Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Autour du dernier Conseil National de QS

De quelques réflexions à voix haute

Au sortir de ce Conseil National du 11,12 et 13 mai, ce qu’on peut assurément avancer, c’est que la direction actuelle de QS s’en sort, malgré tout, plutôt bien. Surtout si l’on tient compte des imprévus et aléas non négligeables auxquels elle a dû faire face récemment : qu’il s’agisse de l’accident en ski de Manon Massé qui l’handicapera pour de longs mois, ou encore du départ annoncé d’Amir Khadir dont tout le monde pressent combien sa longue expérience politique risquera de manquer à tous et toutes.

En effet, alors que s’annonce une campagne électorale cruciale pour l’avenir de QS, ce qui à première vue saute aux yeux, c’est non seulement l’assurance de sa nouvelle direction, mais aussi, à travers l’habileté de son seul porte-parole valide, l’impression que QS sait très précisément où il s’en va, s’étant doté d’une nouvelle stratégie électorale, soigneusement planifiée et présentée comme revêtant a priori tous les atours du succès. Mais justement est-ce si sûr, est-ce si simple ?

Entre volontés de rupture... et revendications concrètes

De quoi s’agit-il ? En fait, comme l’a expliqué Simon Tremblay Pépin dans un des ateliers de la fin de semaine, il s’agit dans le contexte électoral, d’apparaître comme le parti de la "rupture", d’une rupture entre "l’élite" (incarnée par les 3 grands partis, PLQ, CAQ, PQ) et "le peuple" dont QS aspirerait, en tant que parti, à stimuler puis incarner les profondes aspirations au changement.

Mais pour y parvenir, pendant la campagne électorale, QS ne fera plus ce qu’il s’était surtout employé à faire en 2014, en se présentant comme le champion de grandes et larges propositions, notamment sur le pays, ou sur l’environnement ou encore sur l’égalité, etc. Car cela avait eu le défaut de le faire apparaître comme un parti sans doute plein de bonnes et louables intentions, mais finalement peu dangereux pour ses adversaires et par conséquent susceptible d’être facilement mis sur la touche et rejeté du revers de la main par l’électorat.

D’où l’idée de se définir, cette fois très clairement « contre », contre les trois grands partis institutionnels et néolibéraux, et de le faire sur un mode pédagogique à travers des propositions très concrètes, tout à la fois marquant notre différence et pouvant être facilement compréhensibles par chacun : par exemple l’assurance dentaire, le salaire minimum à 15$, le non-financement des écoles privées, la réduction des écarts de salaire entre patrons et employés, et la toute nouvelle annonce faite au cours du Conseil National, d’une diminution de 50% des prix payés par les usagers pour tous les transports en commun de la province.

Revendications concrètes versus propositions générales

Pourtant, même si la démarche parait à première vue cohérente, même si elle tente de s’appuyer sur l’expérience du printemps 2012 au cours de laquelle une revendication très simple (Non à la hausse !) était parvenue à coaliser de larges secteurs de la population, elle fait néanmoins l’impasse sur quelque chose de décisif : le fait que le discours d’un parti politique ne peut pas se réduire à celui d’un mouvement social, car il doit revêtir nécessairement, puisqu’il s’adresse à une collectivité prise dans son entièreté, une dimension plus large et générale, toujours quelque part englobante, en quelque sorte universelle.

Cela ne veut pas dire bien sûr qu’il faille éviter les propositions concrètes, mais cela veut dire que celles-ci devraient toujours être combinées à un discours plus large, à des propositions plus globales, à un récit collectif qui, en période électorale, rappelle en même temps nos grands objectifs sur le long terme et surtout le chemin que nous comptons emprunter pour y arriver. À fortiori quand on aspire, comme c’est le cas de QS, à des transformations structurelles majeures, à ce que la direction actuelle de Québec solidaire appelle « la rupture » ou la « conflictualité ».

Quand par exemple Amir Khadir rappelle —il l’a fait encore tout récemment— que les mesures proposées par QS nécessitent à termes de penser à un dépassement du capitalisme, ou encore quand il rappelle, ainsi qu’il s’y est employé en début de Conseil, que dans la conjoncture actuelle, nous guette comme jamais le danger de la montée de sentiments identitaires et xénophobes grandissants et dans leur sillage, celui de la division dans nos propres rangs, il parle en termes politiques généraux. Mais ce faisant, il ne s’enferme pas pour autant dans un discours idéologique, rébarbatif, improductif et incompréhensible pour le commun des mortels. Non, tout au contraire, en fonction d’une lecture engagée des temps présents, il propose des clefs, et sans doute des priorités, pour comprendre ce qui se joue ici et maintenant. De manière politique, en s’appuyant sur une lecture de la conjoncture, il donne un sens, unifie, rassemble et noue, hiérarchise ce qui est a priori fragmenté. Plus que tout, il trace un horizon qui donne sens aux obstacles qui sont devant nous, comme aux revendications très concrètes que nous avançons. Il fait apercevoir tout ce qu’il manque encore pour que puisse s’effectuer une véritable rupture.

Autour du chemin stratégique de l’indépendance ?

Mais une fois admis ce principe —celui d’un discours politique global se combinant à des propositions concrètes— il reste à savoir comment dans le cas de QS, et dans la conjoncture électorale que nous connaissons, on pourrait y arriver réellement.
Et là, on le sait, chacun tend à y aller à partir de sa propre chapelle : qui la question sociale, qui la question écologique, qui la question féministe, qui la question indépendantiste, etc. Tous arguant qu’elles ont, chacune à leur manière, quelque chose en soi de « tranversal ».

En fait le défi est bien là : celui d’apprendre à combiner ensemble et dans un seul et même discours pour le Québec d’aujourd’hui, ces diverses dimensions de l’action politique, sans en oublier aucune, et surtout sans oublier la question décisive en politique : celle du chemin que l’on se propose de prendre pour y arriver. Car c’est à l’aune de cette dernière ainsi que des impératifs stratégiques qu’elle implique, qu’un parti pourra véritablement grandir, devenir une force qui compte, a fortiori s’il aspire à des transformations de fond.

Et peut-être, dans le cas du Québec d’aujourd’hui, aux prises avec les bouffées identitaires évoquées plus haut, est-ce autour de l’indépendance que nous devrions justement organiser –au-delà même de toutes nos revendications concrètes— ce discours politique métissé plus global dont il nous manque encore à appréhender toute la force ? [1] Ne serait-ce que parce qu’une grande partie de l’électorat que nous voulons rejoindre ou capter, reste encore profondément touché par cette question. Ne serait-ce aussi parce que l’indépendance —par la citoyenneté civique qu’elle promeut— pourrait représenter un formidable garde-fou positif contre la peste de la xénophobie rampante et du racisme.

N’y aurait-il pas là en tous cas matière à réflexion, pour mieux orienter la campagne électorale qui s’en vient, et au passage donner un sens véritable à la fusion que nous avons entérinée avec Option nationale ?

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste (dernière publication : Les stratèges romantiques, remédier aux désordres du monde contemporain)


[1Par exemple dans un tel discours, l’indépendance pourrait être conçue comme le véhicule concret permettant la redéfinition en acte de la société québécoise à partir de bases féministes, écologistes, sociales et inclusives. En somme, l’indépendance, correspondrait à ce processus institutionnel et politique à construire à travers lequel pourrait peu à peu se bâtir au Québec un nouveau projet de société.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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