Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

De quoi ma famille est-elle le nom ? Lettre à un solidaire de ma famille

Il y a un peu plus d’une semaine avait lieu le vote pour décider qui, entre Marie-Ève Duschene et Catherine Dorion, représenterait Québec Solidaire dans Taschereau. Pour Pour la plupart ce fut un choix évident, pour d’autres ce fut une décision déchirante, moi y compris. On a expliqué ce résultat par un « effet Catherine Dorion ». Chez certains et certaines, cet « effet » laisse un goût amer. Depuis une semaine, les fils de discussion se sont animé. Mais encore plus, j’ai l’impression qu’il y a des mots qui n’ont pas été dits, qui restent à dire. Je crains que certains se campent en silence dans leur position, et que nos affinités ne soient plus du tout électives. Retour sur la course à l’investiture de Québec Solidaire dans Taschereau, dans un bref texte que je devais écrire et que j’ai commencé vendredi, entre minuit et deux heures, comme le titre de la chanson de la semaine de Sylvia à l’émission Québec, Réveille ! sur CKIA-FM. 

Il y a une dizaine de semaines, un ami m’a approché pour m’inciter à prendre ma carte de membre et donner un coup de main à une candidate près de nous qui se présentait dans notre circonscription. À ce moment-là, je me suis fait désigner comme appartenant à une « famille politique ». C’était, je dois le dire, un terme qui était autant consacré dans ma tête que « case de stationnement ». J’avais déjà entendu ça, mais il y avait là une nouveauté. J’en appréciais le geste, car il y a quelque chose de chaleureux à se faire rattacher à un tout, à une unité qui est plus grande que soi.

Les semaines ont passé, j’ai fini par prendre ma carte, ce qui me permettrait de dire là où je me situe dans cette course à l’investiture et voir à quelle branche de cette famille j’appartenais. Quelques débats ont eu lieu, j’ai attrapé le premier et, peut-être à cause d’une seule question, mon idée était faite. J’ai aussi échangé quelques phrases avec une des candidates lors de la soirée de financement du Festival contre le racisme. Mes quelques phrases se résumaient à une logorrhée sur mon enthousiasme pour la politique cette année, avec la récente élection d’un rejeton, tout comme moi, de Beauport Nord. Mon jovialisme est sans doute lié au fait que le discours de la Coalition Avenir Québec perce un peu partout chez nous et qu’il y a un renouveau au municipal avec l’élection dans Sainte-Thérèse-de-Lisieux du chef de l’opposition officielle à la mairie. Et j’ai aussi dit que la course à l’investiture dans Taschereau m’animait. Je crois que je n’avais jamais vu autant de mes proches se mobiliser, parler d’un parti et les voir se projeter à travers leur candidate dans les débats parlementaires.

La preuve en est que dans la file d’attente pour déposer mon bulletin, le soir du vote au Club social Victoria, je me suis surpris à dire à un collègue quelque chose comme : « c’est étonnant de se voir ici, habituellement on se croise seulement dans des manifestations ou dans des organismes communautaires ». Ça prouvait aussi notre appartenance commune à une famille politique.

Dès les premiers pas dans la file, je revoyais des visages que je n’avais pas vus depuis un moment, que je savais qu’ils étaient associés de près ou de loin au politique sans toutefois être capable de les caser. Quelques pas encore et il fallait choisir une candidate et par là une famille politique.

Pour être bien sincère, je ne crois pas que j’aurais mis les pieds là, au Club social Victoria, si on ne m’avait pas interpellé et dit « eh toi, t’es de la famille ». Disons que les parlementaires nourrissent un peu beaucoup mon apathie et l’on se rend compte, que ce soit chez nous ou sur d’autres continents, que l’on est continuellement dans des dynamiques de campagnes électorales, avec leurs grandeurs et misères. J’étais donc venu là pour la famille, mais entre-temps, les débats et discussions m’avaient amené à me poser des questions.

J’ai été à la lettre correspondant à mon nom, et là il me fallait voter pour la candidate qui avait les qualités idéales pour poursuivre le travail de Québec Solidaire à l’extérieur de l’île de Montréal, soit son enracinement, son respect des pratiques démocratiques et sa capacité à porter les revendications communautaires et citoyennes à l’Assemblée nationale. Le bulletin de vote dans les mains, je me disais à la fois : on ne peut pas voter seulement pour la candidate qui parle le politique dans « plus d’une langue » ou seulement pour celle qui parle la langue du milieu communautaire et militant. La décision fut difficile, déchirante j’ai dit, et je me suis dirigé vers la grande salle.

C’était festif, plein de visages, de gens liés au théâtre dans un coin, du monde de Subvercité, d’autres du cinéma, des militants de longue date de Taschereau, des amis de l’école, et un membre fondateur du parti municipal le Rassemblement populaire avec qui j’aurais bien voulu aller échanger au moins quelques mots.

