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Il est minuit moins cinq

On peut relativiser la portée du scrutin européen. Mais la désintégration des gauches – une défaite historique –, l’effondrement de la droite – perdue dans les scandales – rendent possible le pire. Arrivé largement en tête, le FN peut désormais espérer conquérir l’Élysée si rien ne vient bouleverser les dynamiques à l’œuvre.

26 mai 2014 | mediapart.fr

C’est donc sous la présidence de François Hollande que le Front national, à l’occasion d’un scrutin à la proportionnelle intégrale, est devenu le premier parti de France. Et c’est sous la présidence de François Hollande que l’ensemble de la gauche se désintègre en réalisant un score historiquement bas : tout juste un tiers des suffrages exprimés. Pire qu’en 1994, pire qu’en 1984, deux élections terribles pour la gauche, mais lors desquelles celle-ci réunissait tout de même 39 % des suffrages. Cette fois, PS, écologistes, Front de gauche et Nouvelle Donne ne totalisent que 33 % des voix. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, la gauche – les gauches – n’ont été dans un tel état de faiblesse, tandis que l’extrême droite caracole.

« Séisme », « choc », ont reconnu hier les principaux responsables socialistes. « Une information suffocante », a lancé Jean-Luc Mélenchon. C’est une défaite historique, dont il faut bien prendre la mesure et comprendre les dynamiques mortifères qu’elle porte. En 1994, Michel Rocard, chef de file du PS, défait avec 14 % des voix, voyait sa carrière brisée net. Il payait cher l’usure du pouvoir socialiste après treize ans de mitterrandisme, mais d’autres forces à gauche (à l’époque la liste Tapie) venaient amortir ce choc. Rien de tel cette fois-ci. La sanction – un PS sous les 14 % –, qui amplifie encore la défaite des municipales, intervient deux ans seulement après l’installation de François Hollande à l’Élysée.

En deux ans, le président a tout à la fois perdu son électorat, détruit son parti et entraîné au fond du gouffre l’ensemble de la gauche (lire ici l’article de Lenaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix).

Dès lors, deux questions majeures vont se poser dans les jours à venir. La première est de savoir comment Hollande pourra terminer son mandat présidentiel et, si oui, ce qu’il compte faire des trois longues années qui nous séparent de 2017. La seconde va porter sur les nouvelles stratégies à développer pour empêcher ce qui, aujourd’hui, devient un scénario crédible : celui de l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République en 2017.

Mediapart, dans ses différents parti-pris, n’a cessé ces dernières années de donner l’alerte face à la montée en puissance de l’extrême droite portée par les compromissions, les renoncements et les défaites idéologiques successives de la droite classique comme d’une large partie de la gauche. Le FN est arrivé dimanche en tête dans 71 départements sur 101. Il n’est plus une éruption désordonnée de fureurs diverses. Il s’installe en parti national d’alternative.

Et les résultats de ce 25 mai viennent confirmer le pire : personne aujourd’hui ne peut juger inconcevable l’accession à l’Élysée de la candidate du FN. Bien au contraire, les crises à l’œuvre aujourd’hui dans l’ensemble de la gauche, la déstructuration profonde de la droite républicaine dont une partie, emportée par le sarkozysme, campe aujourd’hui sur les terres de l’extrême droite, laissent le champ libre à Marine Le Pen. Si tout continue en l’état, avec quelques réajustements à la marge, la catastrophe démocratique peut survenir en 2017.

Quelques socialistes se sont essayés au vieil exercice visant à limiter la portée de ce scrutin. « Une alerte, une expression de colère », a tenté Stéphane Le Foll, ministre et porte-parole du gouvernement. Il est vrai que ce vote français s’inscrit dans une vague conservatrice qui submerge l’Europe et des scores particulièrement élevés de toutes les formations eurosceptiques. C’est bien cette machinerie européenne, qui depuis 2008 inflige politiques d’austérité et punitions aux citoyens, qui est violemment sanctionnée. Mais la stupeur de la plupart des autres pays européens face à la progression de l’extrême droite française et à l’effondrement du parti de François Hollande montre combien il existe désormais un « cas français » en Europe.

