Édition du 26 mars 2024

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Alimentation

L’agriculture mondiale va être durement affectée par le changement climatique

Sécheresses, pluies diluviennes, typhons, manque d’eau ou maladies, le changement climatique représente un risque majeur pour l’agriculture mondiale. Les rendements en céréales ont déjà commencé à baisser dans certaines régions du monde. Le continent africain est particulièrement touché.

Tiré de Reporterre.

1,1 million de tonnes de noix de coco, riz et maïs détruits par le passage du typhon Haiyan sur l’archipel des Philippines, en novembre 2013. 35 000 hectares et un nombre incalculable de chèvres et de poulets noyés par des pluies diluviennes au sud du Malawi, en octobre 2014. 400 000 familles en détresse alimentaire après de graves sécheresses au Honduras, au Salvador et au Guatemala, en 2014...

Les pays du Sud sont régulièrement frappés par des phénomènes météorologiques extrêmes, qui se multiplient ces dernières années au rythme du changement climatique.

Ces catastrophes naturelles ne représentent qu’une petite partie des dommages liés au dérèglement climatique dans l’agriculture. Des stagnations voire des baisses des rendements agricoles et une détérioration de la qualité des récoltes et de la santé des animaux ont déjà été constatés à certains endroits du globe.


 Évolution observée de la température 1901-2012 - GIEC -

« Tous les agriculteurs du monde sentent la menace et vont dire qu’ils sont très impactés », affirme Emmanuel Torquebiau, chercheur au Cirad (http://www.cirad.fr). Ces dégâts vont très probablement s’accentuer dans les prochaines décennies. Cela, alors que la production agricole devra augmenter de 70 % dans les trente-cinq prochaines années, pour nourrir les neuf milliards d’humains que comptera la planète en 2050...

La chaleur, ennemi n°1

L’ennemi numéro 1 de l’agriculteur est la hausse des températures, peut-on lire dans un rapport de 1820 pages intitulé « Impact, adaptation et vulnérabilité » (partie A (https://ipcc-wg2.gov/AR5/images/uploads/WGIIAR5-PartA_FINAL.pdf) ; partie B (https://ipcc-wg2.gov/AR5/images/uploads/WGIIAR5-PartB_FINAL.pdf). En anglais) rédigé par les scientifiques du Giec.


 Incidence sur le rendement 1960-2013 – GIEC -

Elle pourrait entraîner une baisse des rendements mondiaux en blé, riz et maïs de plus de 25 % en 2030-2049 par rapport à la fin du XXe siècle, d’après 10 % des projections étudiées par le Giec. L’élevage, en particulier intensif, ne serait pas épargné : au fur et à mesure que la productivité de nos vaches, porcs et poulets augmente, leur tolérance à la chaleur diminue.


 Évolution des rendements - GIEC -

Le changement climatique a d’autres effets plus inattendus. « L’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique à plus de 100 parties par million (ppm) depuis l’époque préindustrielle a certainement amélioré l’efficacité de l’irrigation et les rendements, en particulier pour (…) le blé et le riz, signale le rapport, même si ces bénéfices jouent un rôle mineur dans les tendances globales de rendements. »

On ne peut en dire autant de l’ozone (O3), également émis par nos voitures et centrales énergétiques, dont la concentration croissante dans la troposphère détraque le système reproductif des plantes. Pour la seule année 2000, cette molécule a coûté 11 à 18 milliards de dollars à l’échelle mondiale, de pertes de rendements en soja, blé et maïs.

Des prévisions compliquées...

Et la pluie ? Son volume et sa répartition changent, mais il reste difficile de quantifier et d’intégrer ces évolutions aux modèles scientifiques. « On sait qu’il va y avoir des augmentations de pluviométrie, mais que cette pluie va peut-être être concentrée à certains endroits et pas à d’autres, donc il est très compliqué de faire des prévisions au niveau local, admet Emmanuel Torquebiau. Typiquement, pour l’Afrique de l’Ouest, zone semi-aride, la moitié des modèles prédisent une augmentation de pluviométrie, et l’autre moitié une diminution. » L’incertitude est d’autant plus douloureuse que l’agriculture irriguée est le premier utilisateur d’eau dans le monde.

