Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La révolution arabe

Ébullition politique dans le monde arabe :

Nos analystes démunis.

Tunis, le Caire… ; Alger, Rabat, Tripoli ? Les autres potentats du Maghreb se fissureront-il ? Le lot des dictatures du monde arabe goutera-t-il la même médecine ? Serons-nous encore témoins de plusieurs régimes totalitaires qui s’écroulent grâce à l’indignation populaire ? Curiosité que de voir ces masses de personnes souvent sans armes et au péril de leur vie, défier les armées et les tanks ; et obtenir des changements.

Rien de nouveau.

On croit revoir Prague en 1968, Varsovie tout au long des années 1980, Manille 1986, Bucarest/Prague/Leipzig en 1989 ou, à la limite, les révolutions de couleur qui ont démantelé l’ex-Yougoslavie et libéré les peuples de l’ancienne Union des Républiques soviétiques (URSS). On a vu plusieurs des dictatures militaires d’Amérique Latine se faire déloger par la mobilisation populaire et la désobéissance civile à l’aube des années 2000. Les peuples semblent s’être affranchis de certaines peurs, et avoir compris qu’un dictat ne s’impose qu’avec une collaboration des masses.

Comment ainsi se surprendre que le monde arabe y passe maintenant ?

Nous reconnaîtrons qu’il reste, bien sur, à voir comment maintenir les
acquis suite à de telles révoltes ; se transformeront-elles en véritable
révolutions populaires principalement non-violentes ? La question se pose. Mais, en ce moment, ce qui frappe c’est le courage et la discipline des masses unies malgré la répression ; et aussi, la fragilité de dictatures qu’on croyait immuables et de plus, la futilité de l’arsenal militaire contre un peuple écœuré.

Les analystes démunis.

Lorsqu’on a suivi depuis des années, analysé et approfondie l’essence de ces événements, difficile de ne pas esquisser un sourire en écoutant les analystes souvent démunis d’outils pour comprendre ce qui se déroule devant leurs yeux. Par média interposé, certains porteurs de micros attribueront les événements à l’émergence possible d’une idéologie de libéralisme, une guerre des générations, une nouvelle lutte des classes ou un nouveau soubresaut de foi religieuse ….. D’autres voient en l’avènement des médias sociaux l’assise de ces révoltes.

Je présume que dans les Balkans à la fin des années 40, la radio avait
influencé les mobilisations. En 68, à Prague ce fut peut-être la télévision. Dans les années 80 et 90 ont pourrait certainement donner le crédit à l’avènement de l’ordinateur personnel. Et maintenant, à l’aube de cette seconde décennie des années 2000, on attribuerait les soulèvements de masses à l’avènement d’internet et de ses réseaux sociaux. Les " portes micros " de l’info-spectacle ne comprennent plus. Pourquoi la technologie devrait-elle toujours être " le vecteur " du changement ?

Le pouvoir du peuple.

Se peut-il que les masses de jeunes, opprimées, qui n’ont plus rien à
perdre, saisissent simplement l’opportunité qui leur est offerte ? Le
contexte est propice, et suite à un événement déclencheur choc, les jeunes passent à l’action. Est-il possible que les peuples apprennent des erreurs du passé ? La révolution armée serait-elle passée de mode en cette période de sur-militarisation des états ? Les gens auraient compris en cette ère de l’information que la répression est délicate. Belle leçon pour les idéologues de la violence salvatrice.

Pour tenter d’expliquer les événements politiques, on voit donc poindre sur internet divers " porteurs de vérités ". Certains idéologues de gauche, et les adeptes des thèses de complot sont convaincus comme ce fut toujours le cas, que ces mouvements de masses émergent de l’œuvre d’actions secrètes de l’Empire américain. D’autres croient que ces masses auraient été manipulés par de nébuleuses agences à la solde de services secrets (CIA, services
secrets israéliens et même iranien) ; aidée par des fondations privées
américaines. Kadhafi crédite Al Kaida et les drogues. D’autre voient en un manuel intitulé " De la dictature à la démocratie " écrit par Gene Sharp de l’Institut Albert Einstein l’élément déclencheur de ce tsunami social. Les thèses farfelues se multiplieront. Mais rappelons-nous que les idées entourant la non-violence circulent au Maghreb depuis la guerre d’Algérie dans les années 60 ; Jacques de la Bollardière, ça vous dit quelque chose ?

Les idées occidentales en action !