Le FN s’installant largement en tête, avec plus d’un électeur sur quatre le rejoignant, vient souligner les particularités et l’ampleur de la crise politique française. L’Élysée, de son côté, a fait passer le message, faisant savoir qu’il s’agissait bel et bien d’un « choc », qu’il conviendra d’« en tirer les leçons » mais qu’au-delà de quelques ajustements européens, il était hors de question de changer de cap. Même appréciation délivrée hier par le premier ministre Manuel Valls : le message est entendu, la ligne ne changera pas. « Je ne changerai pas de feuille de route », a-t-il confirmé ce lundi matin sur RTL.

Que le pouvoir s’enferme dans cette réponse et la déflagration se produira à coup sûr. Aux côtés d’un François Hollande désormais sans crédit, et dont la légitimité ne manquera pas d’être contestée, deux autres acteurs sortent défaits de ce scrutin : Manuel Valls, qui n’aura en rien corrigé la trajectoire de la défaite commencée aux municipales, et Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire parachuté au Parti socialiste sans vote des militants ni congrès.

« Il va falloir que Cambadélis dise s’il est le représentant de Hollande ou le premier secrétaire du PS. Il y aura une reconfiguration politique. François Hollande ne peut pas diriger le pays avec 14 %. Il faut d’urgence construire un nouveau pacte législatif avec toutes les forces de gauche », a estimé dimanche soir, sur le plateau d’« En direct de Mediapart » (à regarder ici), la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, de l’aile gauche du PS.

La question est donc posée en premier à l’Élysée. En ayant jeté par-dessus bord l’essentiel de son programme de candidat à peine élu, ce qu’aucun de ses prédécesseurs, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, n’avait fait avec une telle brutalité, François Hollande a durablement perdu son électorat et provoqué une crise de confiance sans pareille. Peut-il être celui qui fédérera à nouveau les électeurs de gauche ? Sans doute pas, sauf à renverser la table et se relégitimer en consultant d’une manière ou d’une autre les électeurs. Les dernières années du deuxième mandat présidentiel de Jacques Chirac furent celles d’un « roi fainéant ». Les trois ans qui séparent François Hollande de 2017 s’annoncent comme celles d’un « roi inutile », à supposer que ce mandat puisse se terminer.

La question est ensuite posée au PS et à l’ensemble des autres forces de gauche. Aucune n’a pu profiter de la descente aux enfers du PS. Le Front de gauche (6 % des voix) fait son score de 2009, et cette stagnation dévoile les nombreuses impasses stratégiques jusqu’alors soigneusement poussées de côté par ses dirigeants. Les écologistes sortent réduits de moitié, ce qui va les contraindre à examiner et leur organisation (une faiblesse militante spectaculaire) et leur programme (un patchwork avec trous et contradictions), et leurs alliances. Enfin, Nouvelle Donne, faible de ses 3 %, devra se demander si ajouter une chapelle de plus à la gauche est bien dans les urgences du moment.

Cette dispersion boutiquière, alimentée par les rivalités internes, les querelles d’égos, la faiblesse du travail idéologique, éclate désormais au grand jour. Elle se renforce encore d’une coupure grandissante avec la société, ses associations, ses myriades d’expérimentations collectives. Et ne parlons pas des syndicats, grands disparus du paysage depuis l’élection de François Hollande.

Jusqu’alors, la Ve République et son régime d’alternance entre droite républicaine et gauche socialiste laissait à la formation dans l’opposition le temps de se reconstruire. C’est aussi ce système qui a volé en éclats dimanche 25 mai. Car à la débâcle des gauches s’ajoute la crise profonde de la droite de gouvernement. L’UMP est elle aussi dévastée, minée par les batailles de chefs et les scandales de corruption multiples. Entre une gauche disparue et une droite discréditée, il est aujourd’hui un seul parti en ordre, qui assume et son bonapartisme et son extrémisme, qui s’est renforcé en militants, en cadres, en ressources locales et qui dispose d’une chef incontestée. C’est un parti qui dispose aujourd’hui de tous les leviers de la conquête du pouvoir. Que François Hollande, Manuel Valls et les gauches persistent, et alors 2017 sera l’année du cauchemar.

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