Édition du 26 mars 2024

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L'Écosse : la souveraineté n'est pas coupable

La défaite écossaise est aussi une défaite du mouvement souverainiste, car c’est encore des arguments économiques relatifs à la « peur » qui ont supplanté l’idéal souverainiste.
À cet effet, je vous présente deux arguments économiques qui ont permis de répandre la croyance qu’une Écosse souveraine serait une Écosse pauvre.

La monnaie ?

Le premier argument en est un de nature monétaire. Selon ce dernier, une Écosse souveraine ne pourrait pas utiliser la livre sterling, car le Royaume-Uni la lui interdirait. Cet énoncé est simplement faux et relève d’une malhonnêteté intellectuelle. En effet, une devise est un bien commun qui se vend et qui s’achète sur le marché des taux de change. Elle est d’ailleurs régie par la loi de l’offre et de la demande. Personne n’est propriétaire des monnaies et par conséquent, n’importe qui peut s’en procurer. Donc, une Écosse souveraine, comme tous les pays du monde, pourrait utiliser la monnaie qu’elle désire, y compris la livre sterling. Ainsi, la véritable question que l’on doit se poser est la suivante : est-ce que l’Écosse souveraine aurait intérêt à utiliser la livre sterling ?

Pour continuer, certains affirment que l’Écosse ne devrait pas utiliser la livre sterling, car son développement économique deviendrait tributaire des politiques de la Banque centrale de Londres. Dans ce sens, la Banque centrale de Londres pourrait décider, par exemple, de dévaluer sa monnaie pour nuire à l’économie écossaise. Cette affirmation n’est pas entièrement fausse, mais elle est très peu probable pour deux raisons.

D’une part, l’Écosse détient 90 % de la production d’hydrocarbures du Royaume-Uni, ce qui pèse lourd dans son rapport de force avec l’Angleterre. D’autre part, si l’Écosse change de devise, cela signifie qu’une partie importante de la masse monétaire du Royaume-Uni se retrouvera à vendre sur le marché des taux de change. Cela causerait donc d’importantes fluctuations de la devise anglaise et favoriserait une situation d’instabilité sur les marchés financiers concernant l’économie réelle.

Ainsi, en raison du rapport de force que l’Écosse détient grâce à son or noir, les négociations seraient avantageuses pour les deux partis.

Vers un ralentissement économique ?

Le second argument présenté atteste que l’Écosse ne devrait pas être un pays, car ses réserves de pétrole vont en décroissant. Dans ce sens, une Écosse souveraine serait condamnée à une pauvreté dès qu’elle n’aurait plus d’or noir.

Bien que certains pays ont connu des déboires relativement à une mauvaise utilisation de leurs ressources naturelles, l’inverse est tout aussi vrai. En effet, d’autres pays ont réussi à utiliser de façon efficiente leurs ressources naturelles pour assurer une pérennité de leur économie. Voici, à cet effet, deux exemples.

Le premier exemple est celui de l’Espagne. Lors de la découverte des Amériques, le royaume espagnol a mis la main sur la plus grande quantité d’or au monde. Or, toute cette richesse a été utilisée pour financer des campagnes militaires et un mode de vie luxueux. Conséquence de tout cela, l’Espagne a connu de terribles crises économiques quelques années à peine après que les dernières importations d’or en direction de la métropole prennent fin.

Le second exemple est celui de la Norvège. Ce pays a réussi, grâce à son industrie pétrolière, à se doter d’un fond de génération envié par le monde entier. Ensuite, la Norvège investit dans le secteur de l’innovation technologique afin de développer des structures économiques qui permettront à celle-ci de continuer à prospérer, et ce, même après la fin de l’exportation du pétrole. En effet, lorsqu’un pays exploite des ressources naturelles, il doit absolument utiliser ses profits afin de s’industrialiser, et ainsi, diversifier les secteurs stratégiques de l’économie. D’ailleurs, il ne faut pas simplement utiliser nos avantages comparatifs comme l’affirmait Ricardo au XVIIe siècle, mais il faut également les développer. 

À la lumière de ces idées, une Écosse souveraine devrait donc utiliser les profits de l’exploitation de ses ressources naturelles pour investir dans des structures économiques. Celles-ci permettront de maintenir une croissance économique forte, et ce, même quand il n’y aura plus de pétrole dans le sous-sol.

La souveraineté n’est pas coupable

Même si la situation québécoise n’est pas la même qu’en Écosse sur plusieurs points, je crois qu’il y a une ressemblance considérable au point de vue économique. Un coup d’œil au dernier référendum québécois permet en effet d’établir des liens. Bref, l’Écosse a peut-être perdu son référendum, mais il est important de tirer des leçons de cet événement. Évidemment, certains n’ont que le mot échec présent sur le bout des lèvres, mais n’oublions pas que ce référendum est un succès relativement à d’autres aspects. À une époque où la question souverainiste perd en popularité au sein de la société québécoise, le référendum écossais prouve que cette idéologie est loin d’être disparue. Les temps changent, certes, mais les mêmes questions demeurent.

Bruno Arcand

Étudiant en sciences sociales à l’UQÀM

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