Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Arts culture et société

Information Le Camp de la Rivière et Dépayser

La démarche d’Isabelle Hayeur s’inscrit dans la perspective d’une critique environnementale, urbanistique et sociale

Elle s’intéresse particulièrement aux sentiments d’aliénation, de déracinement et de désenchantement. Depuis la fin des années 1990, elle sonde les territoires qu’elle parcourt pour comprendre comment nos civilisations contemporaines investissent et façonnent leurs environnements. Elle est préoccupée par le devenir des lieux et des communautés dans le contexte sociopolitique néolibéral que nous connaissons actuellement. Son approche artistique examine les relations entre nature et culture dans un monde où leur (fausse) opposition constitue une idéologie dominante qui structure encore nos sociétés occidentales. Lorsque le principe d’utilité prime sur toutes les autres valeurs et que l’économie devient souveraine, tout est envisagé comme « ressource » à dépouiller ou comme site à occuper. Ses œuvres cherchent à montrer comment nous prenons possession des territoires et des êtres pour les adapter à nos besoins ; cette logique instrumentale tend à envahir tous les champs de l’activité humaine aujourd’hui. Sa pratique artistique s’avère à la fois politique et poétique, et dénote un constant souci de brouiller les pistes afin de mettre en relief l’ambivalence de notre rapport au monde. Tout aussi séduisantes qu’inquiétantes, ses images éveillent en nous un sentiment ambigu qui reflète notre inconfort et révèle les failles d’un système déshumanisé.

Sa pratique actuelle se rapproche de plus en plus de l’activisme. En ce moment, elle s’intéresse à la résistance citoyenne et à ceux qui luttent pour un monde meilleur, pour tous. « Penser global, agir local » est quelque chose qu’elle tente d’intégrer à ses créations en s’impliquant avec les gens qui y travaillent déjà. L’art contribue à un certain éveil, il peut transformer les mentalités et amener les gens à se mobiliser. Sa vision est un constat lucide, mais elle porte aussi en elle l’espoir que les choses peuvent changer ou se rétablir. Pour Isabelle, la créativité est un outil de prise de conscience, mais aussi d’émerveillement. Elle considère qu’il est important de se prononcer, de montrer, d’éduquer et de dénoncer – mais aussi d’être enchantés, touchés et emportés par la beauté de ce qui nous entoure.

Réalisé en 2016 - 2017, le corpus photographique Dépayser (Territoires et citoyens sous haute-tension) porte un regard critique sur les paysages façonnés par l’hydroélectricité au Québec. Réalisé dans plusieurs régions de la province, il témoigne des luttes citoyennes liées au développement de cette industrie. Il s’intéresse aux regroupements de citoyen-ne-s qui revendiquent une meilleure protection des paysages et de l’environnement. C’est un projet engagé qui examine la façon dont nous habitons et gérons le territoire.

Dépayser : Faire sortir quelqu’un-e d’un pays pour qu’il-elle en habite un autre ; Dérouter, désorienter quelqu’un-e de façon qu’il ne sache plus où il-elle est... Voilà ce que vivent les gens dont les terres sont envahies par des pylônes, ou submergées pour créer un réservoir. C’est cette même impression : vous êtes toujours chez vous, mais dans un environnement qui vous est devenu un peu étranger. De nos jours, cette situation de perte de repères semble se généraliser sous la pression du développement accéléré.

L’hydroélectricité a beaucoup façonné (et défiguré) nos paysages au Québec. Cette industrie fut nationalisée au début des années 60 pour le bien commun, mais aujourd’hui l’entreprise d’état qui gère "la ressource" se comporte de plus en plus comme une corporation privée. Plusieurs groupes de citoyen-ne-s se réunissent et dénoncent courageusement cette situation. Ce sont gens d’horizons très différents : agriculteur-trice-s, éleveur-e-s de bétail, villégiateur-trice-s, politicien-ne-s de gauche, personnalités publiques... Ils défendent leur coin de pays et tentent de stopper des projets de lignes à haute-tension qui sont souvent destinés à l’exportation. Dans notre contexte politique actuel, où les institutions publiques sont de plus en plus démantelées, la priorité est axée sur un développement économique qui ne profite pas à la collectivité.

Le Camp de la Rivière est une occupation citoyenne installée sur un chemin forestier menant au site de la compagnie pétrolière Junex, près de la ville de Gaspé (Québec). Ce mouvement autonome de réappropriation du territoire a été initié en 2017 pour demander l’arrêt des travaux de forage et il est maintenu en place pour renseigner la population sur les risques de l’exploration et de l’exploitation gazière et pétrolière.

Au Canada comme aux États-Unis, les lois sont favorables à l’extractivisme et l’industrie est largement subventionnée à même les fonds publics, ce qui pousse certains citoyens à s’organiser pour dénoncer la situation et proposer des visions alternatives.

Les militant-e-s du Camp de la Rivière sont des protecteur-trice-s de l’eau et des lanceur-e-s d’alertes qui se battent pour un environnement plus sain et une société plus équitable ; ils-elles prennent ainsi le relais de gouvernements qui nous laissent tomber.

Ce corpus photographique réalisé en 2017 - 2018 est une reconnaissance de cet engagement, de la solidarité et du don de soi.

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Isabelle Hayeur — art

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