Édition du 23 avril 2024

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Nouveau numéro de la revue Relations

L’arbre qui cache la forêt

Éditorial écrit par Catherine Caron

Mille arbres ont été abattus au parc Jean-Drapeau en avril dernier. À l’heure où l’on s’échine à planter des arbres à Montréal pour remplacer tous ceux que l’on perd en raison de la propagation de l’agrile du frêne, on peine à croire qu’on ait ainsi osé les sacrifier. Tout comme, il y a quelques années, on avait osé raser les 67 pommetiers du parc Albert-Duquesne, à l’angle des rues Saint-Urbain et de Maisonneuve ; un magnifique cloître naturel de fraicheur et de beauté en plein centre-ville à jamais disparu. Dans les deux cas, ces massacres à la tronçonneuse, c’est le cas de le dire, ont été faits pour que du pain et des jeux puissent être offerts à la population sur des places bétonnées et aseptisées que les organisateurs de festivals n’utilisent que quelques semaines par année.

Heureusement, plusieurs autres initiatives – ruelles vertes, milieux naturels restaurés, programme des 375 000 arbres plantés, etc. – permettent de verdir la ville et d’accroître sa biodiversité. Et l’erreur d’avoir négligé une diversité arboricole garante de vie au profit de deux espèces majoritaires sur l’île – le frêne et l’érable – n’est pas près d’être répétée, on l’espère. Mais il reste troublant qu’encore en 2017 on en vienne à vider bêtement un beau parc d’une partie de ses arbres. De quoi faire écho aux propos sans détour de Richard Desjardins, dix ans après L’Erreur boréale : « On voit un lac, on le vide de ses poissons. On voit une rivière, on la barre. On voit une patch de bois, on la bûche. Toujours à piocher dans le fond du baril. Et maintenant, on veut commercialiser la biomasse elle-même, le substrat de la vie... » (Le Devoir, 12-13 juin 2009).

Loin de la ville cette fois, on coupe et on vend le bois, en ne se rendant pas toujours compte que nos arbres, c’est plus que du 2 x 4. Ainsi, alors qu’une énième crise du bois d’œuvre menace le gagne-pain de bien des travailleurs dans plusieurs régions du Québec (depuis que l’administration Trump impose des droits compensateurs de 20 % en moyenne sur les exportations de bois canadien), la tentation est grande de ne voir là que les ravages injustes causés par l’olibrius frondeur au pouvoir à Washington – et de ne voir ainsi que l’arbre qui cache la forêt.

Car ce conflit commercial ne se résume pas aux histoires de droits de douane, d’affrontements judiciaires, de mesures de soutien à l’industrie et de pertes d’emploi – aussi tristes soient ces dernières –, telles que relatées dans les journaux. On parle trop peu du fait qu’à trop miser sur l’exportation d’une grande part de notre bois d’œuvre vers les États-Unis, on a non seulement négligé de diversifier les marchés, mais, plus important encore, on a négligé de diversifier la production et les secteurs d’activité des régions forestières.

Les maires et mairesses réunis au sein de l’Alliance forêt boréale Québec-Ontario, entre autres, l’admettent et appellent tous les acteurs concernés à mettre en œuvre cette diversification et à valoriser davantage notre bois. Québec solidaire met de l’avant la nécessité de politiques publiques qui encouragent l’utilisation du bois dans toutes les nouvelles constructions non résidentielles, rappelant que 80 % d’entre elles pourraient prendre ce virage, au lieu du 20 % actuel, selon le rapport Beaulieu commandé par le gouvernement en 2012. L’Union paysanne appuie aussi l’idée, arguant que nous pouvons utiliser davantage de notre propre bois, tout comme nous produisions et consommions davantage nos propres produits agricoles… avant d’être poussés à importer toujours plus.

Crise climatique oblige, il faut sortir d’une logique de marchandisation à outrance qui pousse les uns et les autres à prioriser la production (souvent industrielle) destinée à l’exportation – avec la pollution accrue qui l’accompagne – plutôt qu’une utilisation plus locale, inventive et écoresponsable de nos ressources, répondant aux besoins des populations et respectant les droits des Premières Nations. C’est le gros bon sens. Et cela ne signifie pas de ne rien vendre à l’étranger. Mais à force de démoniser bêtement toute remise en question du système commercial actuel sous prétexte que des fourbes comme Donald Trump ou Marine Le Pen rendent toxique toute discussion approfondie à ce sujet, on reste emprisonnés dans un mauvais modèle. À nous de montrer de quel bois nous nous chauffons dans ce débat en portant une autre conception des échanges commerciaux, basée sur le respect de l’environnement et des écosystèmes, sur l’impératif de la coopération et non sur la concurrence, et sur la primauté des droits humains sur ceux des investisseurs. À nous aussi d’agir pour enraciner l’avenir de nos collectivités dans un terreau plus riche et fertile que celui qui, aujourd’hui, les fragilise grandement.

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