Édition du 12 mars 2024

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Asie/Proche-Orient

En Iran, des femmes imposent un débat inédit sur le port du voile

Des Iraniennes se sont exhibées dans des lieux publics sans voile pour protester contre l’obligation de le porter. Une initiative qui pour la première fois, relance le débat en Iran. En grimpant sur une armoire électrique, les cheveux au vent, son foulard suspendu à un bâton, le 27 décembre, Vida est devenue un symbole à plusieurs titres en Iran. Par accident, elle est devenue l’emblème des deux semaines de manifestations contre la vie chère qui ont démarré le lendemain.

Tiré de Europe solidaire sans frontière.

Cette vague de protestation était pourtant sans lien avec son happening sur l’avenue Enghelab (de la Révolution), tout près de l’Université, dans le centre de Téhéran. 

Le geste de la trentenaire répondait à la campagne « mercredi blancs » lancée par une opposante exilée aux États-Unis, Masih Alinejad qui encourage les Iraniennes à retirer leur foulard et à se prendre en photo. 

Si le contexte était erroné, l’atmosphère de défiance née de ces turbulences a donné de la visibilité à l’action de Vida Movahed, et encouragé d’autres femmes à manifester leur rejet du port du voile obligatoire, en vigueur depuis la révolution islamique de 1979. Plusieurs d’entre elles se sont exhibées ces derniers jours, perchées sur un transformateur, un banc ou un muret, copiant le geste de la « femme de la rue de la Révolution ». 

En solidarité, le geste a été repris par des hommes, ou encore cette femme âgée.

Plus étonnant encore, une femme en tchador, dans la ville conservatrice de Mashhad, brandissant elle aussi un foulard au bout d’un bâton : elle revendique le droit de ses concitoyennes à ne pas porter le foulard sans se l’appliquer à elle-même. 

Les mises en scène de femmes ôtant leur foulard remontent à 2014, lorsqu’avait été lancé la page Stealthy freedom (Libertés furtives) sur Facebook. 
https://www.facebook.com/StealthyFreedom

Cette fois, la défiance monte d’un cran : il y a quatre ans, les photos étaient prises à la montagne, sur une terrasse.... Aujourd’hui, les « femmes de la rue de la Révolution » -le nom du hashtag créé pour l’occasion- s’exhibent au cœur de la ville, au carrefour des rues les plus passantes. 

Vida Mohavedi, a finalement été libérée, fin janvier. Mais 29 autres femmes ont été arrêtées pour ce motif, selon la police. L’une d’elle, Narges Hosseini, s’est vue demander une caution d’une valeur de 90 000 euros pour sa libération. Histoire de dissuader ses éventuelles suiveuses. 

Un contrôle social assoupli depuis Rohani...

Coïncidence ? Quelques jours avant le soulèvement de fin décembre, les autorités iraniennes avaient assoupli le contrôle infligé aux « mal voilées », disant vouloir privilégier l’éducation au châtiment.

Celles qui ne respectent pas les codes islamiques ne seront plus détenues et n’auront pas de casier judiciaire, indiquaient les autorités, elles se verront proposer « des cours » dans des « centres de conseil ». Un tournant puisqu’en avril 2016, la police avait annoncé le déploiement de 7 000 indicateurs en civil destinés à patrouiller dans les rues de Téhéran pour lutter contre « l’immoralité ». 

L’extrême rigueur vestimentaire imposée au lendemain de la révolution s’est peu à peu assouplie : le voile de bon nombre d’Iraniennes laisse largement dépasser les cheveux, le port du tchador recule, remplacé par les mantos, des tuniques de plus en plus courtes et moulantes.

Des conductrices laissent souvent tomber leur foulard au volant, estimant qu’elles sont dans un espace privé dans leur véhicule. 

Le président Hassan Rohani, religieux « modéré » élu en 2013 et reconduit en mai 2017, prône une plus grande ouverture politique et sociale, y compris en ce qui concerne le respect du code vestimentaire. En 2015, il avait affirmé qu’il n’était « pas du devoir de la police de faire appliquer l’islam ».
Et malgré les critiques des religieux conservateurs et du guide suprême Ali Khamenei, les interpellations de femmes dans la rue par des policiers ont plutôt diminué ces dernières années. 

