Édition du 23 avril 2024

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Québec

Extrême-droite au Québec : l'opération « construction de la respectabilité » bât son plein

Une bonne partie de l’extrême-droite européenne a dû, pour connaître un certain succès, passer par une opération de construction d’une respectabilité qui a pour but d’effacer des mémoires les aspects les plus abjects du passé de leur mouvement. Le Front national français est passé par là, la fracture entre Marine Le Pen et son paternel représentant la partie immergée de cette opération. L’extrême-droite québécoise est en voie de franchir la même étape.

Jim Wolfreys a analysé les séquences qu’a franchit le Front national dans son opération de dé-diabolisation. La rupture de Marine Le Pen d’avec son paternel est perçue comme un point tournant dans cette tentative. Elle réagissait aussi à une radicalisation du discours de la droite traditionnelle (UMP, les Républicains, Sarkozy, etc.) qui s’appropriait les thèmes classique du discours : identité nationale, sécurité intérieure, hostilité à l’immigration, opposition au mariage de personnes du même sexe, racisme décomplexé, etc. Le FN a alors « prospéré grâce à des développements plus larges, parmi lesquels le retour des mythes de la guerre froide visant un « ennemi intérieur » et la réactivation d’attitudes coloniales dépeignant un « autre » inassimilable, les deux alimentant des politiques sécuritaires. »

L’islam « radical » devient alors le nouvel ennemi réduisant l’antisémitisme du discours FN à sa portion congrue et propulsant l’islamophobie à l’avant scène. De plus, le FN parvient à s’approprier des thèmes jusque là défendu par la gauche : droits des femmes, laïcité, opposition à la mondialisation, etc. Mais comme on dit, chassez le naturel, il revient au galop : huit sympathisants FN sur dix se décrivent comme racistes ; selon Marine Le Pen, la France n’a aucune responsabilité dans les rafles nazi, notamment celle de Val d’Hiv. ; le FN mène campagne pour la réhabilitation du passé colonial de la France ; le débat de Marine Le Pen avec son père sur l’holocauste présenté par ce dernier comme un « détail » de l’histoire ; etc.

Bref, le FN, qui inspire plusieurs militantEs de l’extrême-droite québécoise (voir notamment mais pas seulement le site vigile.net ici ou ici et ici), a procédé avec un certain succès à une opération cosmétique de transformation de son image. Détourner l’attention de son fonds fasciste et mener des campagnes qui récupère des thèmes connus comme la laïcité pour nourrir le racisme de son discours (lire à ce sujet Philippe Corcuff). Et par la bande, faire silence sur le reste de son programme qui n’a rien à envier à n’importe quel parti de la droite néo-libérale.

Il semble que la majorité de l’extrême-droite québécoise a adopté la même stratégie. Il n’y a qu’à consulter les déclarations de ses principaux représentantEs au lendemain de l’attentat de Québec en janvier dernier. La Fédération des québecois de souche « condamne la violence », message repris par Atalante Québec et La Meute. Plus récemment, le porte-parole de La Meute tenait à se dissocier de la campagne menée par certains de ses membres à St-Apolinaire dans le dossier du cimetière musulman. Des affiches « La Baie, ville blanche » sont apparues à au moins deux reprises et le porte-parole de La Meute a tenté de s’en dissocier. Même chose à Saguenay, à St-Honoré, à Gaspé et à Sherbrooke. À plusieurs occasion, les porte-paroles de La Meute ont dû prendrent la posture de la dissociation des actes inspirés de la philosophie islamophobe et souvent commis par ses propres membres.

Pourtant lorsqu’on regarde la situation de près, les signaux alarmants se multiplient : le nombre d’accidents haineux s’est multiplié depuis le début de l’année ; ces organisations sont notamment composées d’individus pas très fréquentables ; et des individus pas nécessairement liés à l’extrême-droite n’hésitent plus à faire appel à leurs « services » lorsque requis. Malgré tout, La Meute se défends d’être un groupe d’extrême-droite.

Il semble évident que les stratèges de l’extrême-droite québécoise et ses inspirateurs veulent adopter un profil bas et éviter de s’identifier aux éléments folkloriques de l’extrême-droite comme les défilés en uniformes (voir Atalante Québec) ou les attaques physiques préconisées par des groupes comme les « Proud boys ». Car l’extrême-droite ne s’en cache pas, elle entretient des ambitions politiques : La Meute prétends regrouper 43 000 membres. L’organisation s’inscrit dans une opération qui vise à fédérer les différentes mouvances (à ce sujet il faut lire les articles de Xavier Camus dans Ricochet). Les déclarations de Bernard
"Rambo" Gauthier
sont révélatrices à ce sujet. Alors il est important dans ce contexte qu’aucune bavure ne vienne ternir l’image de la formation. Ça peut expliquer que la cellule de La Meute active à St-Apolinaire ait expulsé certains de ses membres les plus « agités » mais soufflant le chaud et le froid, un fondateur de La Meute, Patrick Beaudry reconnaît que son mouvement va « peut-être être plus radical » à l’avenir. ».

Bref, il faut prendre le discours de l’extrême-droite pour ce qu’il est : une opération cosmétique visant à faire oublier le fonds fasciste pour se recentrer sur des thématiques qui dominent le discours des droites : anti-immigration, islamophobie, repli identitaire, entretien de la peur de l’ « autre », etc. Faire un pas vers la respectabilité et se présenter comme l’arme de combat contre l’invasion islamique. Il faudra rappeler que ce ne sont pas des immigréEs qui sont responsables des attaques de la Mosquée de Québec. Que Dylann Roof, qui tua neuf Afro-Américains dans une église de Charleston en 2015 n’est pas un musulman radicalisé. Que le Norvégien Anders Breivik responsable de dizaines de morts n’a rien d’un "étranger". Que le drame de Charlottesville n’est en rien lié à la question de l’immigration... Les tenants de l’extrême-droite semblent avoir une mémoire très sélective lorsque vient le temps d’identifier les dangers.

Alors fasciste ou pas, La Meute ? Il y a certainement des éléments typiquement fascistes dans ces organisations mais ça n’en fait pas automatiquement des organisations de type nazi. La conjoncture internationale aidant, ces organisations surfent sur les succès des Trump, Le Pen, du FPÖ en Autriche, de Geert Wilders au Pays-Bas ou ailleurs en Europe de l’est. Les discours de médias indulgents entretiennent les préjugés sur l’Islam et la guerre des civilisations. Bref, l’extrême-droite semble avoir le vent dans les voiles. Le Québec, un des seuls pays capitalistes avancés à ne pas avoir de parti politique d’extrême-droite, pourrait voir apparaître cette mouvance dans le paysage électoral.

Combattre l’extrême-droite risque de devenir un incontournable dans les prochains mois. Aux discours islamophobiques risquent de s’ajouter les discours anti-immigration dans le contexte de la crise des migrants provenant des Etats-Unis. Ces organisations se construisent sur l’exclusion sociale conséquente de l’austérité néolibérale et sur la passivité des organisation traditionnelles de la gauche sociale et politique à construire une alternative crédible dans la lutte au chômage, au déclassement, à l’appauvrissement et à la discrimination. Si l’extrême-droite se construit sur les ruines du capitalisme en crise, la gauche doit envoyer le signal qu’elle demeure le seul outil efficace dans ces batailles pour la majorité populaire. Qu’ultimement, seule une sortie du capitalisme peut ouvrir la voie à une conclusion positive à la crise permanente que nous offre le système économique actuel. Que les discours haineux de l’extrême-droite cachent bien mal l’absence de solutions en matière d’emplois, d’environnement, de la question du Québec dans leur programme.

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