Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Effritement de la démocratie et désinformation

Nous publions deux articles du dossier de la Gazette de la Mauricie

Le premier est intitulé : Nos institutions démocratiques au bord du gouffre. Collaboration spéciale de Jean-Michel Landry.

Le deuxième est intitulé : Donner à voir et à réfléchier de Denis Hébert

À Trois-Rivières, nos élus songent à réduire (de 16 à 13) le nombre de conseillers municipaux. En Mauricie, on se mobilise pour éviter que la circonscription de Saint-Maurice ne soit rayée de la carte électorale. Partout au Québec, les conseils des commissaires scolaires vivent leurs derniers moments, le ministre de l’Éducation ayant récemment scellé leur sort. Notre appareil démocratique ratatine. Et cela contribue au désintéressement pour la chose politique.

Cette cure minceur, nous dit-on, répond à des soucis de « saine gestion » : souci d’efficacité au conseil municipal ; équité de représentation électorale dans Saint-Maurice ; rigueur budgétaire dans les commissions scolaires. Ces préoccupations ne sont pas sans fondements, mais elles masquent un fait essentiel : affaiblir les leviers démocratiques locaux a pour effet d’accroitre la distance qui sépare les citoyens des décideurs. Cette distance réduit notre pouvoir sur les élus. Elle nourrit également un désintéressement généralisé envers les affaires publiques.

Ce désintéressement inquiète pourtant la classe politique, de même que les leaders d’opinion. En témoigne l’apparition de « clips » publicitaires nous incitant à aller voter. Mais gageons qu’acheter du temps d’antenne ne suffira pas à renverser la vapeur. Car au-delà des encouragements à voter, relancer la participation démocratique exige de revivifier nos lieux de pouvoir locaux.levesqus010 (1)

L’exemple des commissions scolaires est éloquent : en 1972, le Québec comptait 284 commissions scolaires ; environ un électeur sur cinq y exerçait alors son droit de vote. Ces 284 lieux de concertation, devenus au fil des fusions et regroupements 84 commissions scolaires peinent aujourd’hui à convaincre un électeur sur 20 d’aller voter. Cette diminution de 70 % du nombre de commissions scolaires s’est donc traduite par une chute de 400 % du taux de participation démocratique.

Un phénomène semblable s’est produit dans le réseau de la santé, où les citoyens étaient appelés à élire des représentants sur les conseils d’administration des différents établissements. Avec les fusions à répétition des établissements locaux pour en faire ce qui est devenu aujourd’hui un méga établissement régional, la place des citoyens dans les lieux de décision du réseau comme le nombre de participants aux scrutins d’établissement ont fondu comme neige au soleil.

Le palier municipal n’a pas échappé à cette tendance. Les fusions municipales, réalisées au nom d’une meilleure efficacité de gestion, ont réduit drastiquement le nombre d’élus au sein des conseils municipaux. En Mauricie, les conseils municipaux de Trois-Rivières, Shawinigan et La Tuque ont absorbé 13 autres conseils à la suite des fusions de 2002. Pour la seule ville de Trois-Rivières, on est passé de 64 à 16 élus. La recherche d’efficacité, justifiée ou non, a un prix, celui d’une moins grande proximité entre le citoyen et son représentant élu.

Même l’Assemblée nationale est touchée par le phénomène. En 1980, alors que 122 députés y siégeaient, un élu représentait environ 53 000 citoyens. Aujourd’hui, elle compte 125 députés, mais le ratio citoyens-élu est passé à 66 000. Pas question d’augmenter le nombre de circonscriptions pour maintenir le ratio d’alors. Au contraire, à des fins d’équité, on préfère en abolir certaines pour en créer d’autres ailleurs dans des zones plus populeuses, même si cela se traduit par une perte de représentativité pour les citoyens des circonscriptions moins populeuses.

