Édition du 12 mars 2024

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Europe

Espagne : « l’état de rébellion » est survenu… pour rester

La protestation s’est très rapidement transformée en un mouvement qui remet en question la légitimité obtenue par les grands partis dans les urnes le 22 mai passé [1]. Maintenant il se met à attaquer ouvertement un projet européen qui vise à liquider les restes d’un « Etat social » de plus en plus affaibli.

Les marches et les manifestations qui ont traversé d’innombrables villes et villages ce dimanche 19 juin 2001, rassemblées autour de mots d’ordre tels que : « Contre la crise et le Capital » et « Non au Pacte de l’Euro » supposent une extraordinaire avancée de la mobilisation qui a commencé il y a un peu plus d’un mois. Celle-ci nous remplit d’espoir concernant l’évolution et la centralité que peut acquérir ce mouvement du 15 mai (15-M) au cours des prochains temps.

Initialement, la protestation du 15 mai paraissait, en effet, être circonscrite par certains des réseaux qui l’avaient promue à une dénonciation de la « classe politique » et à la définition d’un « consensus minimum » très médiatisé qui ne semblait pas s’attaquer aux racines du mot d’ordre qui avait présidé à l’irruption massive initiale dans la rue : « Nous ne sommes pas la marchandise de politiques et de banquiers ». Cependant la protestation s’est très rapidement transformée en un mouvement qui remet en question la légitimité obtenue par les grands partis dans les urnes le 22 mai passé [1]. Maintenant il se met à attaquer ouvertement un projet européen qui vise à liquider les restes d’un « Etat social » de plus en plus affaibli.

Il a été ainsi été suffisamment démontré qu’il est possible de faire de la politique autrement, au moyen d’un niveau très élevé d’auto-organisation et de la recherche d’un consensus à travers des débats souvent interminables. Nous avons également vu l’élargissement d’un éventail d’actions toujours plus variées qui ont trouvé leur expression les plus symboliques d’abord avec les occupations des places et ensuite en empêchant les expulsions et en bloquant des réunions des institutions municipales et autonomistes.

Même la tentative de criminalisation du mouvement à Barcelone le 15 juin passé – après les actes violents qui s’y sont déroulés, vraisemblablement suite à une provocation policière – n’a pas réussi à délégitimer la ferme option en faveur de la désobéissance civile non-violente. Elle a même entraîné une participation encore plus importante le 19 juin.

En même temps, nous avons vu la diffusion d’innombrables propositions qui, grâce aux réseaux sociaux, se sont propagées sur tout le territoire. Elles ont montré que, comme cela arrive lors d’événements similaires dans l’histoire, c’est une longue liste de revendications, tout un « cahier de doléances », que les gens qui sont sortis dans la rue veulent présenter en tant que carte de visite de ce qui s’annonce déjà comme étant le début d’une lutte prolongée d’un « état de rébellion ». C’est ainsi que récemment Enrique Dussel [2] définissait à juste titre la « colère digne » qui à échelle globale est en train de s’étendre également en Europe face à « l’état d’exception économique et sociale ».

Le refus du Pacte de l’Euro et la confluence dans des villes comme Madrid avec les plateformes qui préparaient depuis longtemps cette manifestation du 19 juin ont été aisément assumées par le mouvement du 15 mai. Cela confirme encore ce processus si rapide d’acceptation partagée de la lutte pour une démocratie participative et pour la justice sociale par une grande majorité des personnes qui occupent les places et la rue depuis le 15 mai. Ce processus n’est pas achevé et continue à s’enrichir constamment des apports qui, en cherchant à répondre à toutes et à chacune des injustices qui existent dans cette société, débouchent sur des revendications concrètes et argumentées, issues des commissions et des assemblées.

C’est pour cela que les commentateurs habituels, y compris certains critiques de gauche, se trompent lorsqu’ils se limitent à faire des plans fixes du mouvement ou à chercher qui se cache derrière celui-ci. De fait, nous nous trouvons devant un nouveau sujet émergeant et en constant processus de construction. Au-delà des inévitables et anecdotiques faux pas, il nous surprend constamment par sa capacité à innover, à incorporer les sensibilités de l’étonnante diversité de personnes qui en font partie. Dans un article du quotidien El Pais du 20 juin (intitulé : « Le 15 mai, plus de démocratie que de gauche »), Bonifacio de la Cuadra montre illustre bien cette erreur qui consiste à s’en tenir aux plans fixes en affirmant que « les propositions du mouvement du 15 mai ne se situent pas à gauche ».

Or, le lendemain même on peut voir que les documents diffusés par les Commissions d’Economie ou de Féminismes de Madrid, par exemple, dénonçaient le « Pacte pour l’Euro » dans une optique qui se situe certainement à gauche, pour autant, bien sûr que nous parvenions à redéfinir ce terme en le libérant de la charge conventionnelle dominante ; et l’associant clairement à ce qui vient de « ceux et de celles d’en bas ».

Les actions prévues ces jours à l’occasion des débats parlementaires sur la réforme de la négociation collective [dans le droit du travail] ou sur l’« état de la Nation », les marches qui se préparent en différents lieux et qui doivent converger sur Madrid le 23 juillet prochain, la préparation d’une nouvelle journée de mobilisation pour le 15 octobre et la perspective d’une Grève Générale de tous et toutes avant la fin de l’année, tout ce calendrier d’activités confirme la sensation de force collective et de légitimité sociale atteinte ainsi que la ferme volonté de poursuivre une lutte qui, tout comme la crise systémique, sera sans doute dure et longue.

Il faut, en effet, rappeler une fois de plus que nous nous trouvons devant la crise la plus grave du capitalisme européen-nord-américain, avec la menace que la débâcle de l’économie grecque entraîne celle de l’euro et génère un mouvement d’insurrection populaire non-violente qui pourrait s’étendre du peuple grec aux autres pays du continent. Il s’agit donc d’une crise de légitimité de tout un système et de tout un « projet européen » qui prend de l’eau de partout, et qui cherche à se gaver tant qu’il peut au détriment des plus faibles pour tenter de se prolonger.

Face à cette crise, nous devons nous préparer à passer de la résistance actuelle à un début de processus de rupture qui montrent la voie vers un autre monde et une autre Europe possibles. La solidarité et la convergence avec le peuple grec, face au chantage que l’Union européenne et le Fonds Monétaire International viennent de lui imposer, constituent aujourd’hui la principale tâche de tous et toutes les indigné·e·s.

Le 21 juin 2011)

Notes

[1] élections municipales et régionales

[2] philosophe d’origine argentine qui enseigne au Mexique ; on trouve en français un seul de ses très nombreux ouvrages : La production théorique de Marx, L’Harmattan, 2009.

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