Édition du 16 avril 2024

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Europe

Deloitte sur le banc des accusés dans l’affaire Bankia

Les grands cabinets d’audits, également appelés les « big four », conseillent les multinationales en leur indiquant les méthodes les plus efficaces pour utiliser au mieux les législations fiscales des différents pays et ce, ...afin de mieux les contourner. « Avec nos 540 avocats répartis sur le territoire, nous sommes en mesure d’analyser ces changements [législatifs qui ont lieu dans ce contexte de crise] et de conseiller nos clients au mieux pour qu’ils intègrent les nouvelles lois dans leur entreprise », explique François Blin de Deloitte Espagne, lors d’un entretien en mai 2011. |1|

20 juin par Jérôme Duval | site du CADTM

À plusieurs dizaines de millions d’euros l’audit pour les plus grosses multinationales, le marché est irrésistible. En Espagne, les entreprises cotées en Bourse (Ibex 35) auraient dépensé 184,8 millions d’euros en 2015 pour les services d’audits, de contrôle de risques et de conseil, soit une augmentation de 8,44 % par rapport à l’exercice antérieur. Deloitte s’octroie la plus grosse part du gâteau empochant en 2015 108,97 millions d’euros (+ 9,18 %), tandis que Ernst & Young récolte 55,17 millions d’euros et KPGM 12,45 millions. |2|

Les deux plus grandes faillites de l’histoire récente espagnole : Bankia, |3| groupe financier issu de la fusion de Caja Madrid et de six autres caisses d’épargne, et la multinationale Abengoa ont un point commun : elles ont toutes deux exclu Deloitte suite aux scandales et procédures judiciaires dont la société d’audit a fait l’objet... L’État, via l’Institut de Comptabilité et Audit des Comptes (ICAC) dépendant du ministère de l’Économie, a infligé une amende de 12,4 millions d’euros à Deloitte pour avoir avalisé les résultats financiers présentés par Rodrigo Rato, alors président du groupe financier Bankia, et actuellement poursuivi pour blanchiment de capitaux et corruption. Cela avait permis l’entrée en Bourse de Bankia le 20 juillet 2011. Deloitte, dans un clair conflit d’intérêt, se rendait juge et partie en étant à la fois la société responsable d’auditer la banque et le consultant chargé d’en certifier les comptes. D’après l’ICAC qui a infligé l’amende, Deloitte est « responsable d’un très grave manquement ayant commis une infraction continue à l’obligation d’indépendance ». En 2012, Deloitte a facturé 490 000 euros à Bankia pour conseiller l’équipe de Rodrigo Rato afin d’atteindre les exigences européennes en matière d’assainissement bancaire. Suite à l’effondrement spectaculaire de Bankia occasionnant des pertes de près de 3 milliards d’euros, le gouvernement organisa son sauvetage avec l’argent public des contribuables |4|. Le 20 juin 2016, le représentant légal de Deloitte et Francisco Celma Sanchez, responsables de l’entrée en Bourse de Bankia, devront s’asseoir sur le banc des accusés et répondre aux avocats de 15MpaRato |5|, l’association citoyenne qui a lancé l’affaire Bankia et qui les accuse de « responsabilité directe » de « fraude massive ». |6|

Les révélations des Panama papers nous rappellent au passage que le cabinet de Gibraltar qui gérait les sociétés de l’ex-président de Bankia Rodrigo Rato à l’étranger, Finsbury Trust & Corporate Services Limited, a fait appel au cabinet Mossack Fonseca en 2013 pour liquider Westcastle Corporation et Red Rose Financial Enterprises, les deux entreprises panaméennes offshore que Rato a utilisées durant plus de deux décennies pour cacher sa fortune. Auparavant, entre le 10 juin 2012 et le 11 février 2014, Rato qui a également occupé les postes de vice-président du gouvernement espagnol et directeur du FMI avait pris soin de transférer les 3,6 millions d’euros (3.672.410 euros) de ces 2 sociétés vers ses propres comptes. Red Rose Financial Enterprises a commencé à fonctionner en novembre 2005, quand Rato était encore directeur du FMI, jusqu’à ce que la société soit officiellement dissoute le 12 juillet 2013. Le même sort fut réservé à Westcastle Corporation qui disparaît le 23 décembre 2014 après deux décennies de « services ». Les manœuvres opaques de l’ex-président du FMI, qui tentait de faire disparaître de nouvelles traces suspectes de ses activités frauduleuses, constituent un énième scandale qui entache un personnage au parcours pour le moins occulte, en lien avec l’institution de Washington (FMI), le Parti Populaire espagnol, Bankia et Deloitte... |7|

Notes

|1| « Trois questions a François Blin, associé de Deloitte España », propos recueillis par Vincent Garnier, 17 mai 2011. http://www.lepetitjournal.com/madri... Dans cet entretien, on apprend qu’en 2011, Deloitte en Espagne comptait plus 4 000 employés et le groupe réalisait un chiffre d’affaires de 459 millions d’euros, soit environ 2,5% du chiffre d’affaires mondial.

|2| « Las firmas del Ibex 35 gastan un 8,4% más en auditores, hasta 185 millones », Araceli Muñoz, 25/03/2016. http://www.eleconomista.es/empresas...

|3| Bankia a décidé de remplacer Deloitte par Ernst&Young en mai 2013

|4| Lire à ce propos : « Le royaume d’Espagne saigne sa population pour sauver ses banques privées », Jérôme Duval, août 2012. Voir : http://cadtm.org/Le-royaume-d-Espag...

|5| Voir : https://15mparato.wordpress.com/

|6| « Hoy @15MpaRato pedimos la investigación de Deloitte por complicidad en la estafa de Bankia », 12 avril 2016. https://15mparato.wordpress.com/201...

|7| “Según documentos a los que ha tenido acceso El Confidencial, el bufete de Gibraltar que gestionaba las sociedades de Rato en el extranjero, Finsbury Trust & Corporate Services Limited, contrató a Mossack Fonseca en 2013 para liquidar Westcastle Corporation y Red Rose Financial Enterprises, las sociedades ’offshore’ que utilizó durante más de dos décadas el exvicepresidente del Gobierno para esconder su fortuna. » Voir : « Rato cerró dos ’offshore’ panameñas tras sacar los 3,6 millones que ocultaban », El Confidencial, 17 avril 2016 et http://www.eldiario.es/economia/Rod...

Jérôme Duval

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

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