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Cyclones, changement climatique et spéculation immobilière : le cas Harvey

31 août 2017 | La Gauche - Belgique

Le comté Harris au Texas compte 4,5 millions d’habitant-e-s. Un tiers de sa superficie est sous eau suite au passage du cyclone Harvey. La ville de Houston ressemble à un archipel d’îlots au milieu d’un immense marécage d’eau boueuse. Dans certains quartiers, les flots sont montés jusqu’au premier étage des maisons. On déplore vingt-deux décès, mais ce nombre ne sera pas définitif tant que les eaux ne se seront pas retirées. Des dizaines de milliers de personnes sont sans abri. Les dégâts sont énormes, beaucoup de gens sont ruinés, surtout dans les couches modestes.

Violence croissante des cyclones

Les cyclones se forment sur l’océan dans les régions tropicales. Leur force, la vitesse à laquelle cette force grandit et la quantité d’eau qu’ils charrient sont trois variables qui sont fonction de l’évaporation à la surface de la mer, dont de la température de l’eau. Dans le Golfe du Mexique, à la fin de l’été, l’eau est plus d’un degré Celsius plus chaude aujourd’hui qu’il y a trente ans. Les cyclones tendent donc à être plus violents et à se renforcer plus rapidement. Or, au plus ils sont violents, au plus ils sont capables de « sucer » de grandes quantités d’eau et de les transporter dans l’atmosphère (qui est elle-même plus humide du fait du réchauffement).

Harvey illustre malheureusement la tendance au renforcement des cyclones. La vitesse de ses pointes de vent a augmenté d’au moins 55 km/h sur une période de 24 heures (Harvey est donc un cyclone de force 4 sur l’échelle de Saffir-Simpson, qui en compte 5). Vendredi, elle est passée très vite de 96 à 193 km/h avant d’atteindre 210km/h. La quantité d’eau déversée est effrayante : plus de 120 centimètres d’eau sont tombés en quelques jours sur la région d’Houston. Et ce n’est pas fini : la Louisiane est touchée à son tour.

Une fois qu’un cyclone aborde la terre, sa force tend à faiblir et il se transforme en tempête tropicale. Dans le cas d’Harvey, l’ampleur de la catastrophe s’est accrue du fait que cette tempête est restée quasiment immobile, car coincée entre deux zones de haute pression qui la poussaient dans des directions opposées. (Certains climatologues pensent que ce genre de situation aussi est corrélé au changement climatique, mais cela reste une hypothèse.) Du coup, les trombes d’eau sont tombées sur le comté Harris pendant des jours. Du fait de l’absence de mouvement, il y a même eu un phénomène de « rétroaction positive » : au contact du sol chaud, la pluie s’est évaporée et a réalimenté le ciel en réserves d’eau…

Un effet du changement climatique

La gravité de la catastrophe est parfaitement conforme aux projections scientifiques sur les effets du changement climatique. Kerry Emanuel, un professeur de sciences de l’atmosphère au Massachusetts Institute of Technology, a comparé l’évolution de 6000 tempêtes simulées, respectivement dans les conditions du 20e siècle et dans les conditions de la fin du 21e siècle si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. Sa conclusion : dans les années 1900, la probabilité de voir un cyclone gagner plus de 55Km/h pendant les 24 heures précédant son arrivée sur la terre était de une par siècle ; dans les décennies qui viennent, ce genre de phénomène pourrait s’observer tous les 10 ans.

Un autre chercheur, Michael Wehner, du département de l’Energie du Laurence Berkeley National Laboratory, estime que la hausse de température due au changement climatique anthropique entraîne au moins 10 à 15% d’augmentation des précipitations liées aux cyclones. Mais l’augmentation pourrait être beaucoup plus importante si le réchauffement anthropique devait se combiner à d’autres facteurs, attribuables à la variabilité naturelle du climat. Dans ce cas, dit-il, les précipitations pourraient s’accroître de 50%, voire davantage [1].

Les projections sur la fréquence des cyclones violents sont confirmées par les observations. Selon les critères du service chargé du contrôle des inondations dans le Comté Harris, la région a connu huit tempêtes exceptionnelles entre 1998 et 2016. Cinq d’entre elles étaient considérées comme ayant une chance sur cent de se produire sur une année. Les trois autres étaient encore moins probables. En 2016, Houston a même subi deux fois des inondations : par une tempête du premier type en mai, et une autre du second type en avril… [2].

Trump, un pyromane sur les lieux de l’incendie

Donald Trump a tenté de profiter de Harvey pour détourner l’attention de ses problèmes : les retombées de Charlottesville, ses rodomontades dangereuses face à Kim Jung Un, etc, etc. Avant l’arrivée du cyclone, de la Maison Blanche, il a multiplié les déclarations et les promesses de soutien. Mardi 29 août, il s’est rendu sur place avec son épouse et six membres au moins de son administration (dont le général Kelly, son chef de cabinet). Pour se mettre en valeur, pas pour réconforter les victimes : il ne les a même pas visitées !