Toutes ces données et projections sont à prendre avec précautions. « Température, concentration atmosphérique en CO2, minéraux dans le sol... Nous savons comment chacun de ces éléments joue sur l’agriculture, mais avec le changement climatique nous allons vers des choses inconnues, souligne Patrick Caron, directeur des programmes scientifiques au Cirad. Nous faisons face à trois facteurs de complexité : un ensemble de conditions inédites, des impacts différents liés à des spécificités locales, et la multiplication de phénomènes extrêmes difficiles à prévoir qui entraînent plus de conséquences que le tendanciel. »


 Incidences observées liées au changement climatique - GIEC -

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L’Afrique, première victime

Toutes les agricultures du monde sont-elles touchées avec la même intensité ? Clairement, non. « Les systèmes de production alimentaire d’Afrique sont parmi les plus vulnérables en raison d’un vaste recours aux cultures pluviales, à la variabilité climatique intra et inter-saisonnière, à des sécheresses et à des inondations récurrentes qui affectent à la fois la culture et l’élevage, et une pauvreté persistante qui limite la capacité à s’adapter », indiquent les scientifiques du Giec.

Le changement climatique taille dans les rendements des céréales. La production de maïs pourrait baisser de 30 % en Afrique du Sud et au Zimbabwe en 2050 ! Enfin, « la perte de bétail en situation de sécheresse prolongée est un risque critique », surtout en Afrique du nord et du sud.

Sous l’effet de la chaleur, les rendements de blé ont déjà diminué en Asie du Sud. Idem pour le blé et le maïs en Chine. L’Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan) risque de devenir de plus en plus chaude et aride dans les prochaines décennies. Quant au Bangladesh et au delta du Mékong, ils devront faire face à la montée du niveau de la mer : un mètre d’eau de plus, et c’est quelque 7 % des terres agricoles vietnamiennes qui pourraient être immergées.

Maladie tropicale en Europe

Une partie du vieux continent a vu ses rendements en blé stagner ces dernières décennies sous la hausse des températures, malgré les progrès technologiques. Seule l’Europe du Nord tire son épingle du jeu, avec des rendements en augmentation.

Le réchauffement de l’atmosphère a aussi favorisé la propagation du virus de la fièvre catarrhale du mouton et des tiques dans certaines régions. Une moindre disponibilité de l’eau et des vagues de chaleur extrême ne laissent rien présager de bon pour l’avenir. Pour mémoire, les pertes de récoltes de céréales avaient atteint 20 % pendant la canicule de 2003...

L’Australie, qui représente rien moins que 40 % du commerce mondial de produits laitiers, devrait voir sa production laitière baisser d’ici 2050 dans toutes les régions du pays, sauf la Tasmanie. Pas de bonne nouvelle non plus côté vigne, avec des récoltes qui s’annoncent de plus en plus précoces, pour une qualité de vin de plus en plus médiocre.

Inondations et glissements de terrain en Amérique du Sud

Les États-Unis devraient voir leur productivité agricole baisser. Mexico est en voie de désertification sévère, avec des risques de disparition de plusieurs espèces de maïs et de stress thermique important pour les animaux. Certaines zones de l’est de l’Amérique du Sud profitent du changement climatique et ont vu leurs rendements agricoles et leurs superficies cultivées augmenter, au-delà du seul progrès technologique.

Mais l’embellie devrait être de courte durée, puisque les modèles scientifiques prévoient des problèmes de disponibilité en eau dans les régions semi-arides et celles dépendant de la fonte des glaciers, des inondations et des glissements de terrain dus aux précipitations extrêmes, et une baisse de la production et de la qualité des aliments. Dans la région amazonienne, le pire scénario envisage des rendements en soja réduits de 44 % d’ici 2050...

Le tableau est accablant. Certes, il reste des incertitudes sur les modèles et les projections. Mais les scientifiques du monde entier s’accordent pour dire qu’à terme, c’est toute l’organisation de l’agriculture mondiale qui pourrait être bouleversée.
Les latitudes les plus élevées deviendraient les nouveaux eldorados de l’agriculture. A l’inverse, les terres tropicales, en proie à des températures extrêmes et au manque d’eau, deviendraient de plus en plus difficiles à cultiver.

Cela dit, il n’y a pas de fatalité : l’agriculture, émettrice de gaz à effet de serre, a aussi un potentiel d’absorption de carbone qui est loin d’être négligeable et pourrait contribuer à atténuer le changement climatique. L’agroécologie est également une piste pour adapter les systèmes agricoles et continuer à nourrir la planète malgré le dérèglement climatique. Reporterre y reviendra plus longuement dans ses prochains articles.

Ce reportage est mené en partenariat avec la campagne Envie de paysans (Infos) (http://www.enviedepaysans.fr).

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