Édition du 16 avril 2024

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La Corée du Nord : l’autre côté du miroir

Le traitement accordé par les médias à la crise coréenne est assez uniforme. La Corée du Nord est un pays mené par une sorte de dynastie à la fois stalinienne et monarchique. Le président Kim Jong-un, petit-fils de Kim Il-sung, le fondateur de la République populaire de la Corée du Nord, est un fou qui aime jouer avec les missiles comme avec des ballons de basketball (son sport préféré). Les États-Unis et leurs alliés européens, japonais et canadiens, s’indignent des essais nucléaires, pendant que le président Trump menace de pulvériser ce pays. Ce discours bien rodé empêche cependant de comprendre cette crise multiforme.

Une histoire de feu et de sang

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Asie de l’Est devient un lieu de confrontations entre les puissances qui entrent dans la guerre dite « froide ». De violentes confrontations surviennent, notamment au Vietnam, aux Philippines, en Malaisie. Les États-Unis veulent endiguer la Chine qui est alors perçue comme une grande menace. Dans plusieurs pays, Washington s’appuie sur l’ancien dispositif colonial, comme au Vietnam où une vaste insurrection populaire met à mal la France qui deviendra dans les années 1960 une guerre contre les États-Unis.

Parallèlement, le théâtre du conflit se déplace vers la péninsule coréenne. Après la défaite du Japon (qui occupe la Corée depuis 1895), les États-Unis occupent le sud du pays et installent au pouvoir le dictateur Syngman Rhee, qui réprime de grandes révoltes paysannes et fait emprisonner 300 000 personnes accusées d’être communistes. Au nord du 38ième parallèle, le régime soutenu par la Chine et l’URSS se prépare à un conflit qui semble inévitable et qui éclate en juin 1950. L’armée nord-coréenne avance rapidement dans le sud où elle a l’appui d’une partie de la population.

Mais les États-Unis dépêchent sur place plusieurs milliers de soldats, ce qui entraîne une guerre extrêmement féroce (plus de deux millions de morts dont plus de la moitié sont des civils). Le général en chef Douglas MacArthur propose alors de lancer de 30 à 50 bombes nucléaires jusqu’à la frontière entre la Chine et la Corée du Nord. Renvoyé par le président Truman, MacArthur est remplacé par James Ridgway qui propose lui-aussi de déclencher une attaque nucléaire.

Entre-temps, les États-Unis bombardent les infrastructures (voies de transport, bâtiments, barrages) qui à toutes fins pratiques anéantissent le territoire où selon des historiens, 20 % de la population nord-coréenne aurait péri. En 1953, bien qu’un armistice soit signé, imposant une vaste zone démilitarisée entre le nord et le sud, aucun traité de paix n’est agréé. Depuis, le conflit se perpétue de diverses manières. Le régime nord-coréen utilise diverses manœuvres pour déstabiliser son adversaire avec plus d’un million d’hommes en armes. De l’autre côté, plus de 28 000 soldats américains sont stationnés dans 83 bases militaires réparties partout sur le territoire (40 000 sont au Japon où est localisé le commandement de la 7ième flotte de la marine américaine). La base américaine de Camp Humphreys, la plus grande en Corée, vient d’être rehaussée dans le cadre d’un vaste projet dont le budget est de $13 milliards de dollars.

L’enjeu nucléaire

On affirme que la Corée du Nord est un danger pour le monde à cause du développement de son programme nucléaire renforcé par des missiles balistiques qui pourraient menacer le Japon et même les États-Unis. On estime que la Corée dispose d’environ 200 missiles dont certains sont de longue portée. Grâce à la production d’uranium enrichi, les forces armées nord-coréennes disposeraient d’une vingtaine de bombes nucléaires. Chose certaine, ce programme d’armement nucléaire s’est accélérée en Corée du Nord depuis quelques années.

Les États-Unis par ailleurs possèdent 6800 armes nucléaires, alors que la Russie a un stock de 7000 bombes, suivie de loin par la Chine, l’Angleterre, la France, qui constituent le club sélect des puissances nucléaires, selon le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (signé en 1970). Israël, l’Inde et le Pakistan (non-signataires du traité) ont également des capacités dans ce domaine et n’adhèrent pas, comme la Corée du Nord, au traité de non-prolifération.

Par ailleurs, les États-Unis et les autres membres du « club » ne cessent de moderniser et de perfectionner leurs armements nucléaires. Depuis quelques temps, des armes nucléaires dites « tactiques » (dont la portée serait moins grande) sont disponibles, ce qui peut faire penser que certains États pourraient envisager de les utiliser.

Le « grand jeu » géopolitique en Asie

Les États-Unis sont interpellés par l’influence croissante de la Chine. Le projet mis de l’avant par l’ex président Obama, qui voulait créer une vaste zone de libre échange Asie-Pacifique qui aurait soudé les pays de la région, sauf la Chine, aux États-Unis, est maintenant mis de côté. Reste à voir ce que fera l’administration Trump. Tout en déployant de nouvelles capacités militaires dans la région, il n’est évidemment pas pensable d’attaquer la Chine. Cependant, on peut essayer, comme cela a été et reste le cas avec la Russie, de diminuer la Chine en visant des « maillons faibles ».

La Corée du Nord, qui dépend économiquement de la Chine pour sa survie, pourrait être une cible dans le cadre de ce grand jeu. Les États-Unis et leurs alliés peuvent prétendre qu’ils n’ont aucune intention d’imposer des changements de régime (regime change), mais on a vu ces dernières années que c’est ce qui est arrivé, malgré l’opposition de la majorité des États-membres de l’ONU, en Irak, en Syrie et en Libye. On avait accusé Saddam et Kadhafi d’être de dangereux ennemis prêts à tout avec leurs armes de « destruction massive ». On a vu finalement que c’était un coup monté, ce qui a permis aux États-Unis et à l’OTAN de les éliminer tout en détruisant leurs pays. À Pyongyang, le régime dictatorial pense que les armes nucléaires sont le seul rempart relativement efficace pour empêcher une évolution similaire.

Demain tout peut basculer

Les populations concernées, y compris dans les deux Corées, s’inquiètent. Le président sud-coréen, Moon Jae-in, a justement été élu en mai dernier pour relancer le dialogue inter coréen, mais il est pris de court par les évènements récents. La solution serait une démilitarisation de la péninsule, ce qui serait un pas en avant vers la remise en question du dispositif militaire pour l’Asie-Pacifique. Mais les États-Unis, encore plus sous l’égide de Donald Trump, ne veulent rien entendre. En attendant, il faut s’attendre à ce que la région reste sur le bord du précipice.

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