Édition du 23 avril 2024

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Environnement

Entretien avec la chef d’orchestre de l’opération "Vous ne passerez pas"

Le 23 avril 2017, sur le quai de Sainte-Angèle à Bécancour, des centaines de citoyen-ne-s lançaient l’opération "Vous ne passerez pas" qui comporte quatre volets : une campagne contre le règlement sur l’eau potable, la création de comités de mobilisation, une campagne d’affichage et une formation en résistance citoyenne. Le but est de mettre un terme aux nouveaux projets des industries pétrolière et gazière sur le territoire du Québec.

Tiré du Journal des Alternatives.

Le Journal des alternatives a rencontré Carole Dupuis, une militante, coordonnatrice générale et porte-parole du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ). Elle soutient que les citoyen-ne-s doivent se mobiliser et revendiquer leurs droits à de l’eau potable et à un environnement sain puisque le gouvernement ne le fera pas pour elles et eux. Entretien avec la chef d’orchestre de l’opération.

Journal des alternatives (JDA) : Pourquoi le besoin d’une opération comme celle-là ?

Carole Dupuis (CD) : Notre point de vue qui a été exprimé de manière massive a toujours été que ces projets-là [d’exploitation pétrolière et gazière] n’étaient pas rentables pour la société québécoise, que la population n’en voulait pas, que l’orientation n’était souhaitable à aucun égard, que ce soit pour les écosystèmes, pour le milieu de vie des gens, pour la santé et même pour l’économie. […] La science dit concrètement qu’on s’en va dans la mauvaise direction. Les citoyens le disent massivement aussi dès qu’ils sont un peu informés. Mais, ce qu’on voit, ce sont des dirigeants qui essaient de nous dire qu’on va faire à la fois des choix responsables en matière d’environnement et qu’on va développer les hydrocarbures. On a perdu l’espoir que ce soit autre chose qu’un rapport de force. On a perdu l’espoir que ce soit un dialogue serein où les faits et la science guident les décisions et les choix des citoyens.

JDA : L’opération a été lancée il y à peine un mois. C’est tout frais encore !

CD : C’est tout frais et cela s’est fait rapidement. La Loi sur les hydrocarbures a été adoptée au mois de décembre, en plein dans la période de Noël. Une opération comme celle-ci, on sentait que c’était le moment. Au Québec, les règlements soumis à la Loi sur les hydrocarbures ne sont pas encore rédigés. C’est donc important pour nous d’exercer une influence sur la nature de ces règlements-là. Et au fédéral, il y a Énergie Est. La nouvelle commission est formée et il est possible qu’il y ait des audiences dans un délai pas très éloigné.

JDA : Sur votre site web, vous faites référence à la résistance organisée comme un des volets de l’opération Vous ne passerez pas. Qu’entendez-vous par là ?

CD : C’est une décision de l’assemblée générale du RVHQ en décembre 2016 alors qu’il était clair que la Loi sur les hydrocarbures serait imminent adoptée sous bâillon. L’Assemblée a voté une résolution voulant que le RVHQ se structure pour offrir des formations en résistance citoyenne pour les comités locaux qui voudraient s’en prévaloir. Et quand on parle de formation, cela veut dire aussi se structurer en fonction de projets éventuels. Prévoir quel genre d’action peut être fait. Par qui ? Comment ? Quel est le degré d’engagement des différentes personnes qui sont participantes ? Une partie « acquisition de connaissances et de compétences », mais il y a une partie « organisation » aussi. C’est de dire si jamais ces gens-là décident de passer outre aux critères qu’ils se sont donnés eux d’acceptabilité sociale et qu’ils décident de venir quand même, on va les attendre et on va être structuré pour les attendre.

JDA : Si stopper les avancées des industries pétrolière et gazière passe par la résistance organisée, est-ce que ça l’implique de faire de l’action directe comme des chaînes humaines ou plutôt d’aller discuter avec les industries ? Comment comptez-vous vous y prendre ?

CD : Si un projet est un peu éloigné dans le temps et que les décisions ne sont pas prises, on est à l’étape de la dissuasion et on espère vraiment en rester là. Cela commence par recenser les points de vulnérabilité et répertorier le territoire. Ce pipeline-là ou ce train-là passerait où ? Quelles sont les zones vulnérables ? Quels sont les endroits qui sont menacés par ce projet-là ? […] De connaître les citoyens qui sont directement concernés par cela. Et de commencer par des activités d’appropriation de territoire. Cela peut être aussi simple que de faire un pique-nique sur un territoire qui est menacé.

