Ce graphique, sorte de résumé stupéfiant de la grande bifurcation du modèle américain, représente l’évolution, en base 100 en 1945, du revenu « réel » (c’est-à-dire déduction faite de l’inflation) moyen des Américains. La courbe du bas correspond au revenu moyen de l’immense majorité (les 90 % les moins riches), et celle du haut aux 10 % les plus riches. De 1945 jusqu’au milieu des années 1970, ces deux catégories ont vu leurs revenus évoluer à la hausse de façon semblable. Ce sont Trente « glorieuses » selon ce critère. Même parallélisme, mais cette fois plutôt à la baisse (légère), de 1974 au milieu des années 1980.
Tout change alors. Pour les 10 % du haut, c’est l’envolée, avec beaucoup de hauts et quelques bas vite surmontés. Pour les 90 %, la tendance est à la baisse : le point d’arrivée, en 2014, se situe nettement en dessous du niveau de 1973 : on peut parler de décroissance ! Si l’on se reporte à la base de données elle-même, on trouve qu’en dollars de 2014 le revenu annuel moyen des 90 % « du bas », gains en capital compris, était de 36.690 dollars en 1973 et de 33.068 dollars en 2014 soit 10 % de moins.
Est-ce qu’il y a des différences à l’intérieur du groupe des 10 % du sommet ? En utilisant la base de données, où l’on trouve entre autres les évolutions des revenus réels moyens des 1 % et des 0,01 % les plus riches, on obtient cet autre graphique (cliquer sur le graphique pour l’agrandir) :
Deux enseignements au moins : d’une part, jusqu’à la fin des années 1970, les revenus de ces trois sous-groupes, riches, très riches et ultra-riches, évoluent de concert (et donc à peu près comme pour les 90 % les moins riches vu le premier graphique). D’autre part, depuis les années 1980, les 1 % voient leurs revenus évoluer à peu près comme ceux des 10 %, mais en revanche les revenus des ultra-riches, les 0,01 %, explosent, pour devenir près de dix fois supérieurs à ce qu’ils étaient en 1945, et près de 5 fois supérieurs à leur niveau de 1980. Vive le capitalisme financier !
Une autre façon de décrire le même phénomène est de s’intéresser à l’évolution de la part (en anglais « share ») du revenu total des ménages qui revient aux 10 % et aux 1 %. Voici le graphique depuis 1913 et jusqu’en 2014, un peu plus d’un siècle. Il est lui aussi fabuleux. Attention : pour la part du revenu qui revient aux 10 %, il faut utiliser l’échelle verticale à gauche, qui va de 30 % à 55 %, et il y a deux variantes, avec ou sans prise en compte des revenus du capital (essentiellement financiers). Pour la part du revenu qui revient aux 1 %, c’est l’échelle de droite, qui va de 5 % à 25 %. En passant, cela veut dire que 1 % des gens captent en 2014 autour de 21 % des revenus (courbe noire), et que les 10 % les plus riches sont proches de 50 % des revenus captés (ce qui veut dire que l’autre moitié va aux 90 % qui restent).
Et en France ?
Les données les plus récentes de la base mondiale datent, pour la France, de 2012. La part des revenus « accaparée » par les 1 % était de 8,9 % (21 % aux Etats-Unis en 2014), et elle était de 1 % pour les 0,01 % les plus riches (4,9 % aux States en comptant les revenus du capital). Une forte inégalité française, mais il y a encore du boulot pour nos néolibéraux s’ils veulent rattraper les Américains, qui sont depuis 40 ans les spécialistes de la belle croissance pour les 10 %, de l’hyper croissance pour les 0,01 %, et de la décroissance pour les autres.
Notes