Tout semble se mettre en place pour que, au nom de la « bonne gouvernance » les affaires publiques soient gérées par des experts avec, au nom de l’efficacité, le minimum de débats et la plus petite participation possible des citoyens. Tout cela contribue à l’érosion de la confiance des citoyens envers leurs institutions. Alors qu’une adhésion véritable aux institutions démocratiques passe par la participation politique effective du plus grand nombre.

La démocratie est une construction sans fin. La quête d’une vitalité démocratique retrouvée et d’un intérêt citoyen renouvelé pour « le politique » constitue un enjeu de société incontournable. Dans un contexte où s’additionnent les décrets d’abolition des instances de pouvoir locales (les CRE, les CLD, les commissions scolaires), il devient impérieux d’amorcer une réflexion collective sur cet enjeu. En commençant peut-être par l’analyse du lien potentiel entre la disparition ou l’effritement graduel des lieux de pouvoir locaux et le désintérêt des citoyens.


Donner à voir ou à réfléchir ?

Denis Hébert

« L’information est une arme. En démocratie, elle est celle des citoyens » (Bernard Descôteaux, Le Devoir). En effet, pas de participation éclairée des citoyens au débat démocratique sans accès à une information de qualité.

Sachant que c’est cette participation qui fonde et légitime la démocratie représentative, on ne sauarticle denisrait trop insister sur l’importance des médias. Moyens d’expression essentiels pour les acteurs démocratiques, ils jouent un grand rôle dans la formation de l’opinion publique. Or, la capacité des médias à bien jouer ce rôle est de plus en plus menacée par trois phénomènes : concentration de la presse, prolifération des relationnistes et opinionite.

Au Québec, le tirage des quotidiens francophones est détenu à 97 % par deux entreprises (on peut deviner la source du financement de M. Martin Cauchon). Une enquête réalisée en 2008 par la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa révèle que les journalistes syndiqués du Québec s’inquiètent des impacts de cette concentration de la propriété de la presse sur la diversité et l’intégrité de l’information. Selon eux, le sensationnalisme et l’information spectacle menacent de plus en plus le droit du public à une information de qualité. Pour Anne-Marie Gingras, professeure au Département de science politique de l’Université Laval, les médias des entreprises privées font tous plus ou moins directement la promotion des valeurs suivantes : individualisme, respect de l’ordre établi, charité, méfiance envers les organisations de travailleurs, confiance envers le capitalisme et le libre-échange. Dans cette partie de l’espace public sous leur égide, la consommation et l’amusement sont hypervalorisés et l’éventail idéologique va du centre à la droite. Retour sur l’investissement et qualité de l’information ne font en effet pas bon ménage (le fait divers fait diversion, mais il fait aussi recette).

Par ailleurs, Le Devoir nous apprenait l’an dernier qu’on compte au Québec pas moins de six professionnels des relations publiques par journaliste. Or, cette prolifération des relationnistes s’accompagne d’une confusion entre communication et information qui dénature la notion même d’information. Par définition, le relationniste communique uniquement ce qui va dans le sens des intérêts de son client et pratique à sa discrétion un devoir de réserve sur les sujets délicats. Obsédé de crédibilité plutôt que de vérité, c’est un véritable spécialiste de la désinformation.

Enfin, l’opinionite (Tendance obsessive observée chez certains individus à vouloir exprimer à tout prix, avec une énergie hors du commun, et publiquement, leurs opinions sur divers sujets passés, présents et à venir.) est à l’origine de l’émergence dans les médias d’une tendance lourde à vouloir dire aux gens quoi penser plutôt qu’à alimenter leur réflexion, à substituer les chroniques d’opinion aux articles de fond.

Pour conclure, rappelons avec Anne-Marie Gingras que la liberté de presse « ne prend son véritable sens que dans le contexte d’un espace public permettant aux individus et aux groupes de s’approprier l’information et d’agir pour améliorer leurs conditions de vie » et qu’« une presse libre doit ouvrir la voie à un peuple libre ».

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