Les résultats sont sortis, les discours ont eu lieu, et celles et ceux qui avaient à être bien contents ont été bien contents, et d’autres ont applaudi poliment. J’ai applaudi sincèrement et, comme des fois où l’on se regarde faire quelque chose, j’étais tout comme entraîné par l’élan des bien contents. L’enthousiasme est redescendu assez rapidement pour une partie des gens au Club social Victoria et la salle s’est vidée au même rythme. J’ai fini les quelques gorgées de mon breuvage et j’ai pris la porte.

Il y a des moments comme ça où on n’a pas la tête à s’éterniser. J’ai placoté, à peine, et suis rentré à la maison. En route, j’ai texté tout bonnement un ami : « Quand on vote blanc, on gagne ou on perd ? ». Il m’a répondu tout de suite : « Je sais pas, ça, c’est toi qui sais ».

Je trouvais ça assez absurde d’avoir annulé mon vote dans une campagne à l’investiture comme cela. Mais je n’avais pas été capable de me positionner autrement, incapable d’appuyer le « plus d’une langue » sans ancrage communautaire et incapable de me satisfaire de l’unilinguisme communautaire et militant.

Par ce geste, ai-je nié mon appartenance à ma famille politique ? Est-ce que dans ce contexte-là je voulais obtenir une double appartenance ? Je crois qu’avec ce geste-là, j’ai voulu signifier une chose, l’aspiration d’appartenir à « plus d’une famille ».

À peine une heure avant la fin du vote de l’investiture, ce soir là, j’étais à l’assemblée générale annuelle de la Table de quartier Engrenage de Saint-Roch. Au début de la rencontre, un tour de table nous a amenés à nous connaître, à se nommer et dire brièvement qui on représente. Les gens présents se sont nommés, telle personne du comité de défenses des droits pour les gens en maisons de chambres, telle autre des Centres jeunesse-emploi, de la Joujouthèque, etc. Une dame à la fin du cercle s’est présentée, a dit son nom, et a ajouté, de façon laconique, « je fais partie de Saint-Roch ».

Rien de surprenant que l’on s’identifie au quartier d’où l’on vient, mais j’étais surpris de voir à quel point elle avait cerné son appartenance à un tout plus grand qu’elle. Un vieux Grec disait dans ce sens que la cité est une « famille de familles », qu’elle regroupe les familles en une totalité. Je n’aime pas tant parler en spectres politiques, mais le parti est censé jouer le même rôle que la cité, de regrouper des familles politiques dans une appartenance plus grande.

Ce qui devient l’enjeu des enjeux n’est pas tant qu’il y ait tout de suite une réunification de ces quelques familles d’un même spectre. Je n’ai aucune expérience des courses à l’investiture comme celle que l’on a vécue dans Taschereau ou Jean-Talon, mais il y a tout comme un forçage de réconciliation qui va à l’encontre dans le moment, du désir et des aspirations de certains.

Ce qui presse à mon avis, c’est qu’il y ait un renouveau dans nos façons d’entrer en relation, de jouer à ce qu’il y ait rencontre, particulièrement quand on sait que l’on est dans l’entre-soi, avec les nôtres, et que l’on fréquente des gens qui ne pensent pas comme nous ou qui ne sont pas encore reconnus comme des alliés.

Tout est déjà là pour que ce jeu de la rencontre se fasse dans plus d’une langue, qu’il y ait une appartenance à « plus d’une famille » et que l’on ait identifié une cause ou des raisons communes. Ce n’est quand même pas donné d’avance de rendre l’interaction des croyances fructueuses. Et on est sans doute toujours trop attaché au monolinguisme de notre propre charte des valeurs qui se dit toujours plus inclusive.

Peu importe le groupuscule, qu’il soit rouge et noir, pas assez antifasciste, trop artistique, trop ouvert au dialogue, complètement blanc ou sans ancrage communautaire, il y a une possibilité de parler ensemble, de faire se rencontrer nos affinités dans plus d’une langue, si on y met du sien dans le dialogue.

C’est le même phénomène dans la politique, l’art et les communautés scientifiques, ça fait des cliques qui se soudent autour d’un consensus. Et l’on ne réussira jamais à reconnaître nos raisons communes, à désamorcer nos préjugés, si on reste campé dans l’entre-soi.

J’aimerais bien que ma famille soit le nom d’une gauche inclusive, qui soit intéressée à dialoguer avec ce qui est différent, ce qui ne lui correspond pas encore dans son devenir. Et ce qui ne lui correspond pas pour le moment peut aussi bien être identitaire, partisan, artistique ou entrepreneurial.

Enfin, quand on dit « et plus si affinités », cela signifie que l’on puisse avoir plus d’effectivité qu’à présent, si nos affinités sont réellement électives. Et pour cela, j’ai le sentiment qu’il faut que se rencontrent la langue qui est la mienne, celle de l’autre, et qu’il y en ait au moins une en plus.

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