... Mais des avancées très limitées pour les femmes

Pour autant, "depuis qu’il est au pouvoir, les avancées pour les femmes sont quasi inexistantes, constate Azadeh Kian, professeure de sociologie et directrice du Cedref, qu’il s’agisse des questions d’héritage, d’autorité parentale, de divorce...

Récemment, des organisations de femmes ont voulu reculer l’âge légal du mariage, actuellement fixé à 13 ans (l’âge moyen est en fait de 24 ans). Mais les députés, des hommes pour la plupart, ont refusé ce changement, et ce, alors que le Parlement actuel est contrôlé par les ’modérés’.

Pire, la situation des femmes a reculé en ce qui concerne la contraception : en raison de la chute de la fécondité, le guide Ali Khamenei a ordonné la fin de la planification familiale : depuis 2015, les contraceptifs ne sont plus distribués gratuitement dans les dispensaires. Et l’administration Rohani ne s’est pas opposée à cette décision". 

Les Iraniennes sont d’autant plus agacées par ce surplace qu’elles s’estimaient, au moins, mieux loties que les femmes d’Arabie saoudite.

Elles conduisent depuis longtemps, et sont si nombreuses à l’université qu’il a fallu instaurer des quotas pour les hommes dans certaines filières. Mais elles ne sont toujours pas admises dans les stades de foot, ce que viennent d’obtenir les Saoudiennes.
 
Les démonstrations des « filles de l’avenue de la révolution » peuvent-elles faire bouger les lignes ? À ce stade, il a plus d’écho dans la diaspora que dans le pays, note le journaliste iranien basé en Turquie Borzou Daragahi. « Il s’agit de gestes individuels, estime pour sa part Azadeh Kian. Ce ne sont pas forcément des militantes féministes. Mais elles ont en tout cas relancé le débat. » 

La question du voile s’impose dans le débat public

Plusieurs personnalités ont commenté ces événements et ce vendredi, le sujet était évoqué dans plusieurs journaux iraniens - soumis à la censure.

 Le procureur général Mohammad Jafar Montazeri les qualifie de « puériles ».

 « Ces événements ont rendu nécessaire un débat sur le voile, plaide, pour sa part le réformateur Ali Abdi. Pourquoi doit-on insister sur des sujets qui ne sont pas explicitement évoqués dans le coran ? » interroge-t-il. 

 « Le problème du pays aujourd’hui, ce n’est pas le foulard, a déclaré de son côté Ali Mottahari, député proche de Rohani (...) des tas de femmes circulent aujourd’hui dans la rue à peine voilées. Comment peut-on dire que le hijab est imposé ? » 

Cet argument n’est pas qu’une boutade : « L’obligation du port du voile n’est pas inscrite dans la constitution, ni dans le code civil », rappelle Fariba Adelkhah, directrice de recherche au CERI Sciences-Po. Un article du code pénal punit, par contre, ceux qui ne respectent pas la « norme islamique » sur la voie publique. Sauf que « la notion de »norme islamique« est très floue, très changeante ». 

« D’une certaine façon, poursuit la chercheuse, l’obligation du port du foulard est déjà en partie tombée : sur Telegram, les millenials iraniens, la génération née dans les années 1980, font circuler des milliers de photos prises dans le cadre privé. Sur la plupart d’entre elles, les femmes ont la tête découverte, y compris des filles de cadres du régime, de Gardiens de la révolution ou de clercs. Or, les réseaux sociaux, assidûment fréquentés par plus de 40 millions d’Iraniens sont devenus un véritable espace public. » 

À ce stade, la République islamique aura toutefois du mal à aller plus loin, estime Azadeh Kian. Lorsqu’il a été imposé, en 1979, le voile islamique était brandi comme le symbole du sang des martyrs de la révolution. Accepter de lever la prescription, c’est toucher aux fondements du régime". 

Source : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/en-iran-des-femmes-imposent-un-debat-inedit-sur-le-port-du-voile_1981586.html

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