Édition du 26 mars 2024

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Libre-échange

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L’AECG serait un recul pour l’alimentation, l’emploi, les services publics et le climat

Lettre ouverte

tiré du site de Ricochet.info

Ses défenseurs l’ont qualifié de « référence absolue », affirmant que la ratification de l’accord serait une sinécure. Malgré les efforts louables des doreurs d’image pour dépeindre l’AECG (l’Accord économique et commercial global) sous un jour favorable, les gens sont de plus en plus nombreux à voir le vernis craquer.

NDLR : La version originale de ce texte est d’abord parue dans l’édition anglophone de Ricochet.

Le directeur général de la Fédération du lait Alain Bourbeau a dit que pour les agriculteurs, l’AECG et le PTP se traduiraient par des pertes pouvant atteindre 30 000 $ pour chaque ferme. D’après une récente étude indépendante du Global Development and Environment Institute de l’Université Tufts, l’AECG fera perdre 23 000 emplois dans l’ensemble du Canada.

Il n’est donc guère étonnant que le ministre allemand des Affaires économiques se soit rendu à Montréal récemment pour tenter de redorer l’image de l’AECG, après que plus d’un demi-million de personnes soient descendues dans les rues d’Europe en septembre pour rejeter l’Accord. Les manifestations devraient d’ailleurs s’intensifier au cours des prochaines semaines, dont une manifestation prévue en France le 15 octobre prochain.

L’AECG se heurte à une forte opposition des deux côtés de l’Atlantique. Cet accord de libre-échange accorde des pouvoirs exceptionnels aux sociétés transnationales et menace de nombreux secteurs de politique publique, y compris la souveraineté alimentaire, la qualité des services publics, les emplois décents, l’accès aux médicaments, le développement de l’économie locale, et la prise de mesures concrètes de lutte contre les changements climatiques.

Pour certains, les accords de libre-échange internationaux sont synonymes de coopération mondiale. L’opposition à l’AECG est perçue comme un rejet des liens forts qu’entretiennent les Européens et les Canadiens, des valeurs partagées et des racines communes.

Nous pourrions discourir longtemps de l’amitié transatlantique ; nous sommes amis et collègues depuis plusieurs décennies. Nous — un Européen français et une Canadienne — collaborons de longue date, sans accord de libre-échange. En 2001, nous avons été aspergés de gaz lacrymogène ensemble au Sommet des Amériques, à Québec. Grâce aux efforts du mouvement, un groupe international de militants a réussi à faire échec à la Zone de libre-échange des Amériques.

Nous sommes tous pour les accords et le libre-échange des idées.

Mais l’AECG n’est pas ce genre d’accord. L’AECG est conçu de manière à donner aux multinationales de nouveaux outils pour s’enrichir aux dépens des citoyens en leur permettant de contester les réglementations gouvernementales qui leur déplaisent.

À titre d’exemple, la compagnie Lone Pine Resources a poursuivi le gouvernement du Canada aux termes de l’ALENA à cause d’un moratoire québécois sur l’exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique dans la vallée du fleuve Saint-Laurent. La pétrolière canadienne se sert de sa filiale américaine pour contester la loi. Ce n’est qu’un aperçu de ce qui nous attend avec l’AECG. Le gouvernement du Canada a accepté d’établir un tribunal spécial pour permettre aux multinationales de poursuivre les gouvernements aux termes de l’AECG.

Depuis l’adoption de l’ALENA, le Canada a été poursuivi pas moins de 39 fois par des sociétés américaines et contraint de payer plus de 198 millions de dollars en pénalités. Le Canada est actuellement la cible de poursuites totalisant 2,57 milliards de dollars, dont les deux tiers touchent des politiques environnementales. Il s’agit notamment de poursuites pour des moratoires sur les forages, les pesticides utilisés pour les pelouses, et l’exportation transfrontalière de PCB. L’AECG fera en sorte de favoriser ce genre d’abus par les multinationales.

L’AECG renferme une disposition obligatoire sur la coopération en matière de réglementation afin d’harmoniser les normes entre l’Amérique du Nord et l’Europe dans des domaines aussi divers que les pipelines, les services financiers, les lois du travail et les produits chimiques dans les aliments. L’AECG renferme également une disposition sur le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), un mécanisme qui permet à une société étrangère d’un pays de poursuivre le gouvernement d’un autre pays pour obtenir une compensation financière lorsqu’un règlement ou une loi viole le droit de l’investisseur à faire des profits.

Si quelqu’un vous dit que le « tribunal multilatéral sur l’investissement » qui remplace la disposition d’origine sur le RDIE est une réforme ou une amélioration, ne les croyez surtout pas. La création d’un « tribunal spécial » à l’usage exclusif des sociétés étrangères, excluant de facto les sociétés, les associations et les organisations nationales, demeure profondément antidémocratique et dangereuse.

Un rapport récent a établi que le tribunal multilatéral sur l’investissement autoriserait les contestations les plus controversées lancées aux termes de la disposition de l’ALENA sur le RDIE.

Pourquoi ne pas conclure un accord transatlantique pour circonscrire l’évasion fiscale ?

Nous avons plus que jamais besoin d’accords internationaux, mais pas de l’AECG. Nous avons besoin d’accords qui améliorent nos normes. Pourquoi ne pas conclure un accord transatlantique pour circonscrire l’évasion fiscale ? À l’heure actuelle, les sociétés utilisent chaque échappatoire possible pour éviter de payer des impôts sur leurs profits. Dotons-nous d’un accord Canada-Union européenne pour réglementer les mouvements de capitaux, améliorer les droits des travailleurs et empêcher la privatisation de biens communs comme l’eau.

La forme actuelle de mondialisation économique caractérisée et protégée par des accords favorables aux entreprises comme l’AECG est profondément erronée. Les gagnants sont trop peu nombreux ; les dommages infligés au monde naturel sont beaucoup trop vastes.

Les gagnants sont trop peu nombreux ; les dommages infligés au monde naturel sont beaucoup trop vastes.

Nous devons rejeter l’AECG. Nous devons aller encore plus loin et repenser un système économique constamment au service du 1%. Le moment est venu d’inscrire les principes de coopération et de communité au cœur d’une vision de développement social juste, équitable et durable.

S’il y a bien, dans notre histoire, un moment où l’on doit faire preuve de courage et de vision pour un système de production alimentaire, de production d’énergie et d’échanges commerciaux transnationaux, c’est bien maintenant. Tout dépend en grande partie de ce que nous ferons maintenant.

José Bové est un agriculteur français, militant, porte-parole de Via Campesina, et député du Parlement européen.

Maude Barlow est la présidente nationale du Conseil des Canadiens.
Les positions exprimées dans cette lettre ouverte ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale de Ricochet.

Maude Barlow

Présidente nationale du Conseil des Canadiens

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