Quelle condescendance ! La simple idée que les visées impérialistes, ou
celles de certains des états se trouvent déstabilisées face aux populations désarmées semble difficile à digérer. Le fait que des détenteurs du pouvoir soient pris au dépourvu et renversés par une population écœurée et déterminée, sans leader identifiable, laisse perplexe. L’idée que des gens puissent être assez intelligents pour saisir la futilité des armes et des armées semble déstabiliser nos observateurs obnubilés par leurs théories du pouvoir politique. Ceux perçoivent le pouvoir politique et économique comme omnipotent restent incrédules. Et si, au contraire, les lieux de pouvoir étaient impotents, fragiles et volatiles. Cette idée en inquiète plus d’un, on ne veut pas y croire et on les comprends.

Sommes-nous tellement conditionnés par une culture du pouvoir immuable, l’adulation de la violence, des armées, des guerres et des armes ; au point d’avoir perdu toute référence ? Avons-nous perdu tout point de repère, ou toute capacité d’analyse capable de mettre en perspective ces phénomènes ? Ces phénomènes politiques deviennent pourtant de plus en plus courants ?

Sommes-nous dépourvus de références au point d’adhérer à de nouvelles thèses de complots ou au pouvoir magique d’extraordinaires percées technologiques ? Pourtant la réalité est simple, un peuple insoumis peut renverser n’importe quel pouvoir, aussi puissant militairement soit-il.

Admirons le courage à son état le plus pur.

Pour une fois, mettons de côté nos idées préconçues ; observons, admirons, et laissons-nous convaincre par l’œuvre admirable de ces populations défiantes, mais disciplinées. Contentons-nous d’observer et de diffuser ce que ces gens font. Ces hommes, ces femmes, ont compris que les États, les armées et les riches qu’ils protègent sont profondément vulnérables. Les dominants ne sont que des statuts de plâtre face à une population qui s’est affranchie de ses peurs, et qui est déterminée à changer les choses. Que tous nos dirigeants
se le disent.

Une telle leçon de courage pourrait bien nous servir lorsque nous voudrons nous affranchir de nos prétendues démocraties à deux partis politiques, toujours aux services de l’entreprise et des mieux nantis. Je suis persuadé que les jeunes d’Angleterre et de plusieurs pays d’Europe observent avec grande attention ces impressionnantes mobilisations jeunesses et leur contagieuse détermination. Certains lieux de pouvoir sentent venir les premières secousses d’un véritable tremblement de terre.

Le message est sans ambigüités. Vous détenez " LE POUVOIR " et de argent. Respectez votre peuple et partagez maintenant, car vous pourriez être le prochain à passer dans le tordeur. Quelle satisfaction que de voir ces Émirs, Pachas, Roi, Conducators, Génies, Duce, Fuhrer, Président, Ministres, Guide de la Révolution, malgré leurs arsenaux trembler devant les peuples et faire des concessions. Même plus besoin de marchands d’armes pour transformer les forces politiques en présence.

On croit rêver !

Pour mieux comprendre les dynamiques de lutte populaires, certains textes :
De la dictature à la démocratie.

Suite à un article publié dans le New-York Times, les média découvrent enfin les travaux de l’Institut Albert Einstein. Ils réfèrent particulièrement à ce livret, qui s’appuie sur les théories - développées antérieurement par l’ auteur et les nombreuses équipes de Harvard ayant travaillé avec lui depuis 30 ans. Les recherches de cet Institut montrent comment des populations excédées par l’oppression d’un agresseur extérieur (ex. en Pologne dans les
années 80), ou par une dictature (ex. Philippines en 1986) ont réussi à se mobiliser pour vaincre une puissance armée réputée invincible.

Ces théories s’appuient sur le fait historique de nombreuses résistances civiles qui se sont produites au XXème siècle et qui ont largement démontré la puissance de populations stratégiquement bien conduites. Quoi de plus rafraichissant que de voir ces théories boudées par les départements de Science Politique depuis des décennies, devenir maintenant des références.
http://www.aeinstein.org/organizations/org/FDTD_French.pdf

Vulnérabilité des dirigeants, la révolte Égyptienne

Le renversement du régime Moubarak restera un exemple historique de la fragilité du pouvoir politique. En 18 jours, dans le cadre de manifestations massives impliquant à plusieurs reprises des millions de personnes et ne créant que peu de victime, le peuple a montré la porte à la dictature.
http://www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=276&Itemid=1

Tunisie : émergence d’une lutte non-violente

Une lutte non-violente émerge pratiquement toujours d’un sentiment d’
indignation précipitée par des événements dramatiques. Le peuple Tunisien, et surtout ses jeunes ont été frappés par le geste dramatique d’auto-immolation du jeune de Sidi-Bouzid. La jeunesse tunisienne s’est immédiatement identifiée au geste désespéré de ce marchand ambulant éduqué.

http://www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=275&Itemid=1


Normand Beaudet du Centre de ressources sur la non-violence

Normand Beaudet

L’auteur est fondateur du Centre de ressources sur la non-violence et
propriétaire d’une entreprise de consultation en informatique.

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