JDA : Le but final de votre opération consiste donc à limiter les industries dans leur développement et d’arrêter leurs avancées. Souhaitez-vous également mettre un terme à tout ce qui est industrie pétrolière et gazière au Québec et par conséquent sortir de notre dépendance au pétrole ?

CD : Dans un premier temps, ce qu’on vise, c’est d’empêcher la création de nouvelles infrastructures qui nous enchainerait dans une dynamique de hausse de production pour les années à venir. Après, cela fait partie de la mission du RVHQ de travailler pour la transition énergétique.

JDA : L’opération Vous ne passerez pas se terminera à la fin novembre 2017. Pourquoi avoir mis une échéance de temps ?

CD : L’idée de la mi-novembre, si on parle d’affichage extérieur, à un moment donné, ce n’est plus opportun d’avoir des pancartes sur les terrains. Et aussi, il y a l’élection [municipale] en novembre. On espère que la pression va avoir un impact sur les plateformes politiques de nos municipalités.

JDA : J’imagine que vous allez prévoir des rencontres avec les candidats à l’élection municipale.

CD : Exactement. Ça se met en place tranquillement. Ce n’est pas très actif encore dans les municipalités comme tel et [les problématiques entourant l’exploitation pétrolière et gazière] commencent tranquillement à émerger.

JDA : En 2018, ce sera la fin du moratoire sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. En septembre dernier, Philippe Couillard a dit qu’il n’y aura pas de fracturation hydraulique dans la vallée du Saint-Laurent. Avez-vous des craintes face à la reprise des activités ? Faites-vous confiance au gouvernement ?

CD : Il n’y en a pas de moratoire. Il n’en a jamais eu. C’est un moratoire de facto. C’est le gouvernement de Marois qui l’avait présentée, mais l’élection a été déclenchée avant que ce soit adopté. Cela ne change rien de toute façon parce que la Loi sur les hydrocarbures vient remplacer tout moratoire qu’il y aurait pu exister. Maintenant, on a une loi et elle n’apporte aucune restriction quant aux régions ou aux techniques d’extraction. Les règlements doivent être adoptés d’ici à la fin du printemps. [La loi] va entrer en vigueur au fur et à mesure que les règlements vont être adoptés. […]

Penser que ce gouvernement ne se dirige pas vers une exploitation des hydrocarbures, c’est complètement illusoire. C’est une démarche structurée qui a commencé au lendemain de son élection par le plan d’action gouvernemental sur les hydrocarbures et qui s’est presque terminé avec l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement et qui va se terminer avec l’adoption des règlements.

JDA : Québec s’est donné comme cible 37,5 % de réduction d’émissions de GES par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030. Le Canada quant à lui, s’est donné une cible de réduction de 30 % des émissions de GES par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030. Est-ce que c’est atteignable dans ce si court terme ?

CD : Je ne peux que croire les scientifiques qui semblent dire que c’est encore atteignable si l’on posait les bons gestes. Par contre, c’est impossible d’atteindre ces cibles-là si nos gouvernements maintiennent les politiques actuelles, autant au fédéral qu’au provincial. […] Au Québec, c’est écrit même dans les évaluations environnementales stratégiques qui ont été faites dans le cadre du plan gouvernemental sur les hydrocarbures que l’exploitation pétrolière et gazière compte tenu du type de réserve qu’il y a ici est difficilement conciliable avec l’atteinte des cibles. Au lieu de diminuer nos émissions, au lieu de mettre toutes nos énergies pour les diminuer, on met nos énergies pour les augmenter.

JDA : Est-ce que la lutte aux changements climatiques fait partie d’un des volets de l’opération Vous ne passerez pas ?

CD : C’est la préoccupation ultime du mouvement citoyen. [Les deux enjeux majeurs sont] l’eau potable et le climat. Toutes les démonstrations ont été faites. Les plus grands scientifiques du monde entier et l’ensemble du mouvement citoyen ici au Québec a fait valoir ces arguments. Le gouvernement est sourd à la science. C’est de la manipulation, ces évaluations environnementales stratégiques et ces déclarations comme quoi on va concilier la science et l’environnement, en autorisant des projets qui vont complètement à l’encontre de la science. Notre campagne, c’est sûr que c’est pour le climat. Ultimement, c’est ça.

Carole Dupuis

Militante du Réseau vigilance hydrocarbures du Québec.

Jacinthe Leblanc

Journaliste indépendante

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