sont bien plus présents que les partis politiques d’opposition. Ils en payent le prix fort puisque leurs militants sont systématiquement interpelés. Pour les prochaines mobilisations, mouvements citoyens et partis politiques n’ont visiblement pas pu se mettre d’accord pour lancer une journée d’actions communes à la suite du nouveau report des élections.

Crise de confiance

Le Collectif d’Actions de la Société Civile de la RDC (CASC-RDC), la Lucha, Filimbi ou Debout Congolais, du riche homme d’affaires Sindika Dokolo, appellent à une première journée de protestation le mercredi 15 novembre, alors que l’opposition politique mise plutôt sur une mobilisation le 28 novembre… De quoi déstabiliser les Congolais qui sont visiblement lasser des opérations journées villes mortes qui rencontrent peu de succès… en tout cas, pas assez pour effrayer le pouvoir.

Enfin, troisième raison, la classe politique congolaise d’opposition n’inspire plus vraiment confiance. De nombreux opposants ont fini par céder aux sirènes du pouvoir et à l’argent qui va avec. Certains opposants viennent en fait directement des rangs de la majorité, comme Moïse Katumbi ou Vital Kamerhe. Quelle politiques feront-ils une fois arrivés au pouvoir ? Et avec quelle type de gouvernance (puisqu’ils n’ont visiblement pas été à bonne école) ? Mystère. Le corpus idéologique de l’opposition se résume le plus souvent à un libéralisme plutôt débridé, assorti d’un unique mot d’ordre : le départ de Kabila. Cela suffira-t-il à faire sortir le Congo de la misère, de la corruption et de la répression ? Pas si sûr.

Mais si la mayonnaise de la contestation peine, pour le moment, à prendre forme à cause de la répression et d’un manque de leadership, le pouvoir devrait se méfier. La population est exaspérée et lassée de voir les élections s’éloigner chaque jour un peu plus. Plus de 70% des Congolais vivent encore sous le seuil de pauvreté et il suffit d’une étincelle pour que le feu prenne… comme en 2014 à Ouagadougou, où Blaise Comparé n’a tenu que quelques jours fasse au raz de marée populaire. Kinshasa surveille donc la rue comme le lait sur le feu.

Christophe Rigaud

Journaliste pour le site de Pambazuka (http://pambazuka.org/). Journaliste, directeur du site Afrikarabia consacré à l’actualité en République démocratique du Congo (RDC) et en Afrique centrale.

http://afrikarabia.com/wordpress/

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