Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

Entrevue avec Ta-Nehisi Coates à propos de Charlottesville, du président Trump, des etats confédérés, des réparations et plus

Introduction : Pour sa première entrevue importante depuis l’assermentation du Président Trump, Ta-Nehisi Coates rencontre Democracy Now ! Il est correspondant national pour le magasine The Atlantic. Il y traite de culture, de politique et d’enjeux sociaux. En octobre, il publiera son dernier livre intitulé We Were Eight Years in Power : An American Tragedy. En 2015, il a gagné le National Book Award pour Between the World and Me, un essai.

Democracy Now ! 15 août 2017 | Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

DN, Amy Goodman : (...) Deux jours après qu’un sympathisant nazi ait foncé dans la foule de manifestants-es qui protestaient contre cette idéologie à Charlottesville en Virginie, le Président Trump, finalement, condamne la violence des tenants-es de l’idéologie de la suprématie blanche. Une personne y est décédée et 19 autres blessées. Mais que fera la Maison blanche pour faire cesser cette violence qui ne fait qu’augmenter ?. (…)

TA-Nehisi Coates : Je pense qu’un des problèmes dans ce qui se dit autour du racisme, ce que j’ai tenté de rendre clair dans mon livre, en tenant compte de tout le pays, c’est la notion que, d’une certaine façon, seule la population noire est en danger (à cause de cette idéologie). Pourtant, je suis ici aujourd’hui pour dire qu’elle met toute la population en danger.

(…)

DN, Juan González : Nous allons donc examiner les retombées de la violente attaque de samedi à Charlottesville. (…) Lundi, le jeune conducteur, James Fields a été déféré à la cour.

Au point de départ, le Président Trump n’a pas condamné directement les suprématistes blancs. Il a plutôt déclaré que la violence était venue de « plusieurs côtés ». Lundi, devant la multitude de protestations dans la rue et dans le monde des affaires, il a finalement condamné la violence mortelle des tenants-es de la suprématie blanche.

(…)

La revue Foreing Policy a révélé l’existence d’un récent bulletin du FBI et du Département de la sécurité intérieure qui concluait que les groupes défendant la suprématie blanche étaient : « responsables de 49 homicides lors de 26 attaques entre 2000 et 2016…. soit plus que n’importe quels mouvements extrémistes au pays ». Il est précisé dans ce rapport, que : « Les minorités raciales étaient les principales victimes de cette violence. Viennent ensuite, les Caucasiens-nes et d’autres tenants-es de l’idéologie perçus-es comme déloyaux au mouvement ».

A.G. : Malgré ces révélations, l’administration Trump a diminué les subventions aux organisations qui se consacrent à la lutte contre la violence de droite. Ta-Nehisi, je veux commencer par vous demander votre réponse aux événements de Charlottesville et à la réponse du Président Trump.

Ta-N. C.  : Ma réponse ? C’était prévisible. Pendant les 8 années qui ont précédé l’arrivée du Président Trump, l’opposition n’a pratiquement agi qu’en opposition au Président (Obama) avec une plateforme reposant sur de fines couches de racisme. Cela ne veut pas dire que les politiciens-nes soient des racistes de droite, mais quand ils ont accusé le Président Obama d’être né hors des États-Unis, ces politiciens-nes ne se sont pas élevés-es contre cette déclaration. Quand le leader de la majorité de l’époque, John Boehner a déclaré que le Président n’avait jamais occupé un vrai emploi, personne ne s’est élevé contre. Quand Newt Gingrich a qualifié le Président Obama de Président « des timbres d’alimentation » (programme d’aide à l’alimentation des pauvres), ils et elles n’ont rien dit non plus. Donc, au moment des élections de 2016, on se retrouve avec toute cette haine et tout ce racisme bien solidement installés dans la base du parti.

Donc, l’idée que le Président Trump, ou plutôt que D. Trump pouvait devenir président, qu’il allait devenir le candidat gagnant, n’est pas du tout surprenante. On pouvait s’attendre à ce que cet individu, Trump lui-même, qui avait été le détenteur de l’idée de la naissance hors territoire du Président Obama, qui a une longue histoire de racisme qui remonte aux années 1970 quand il fut accusé de pratiquer la discrimination dans ses édifices à logements, dans les années 1990 quand il a voulu la peine de mort pour les 5 de Central Parck (jeunes noirs accusés de viol d’une joggeuse) qui ont été exonérés plus tard, quand il a déclaré qu’il ne voulait pas que des personnes de race noire comptent son argent dans ses casinos, on pouvait s’attendre à ce que cette personne, ce personnage, cette figure politique allait s’appuyer sur cette énergie raciste accumulée dans le Parti (républicain) pour devenir Président. On pouvait aussi s’attendre à ce que la réaction à cette élection soit violente. C’est déplorable, mais prédictible. Personne ne devrait donc être surpris.

J.G. : Je voulais vous demander votre idée à propos de ce ralliement « Unite the Right », de la résurgence de l’idéologie de la suprématie blanche partout dans le pays singulièrement en protestation contre le déboulonnement des divers monuments et statues des confédérés à travers le pays, que la sauvegarde de ces statues de confédérés devienne un point de ralliement pour le mouvement de la suprématie blanche ?

