Édition du 16 avril 2024

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Éducation

Déclaration du 4 mai 2012 : appel à sortir du cirque et de l’encadrement du spectacle

Pendant que les médias québécois débattent de questions triviales - vote secret, indexation, position du PQ, « violence » - ce sont étrangement les journalistes étrangers qui semblent le mieux à même de saisir l’importance de la lutte que mènent les étudiant-e-s du Québec.

Selon le Guardian britannique : les étudiants du Québec sont « the most powerful challenge to neoliberalism on the continent » (le plus important défi pour le néolibéralisme du continent). Même Paris Match, le journal people français, s’interroge : « Le premier grand mouvement socio-écologique est-il en train de naître dans la Belle Province ? Rarement, en tout cas, revendications économiques, sociales et environnementales n’ont paru aussi imbriquées à une telle échelle et sur une telle durée. C’est sans doute l’un des aspects les plus novateurs de ce « printemps érable » ». Même si les chroniqueurs s’acharnent à faire passer le mouvement étudiant pour un mouvement particulariste, on doit constater que le printemps québécois, au même titre que le printemps arabe, est en lutte contre un système global et une élite détachée, mensongère et corrompue.

Que ce soit de la part des médias, du gouvernement et soi-disant experts, nous avons affaire systématiquement à une entreprise de dépolitisation de la lutte étudiante. On ne veut pas, en effet, entendre la parole des étudiant-e-s, et l’on ramène toute l’affaire à une question procédurale et technique. Force est de constater que, d’une part, cette dépolitisation atteint un sommet lorsque par tous les moyens, le gouvernement oppose les droits prétendument individuels aux droits collectifs, alors que : l’individu ne peut exercer ses libertés que dans un monde commun et dans le cadre d’une communauté d’appartenance. Et d’autre part, les droits confinés à l’individu accentuent l’isolement de cet individu et le réduisent à l’état de consommateur, lequel est par définition censé jouir de son acte solitaire. Jamais un individu seul ne peut faire société, c’est-à-dire agir politiquement dans et pour le commun.

À preuve, le pouvoir politique et médiatique impose une grille de lecture qui avance que la grève étudiante est un « boycott ». La violence de l’État (matraquages, grenades, répression) se double d’une violence symbolique qui est d’autant plus pernicieuse qu’elle impose les cadres de pensée orwelliens avec lesquels il faut, selon elle, comprendre ce qui est en train d’arriver. Alors que même le Guardian reconnaît que l’État ne cédera pas même un pouce sans qu’il y ait soulèvement populaire massif, nos propres journaux et télévisions déplorent le manque d’ordre et de sécurité. Mais le désordre n’est pas imposé par les étudiant-e-s : il est l’expression de la nature même du capitalisme financier, dont le modus operandi est la destruction du monde commun. Il est ainsi clair que la sécurité dont on nous rabat les oreilles est l’injonction de se taire et de s’adapter constamment à la fuite en avant d’un système qui ne répond plus qu’aux exigences de sa propre croissance infinie.

En cette période cruciale où tous et toutes avons le sentiment de avons le sentiment perdre le contrôle et la mainmise sur ce qui advient de notre appartenance commune et de la maintenance de nos vies, il est urgent de rappeler que la signification profonde du mouvement initié par les étudiant-e-s s’oppose à la fausse émancipation libérale qui pose la liberté personnelle comme seule réponse à la crise générale de la société. Cette pseudo-liberté est une fuite en avant vers la guerre de tous contre tous. Or, il n’y a véritablement de liberté individuelle que dans son incarnation et son expression collectives. Ce que les étudiant-e-s expriment, c’est le refus de la perte du monde commun. Les étudiant-e-s ont bien compris que le chantier de démolition qui tient lieu d’avenir qu’on leur offre est non seulement une insulte à l’intelligence, mais aussi une impasse civilisationnelle. Les étudiant-e-s n’ont rien à perdre que leurs dettes, ils ont un monde à se réapproprier.

Éric Martin, professeur, philosophie, Édouard-Montpetit
Benoît Coutu, chargé de cours, sociologie, UQAM
Sarah-Nadine Lanouette, professeure, philosophie, Lionel-Groulx,
Maxime Ouellet, professeur associé, école des médias, UQAM
Jean-Michel Marcoux, chercheur indépendant
Daphnée Poirier, professeure, sociologie, St-Jean-sur-Richelieu
Éric Pineault, professeur, sociologie, UQAM
Jacques-Alexandre Mascotto, professeur associé, sociologie, UQAM
François L’Italien, chercheur post-doctoral, Université Laval

Éric Martin

Chercheur à L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Membre du Collectif d’analyse politique (CAP)
Doctorant en pensée politique, Université d’Ottawa

ERIC.MARTIN@uottawa.ca

Maxime Ouellet

Chercheur à l’IRIS et co-auteur de Université Inc.

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