Trump sur les lieux d’une catastrophe climatique, c’est un peu comme un pyromane qui vient contempler son incendie. Mégalomane narcissique, le Président national-populiste veut entrer dans l’Histoire pour sa réponse exemplaire (selon lui !) à la catastrophe de Houston, qu’il qualifie de « naturelle ». « Nous voulons faire mieux que jamais auparavant », a-t-il déclaré. « Nous voulons qu’on nous regarde dans cinq ans, dans dix ans, comme un modèle de ce qu’il faut faire”. [3]

Il va de soi que c’est au contraire comme un modèle de ce qu’il ne faut pas faire que Trump entrera dans l’Histoire. D’abord, parce qu’il nie la réalité du changement climatique. Parce qu’il a dénoncé l’accord de Paris sur le climat (bien que totalement insuffisant, cet accord a l’avantage de fixer un objectif : 2°C maximum de réchauffement et « continuer les efforts pour ne pas dépasser 1,5°C »). Parce qu’il fait tout pour relancer l’exploitation du charbon et pour soutenir celle des sables bitumineux du Canada (relance des pipelines Keystone XL et Dakota). Parce qu’il veut couper les financements publics aux chercheurs qui travaillent sur le réchauffement. Parce qu’il fait du pathos sur Houston mais se soucie comme un poisson d’une pomme des catastrophes climatiques au moins aussi graves dans les pays du Sud, comme les Philippines (qui ne portent pratiquement aucune responsabilité dans le réchauffement). [4]

Touchez pas au secteur immobilier

Mais la catastrophe d’Houston met en lumière une deuxième raison pour laquelle Trump est le contraire d’un modèle : l’appétit de lucre des patrons du secteur immobilier, dont il fait partie. La spéculation et le bétonnage battent leur plein dans le comté Harris, comme dans la plupart des régions côtières. Trente pour cent des terres humides ont été bâties entre 1992 et 2010. Les superficies imperméabilisées par suite du développement immobilier ont grandi de 25% entre 1996 et 2011 [5]. Les biotopes capables d’absorber les précipitations étant largement détruits, les eaux de ruissellement gonflent, débordent les capacités des systèmes d’évacuation et inondent les quartiers.

Une régulation stricte serait nécessaire pour empêcher –dans la mesure du possible – que l’aggravation des catastrophes se solde par une aggravation des effets -d’autant plus dangereuse que la région est truffée d’usines pétrochimiques très polluantes ! Mais le Département de contrôle des inondations du Harris County ne veut rien entendre : ses responsables nient la tendance à l’aggravation des cyclones. Ils dénoncent « l’agenda anti-développement » des scientifiques ainsi que des associations de conservation de l’environnement. Etrange aveuglement. Il faut dire que les sommes d’argent en jeu sont astronomiques et susceptibles, qui sait, de corrompre bien des fonctionnaires…

En juin 2001, la tempête tropicale Allison avait fait tomber près d’un mètre d’eau sur Houston en cinq jours, 73.000 maisons avaient été inondées. Plus de la moitié se trouvaient dans des zones où la probabilité d’inondation était inférieure à 1/100 par an. Vingt-deux personnes étaient mortes et les dégâts s’étaient montés à 5 milliards de dollars. C’était un avertissement. Il n’a pas été entendu : les projets immobiliers ont continué à pousser comme des champignons… en particulier dans les zones dévastées par Allison. Pour le plus grand bénéfice des vampires à la Trump, qui nient le changement climatique et pestent contre les « régulations destructrices d’emploi ».

Vous avez dit « Lutte de classe » ?

Chaque catastrophe a pour effet une chute temporaire des prix dans les zones touchées. Les promoteurs se précipitent alors, pour faire de bonnes affaires. Ils misent évidemment sur le fait que le marché ne tardera pas à repartir à la hausse, ce qui leur garantira une jolie plus-value. C’est un cycle infernal, car chacune de ces vagues d’investissement immobilier a signifié à la fois une augmentation de la ségrégation sociale (contre les travailleurs, les Noirs, les femmes) et une augmentation des surfaces imperméabilisées, donc une augmentation de la sensibilité de la région à la violence croissante des cyclones, donc une multiplication des catastrophes.

Tôt ou tard, cet enchaînement débouchera sur un effondrement durable du marché dans les zones côtières les plus exposées. Que feront alors les promoteurs et les assureurs ? Ils changeront de terrain de jeux pour répondre à la demande des riches de vivre en sécurité sur des terres plus élevées… A Houston, il s’agit de quartiers tels que Little Haïti et Liberty City, habités par des salarié-e-s à petits revenus, avec une forte proportion de Noirs et de femmes [6]. Comme à New Orleans après Katrina, les pauvres seront les dindons de la farce. Vous avez dit « Lutte de classe » ?
 


[1How Climate Change Likely Heightened Harvey’s Fury, National Geographic, 28/8/2017.

[2Boomtown, Flood Town, The Texas Tribune and ProPublica, 6/12/2016.

[3Trump vows vigorous response after viewing Harvey’s devastation, The Hill, 29/8/2017.

[5Boomtown, Flood Town, The Texas Tribune and ProPublica, 6/12/2016.

[6How climate change could turn US real estate prices upside down, The Guardian, 29/8/2017

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