Ta-N.C.  : Et bien ça a du sens. La guerre civile a été la guerre la plus mortelle de toute l’histoire américaine. Le nombre de morts et blessés durant cette guerre est plus élevé que celui des autres guerres, de toutes les autres guerres réunies. Plus de personnes y sont mortes que le total des Américains-es tués-es et blessé-es à la seconde guerre mondiale, à la grande guerre 14-18, à celle du Vietnam, etc. Et c’était une guerre pour la suprématie blanche. C’était une guerre pour ériger un État dont les bases reposeraient sur l’esclavage de la population noire. Alors, ces forces dont je parle, ce ralliement, sortent de la base du Parti républicain ouvertement activées par D. Trump et soutiennent la cause de confédérés ; c’est complètement sensé.

J.G. : Bon. De massives manifestations contre les suprématistes blancs et l’administration Trump se poursuivent partout dans le pays ce lundi depuis les rues de Caroline du nord où un foule de militants-es a décapité une statue de confédérés à Durham jusqu’aux halls de Washington où trois P.D.G. se sont retirés du Conseil des manufacturiers du Président Trump parce qu’il n’a pas condamné assez vite la violence suprématiste blanche à Charlottesville au cours de la fin de semaine. À Durham, la foule des manifestants-es scandait : « Nous sommes la révolution » pendant qu’une femme montait dans une échelle, nouait une corde autour du la tête du Monument aux Soldats confédérés devant le vieux palais de justice du comté et tirait la statue au sol. La foule s’est fendue d’applaudissements.

(…)

A.G. : Pendant ce temps, à Nashville au Tennessee, des militants-es se sont rassemblés-es au pied du buste de Nathan Bedford Forrest, général dans l’armée confédérée. Ils lui ont recouvert la tête d’un drap noir et demandé qu’il soit transféré au Capitol. À Gainsville en Floride, des travailleurs-euses ont retiré la statue d’un soldat confédéré du centre ville pendant que des représentants-es de Baltimore, San Antonio et Jacksonville en Floride ont déclaré lundi que des moyens seraient mis en place pour retirer les statues des confédérés des espaces publics. De grandes protestations ont aussi eu lieu à Washington D.C., Naples en Floride et à Minneapolis au Minnesota où des militants-es ont brulé le drapeau nazi. (…) Ta-Nehisi, pouvez-vous nous décrire les groupes actifs durant cette fin de semaine, ce qu’ils représentent et ce que signifie le fait que le Président Trump ait pris deux jours pour condamner la violence des suprématiste blancs ?

TA-N.C.  : He ! bien c’est un peu difficile je pense, ça génère beaucoup de rage. Je ne vois pas à quoi les gens s’attendaient. Il a son histoire propre et il y a quelqu’un à la Maison blanche qui le conseille en ce moment et qui était l’éditeur de Breibart Media. (Journal d’extrême droite. Ce conseiller, S. Bannon a quitté son poste la semaine dernière. N.d.t.) Ce media porte le nom de celui qui a pour ainsi dire complètement coincé Shirley Sherrod durant l’administration Obama. (Accusée injustement elle a dû quitter son poste dans l’administrtion en 2010. N.d.t.) Steve Bannon qui en était le rédacteur en chef, donne à Breitbart le titre de la plateforme de la droite alternative. C’est cette droite qui manifestait (à Charlottesville). Alors, l’idée que D. Trump, étant ce qu’il a toujours été, avec les personnages qui lui ont fourni sa plateforme de droite et qui sont à la Maison blanche pourrait, d’une manière ou d’une autre, s’élever avec vigueur contre la suprématie blanche……Je ne comprends pas d’où vient une telle attente. Il est ce qu’il a dit qu’il était. Vous pouvez dire n’importe quoi à propos de D. Trump, mais pas qu’il ait dissimulé (ses positions). Il est exactement ce qu’il a dit qu’il était. Donc, s’attendre qu’il ait pu s’allier aux opposants-es déclarés-es ou aux ennemis-es de la suprématie blanche, même quand elle était arrogante comme elle l’a été à Charlottesville, je pense que s’est mal s’orienter.”

J.G. : Ta-Nehisi dans la même veine, je voulais vous demander… il est ce qu’il a dit qu’il était durant la campagne (électorale). Il a constitué une commission présidentielle pour le conseiller en lien avec les enjeux d’intégrité dans le vote. (…) Je me demande qu’elle est votre réaction quand vous constatez ce qui se passe maintenant : il s’agit de renverser complètement le processus politique de votation en cherchant ceux et celles qui sont déjà privés-es de leur droit de vote.

Ta-N.C. : Oui. Je ne voudrais pas me répéter mais encore une fois il s’agit d’une bataille en lien direct avec ce qu’il a dit. Voyez-vous, je pense que les gens se concentrent trop sur Donald Trump. Ils oublient que tout ça sort de sa longue campagne, spécialement il y a 10 ans passées alors que nous avions élu notre premier Président noir. Des gens ont voulu le présenter comme un Président illégitime ; une majorité dans l’opposition (républicaine) a fondamentalement accepté, a cru, que le Président était illégitime. L’idée de la fraude électorale a été importée dans le Parti par certains-es politiciens-nes républicains-es. Ce sont ceux et celles qui s’élèvent en ce moment et dénoncent D. Trump.

C’est ainsi que D. Trump a été fabriqué. Il n’est pas séparable de cela. Vous ne pouvez pas, à la dernière minute, alors que quelqu’un est mort, à été tué, prétendre que vous n’y avez été pour rien. C’est le résultat d’un processus. D. Trump n’est pas apparu par magie. Alors, quand vous le voyez invoquer la fraude électorale, demander que certains états lui fournissent les noms d’électeurs-trices, c’est en ligne directe avec ce qu’il a déjà dit. Mais il y ajoute le genre de discours venant de la base du Parti républicain.

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