Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Emma, Edna, Naomi : naissance d’une nouvelle nation ?

Elles ont entre 11 et 17 ans, elles sont donc totalement innocentes dans l’élection de Trump, comme elles auraient été totalement innocentes si Hillary avait été élue : elles n’ont pas encore le droit de voter. Elles sont très jeunes, elles sont innocentes et elles maîtrisent la magie du verbe. Elles étaient trois des 20 jeunes qui ont pris la parole sur l’immense podium dressé aux pieds du Capitale, samedi 24 mars, pour la Marche Pour Nos Vies, à laquelle huit cent mille personnes ont participé à Washington, tandis que 800 autres marches et rassemblements avaient leu aux USA et dans le monde.

Tiré de tlaxcala.org

La grande majorité des manifestants étaient des écoliers, collégiens et lycéens, avec une forte présence de parents, de grands-parents et d’enseignants, et et une diversité arc-en-ciel, tant ethnique que de genre, à l’image de la population. L’objectif de cette mobilisation, partie après la tuerie de masse au lycée de Parkland le 15 février, est d’obtenir une plus stricte législation sur la vente et la détention d’armes à feu, notamment une interdiction de vente aux moins de 21 ans. La tuerie de Parkland n’était ni la première ni la dernière de l’année mais c’est apparemment la goutte de sang (17 morts) qui a fait déborder le vase. À travers tout le pays, les jeunes se sont mobilisés pour dire « Assez, c’est assez ! » et « Plus jamais ça ! ».

Ce mouvement de révolte déclenché par une jeunesse angoissée devant la violence armée qui la menace au quotidien – dans leur quartier, dans la rue, à l’école – est intrinsèquement apolitique, dans la mesure où il n’est dirigé ou contrôlé par aucun parti ou groupe politique. Mais il est politique par la force des choses puisqu’il s’oppose à un président étroitement lié au lobby des marchands d’armes et des défenseurs du droit de chaque citoyen à porter des armes. Ce lobby puissant est guidé par l’un des pires groupes d’influence des USA, la National Rifle Association, l’Association nationale des tontons-flingueurs, qui a donné 30 millions de dollars pour la campagne électorale de Trump.

Les trois oratrices les plus impressionnantes de samedi étaient Emma, Edna et Naomi, qui ont fait des discours réellement percutants, chargés de rage et d’émotion.

Emma Gonzalez est une élève de terminale, survivante du massacre du lycée de Parkland. Fille d’un émigré cubain arrivé aux USA en 1968, elle arborait un drapeau cubain en brassard sur son blouson couvert de badges lorsqu’elle a parlé sur le podium. Elle a imposé à la foule un silence de six minutes et 20 secondes, le temps qu’a duré la tuerie dont est elle est rescapée à Parkland.

Naomi Wadler a onze ans et elle a pris la tête de la mobilisation dans son école primaire de Virgine. Sceptique au départ, la directrice de l’école, l’a ensuite laissée faire avec ses petites camarades, convaincue par leurs arguments. Et impressionnée par leur détermination. Naomi a dit qu’elle parlait au nom d’une série de jeunes filles et femmes noires assassinées récemment et qui ne font pas la une des médias. Elle a répondu aux gens qui disaient qu’elle était manipulée par des adultes anonymes qu’ils avaient tout faux. Elle a dit être consciente qu’il leur restait, à elle et à ses camarades, sept ans pour exercer son droit de vote.

Mais, a-t-elle a poursuivi : « Je suis ici pour honorer les paroles de (l’écrivaine) Toni Morrison : s’il y a un livre que vous avez envie de lire mais qui n’a pas encore été écrit, alors c’est à vous de l’écrire. Et j’appelle tout un chacun ici et toute personne entendant ma voix à se joindre à moi pour raconter les histoires qu’on ne raconte pas, pour rendre hommage aux filles, aux femmes de couleur assassinées à des taux disproportionnés dans cette nation. J’appelle urgemment chacune et chacun de vous à m’aider à écrire le récit de ce monde et à le comprendre, pour que ces filles et ces femmes ne soient jamais oubliées”. Après avoir écouté Naomi, un petit enfant blanc de six ans a dit à sa mère Jennifer, qui l’a rapporté sur twitter : « Cette fille sera présidente un jour ».

Enfin Edna Lizbeth Chávez, élève de terminale dans un lycée du sud de Los Angeles, le plus grand quartier latino de la métropole californienne, a parlé, après avoir fait le signe de la croix et lancé un « Hola buenas tardes ». De toute apparence fille d’immigrés mexicains, elle a rappelé son grand frère Ricardo, tué par balles, qui est mort entre ses bras. Et elle évoqué son travail de « leader jeune » au sein de la Coalition communautaire qui œuvre à changer les conditions de la population défavorisée de South Los Angeles.

Emma, Edna et Naomi sont représentatives d’une nouvelle génération qui a émergé ces dernières années dans le sillage de Black Lives Matter et ces dernières semaines dans le sillage des mouvements pour mettre fin à la violence armée. Cette nouvelle génération est en train de s’alphabétiser politiquement, apprenant le BA-BA de l’action militante. Ils sont innocents, portés par leurs émotions, assez naïfs bien sûr. Garderont-ils cette naïveté et se laisseront-ils embobiner par les prochains candidats démocrates aux diverses élections quand ceux-ci iront à la pêche aux voix dans les diverses communautés ? Une partie sans doute oui. Mais j’ai du mal à croire qu’Emma, Naomi et Edna, si elles continuent comme ça, se laisseront si facilement embirlificoter.

Dans les profondeurs de l’USAmérique, une nouvelle nation est en train de naître.

Merci à Basta !

Source : https://bastayekfi.wordpress.com/2018/03/25/emma-edna-naomi-naissance-dune-nouvelle-nation/

Date de parution de l’article original : 25/03/2018

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