Édition du 16 avril 2024

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Europe

La crise grecque, un jeu de dupes au profit des banques

7,8 milliards : tel est le montant des intérêts dégagés dans le cadre du programme "d’aide" à la Grèce, qui sont essentiellement tombés dans l’escarcelle des banques privées et des banques centrales nationales.

Tiré de la revue Regards.

En rendant publique une lettre que Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a adressée à des députés européens, l’institution financière a communiqué, ce mardi 10 octobre, un chiffre hautement politique. Et qui éclaire directement la gestion de la crise grecque par les "partenaires européens". Entre 2012 et 2016, les emprunts d’État grecs ont dégagé des revenus d’intérêts s’élevant à 7,8 milliards d’euros.

"Sauver la Grèce"… et protéger les banques

Une telle somme est le résultat de la politique menée par la BCE et les États membres de l’union monétaire depuis 2010. La Grèce, dirigée par le social-démocrate Giorgos Papandreou, est alors attaquée par les marchés au prétexte que sa dette publique trop élevée – le risque étant alors celui d’un défaut de paiement. Les taux d’intérêts de ses obligations souveraines, qui servent à faire tourner son économie, explosent.

D’autres pays, l’Irlande, le Portugal, l’Italie et l’Espagne, sont aussi victimes d’attaques spéculatives. La BCE intervient alors. Pour venir en aide aux "pays périphériques", l’institution de Francfort lance le SMP (Securities Markets Program), c’est-à-dire un programme d’achat d’obligations souveraines sur le marché secondaire de la dette. L’objectif de ce rachat était de tirer vers le bas les taux et les coûts de financement des États pour l’ensemble de la zone. Voilà pour le système général.

Les astuces apparaissent en se plongeant un peu plus dans le mécanisme et elles révèlent qui a réellement bénéficié du SMP. Tout d’abord, comme le précise Éric Toussaint, du Comité pour l’annulation des dettes illégitimes (CADTM), avec ce programme, « la BCE a acquis les titres grecs auprès des grandes institutions bancaires qu’elle voulait protéger ». Et de citer des banques françaises, allemandes ou du Benelux (BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale, BPCE, Hypo Real, Kommerzbank, Dexia, ING, Deutsche Bank…). Si la BCE n’avait pas lancé ce programme SMP, les prix des titres grecs auraient atteint un taux plancher correspondant à environ 20% de leur valeur faciale.

L’État grec renfloué ou floué ?

Pour Éric Toussaint, « les achats massifs de la BCE ont maintenu le prix à un taux anormalement élevé (de l’ordre de 70%). En conséquence, les banques privées ont limité leurs pertes au moment de la revente des titres, que l’intervention de la BCE a maintenus à une valeur artificiellement élevée ».
Professeur en finance internationale à l’université Panteion d’Athènes, Kostas Melas précise que « lors du rachat, ces obligations ont perdu environ 30% de leur valeur nominale. En revanche, quand elles arrivent à terme, le gouvernement grec doit payer à cette valeur nominale. » Il ajoute : « Les profits viennent d’une part des intérêts et de la différence entre le prix auquel ces obligations ont été achetées et leur valeur nominale ». Autrement dit, le débiteur doit payer exactement le même montant en termes d’intérêts, calculés sur la valeur faciale. Et, à l’échéance du titre, rembourser 100% de la valeur faciale.

Les profits réalisés dans le cadre du programme SMP de soutien aux pays en crise sont enregistrés par l’Eurosystème, c’est-à-dire l’ensemble des banques centrales de la zone euro. En novembre 2012, la BCE autorise les États-membres à rétrocéder les profits dégagés au gouvernement grec. Si la question touche aussi à la notion de "solidarité européenne" et d’entraide entre les États-membres, elle éclaire aussi sur le comportement de chacun de ces États envers la Grèce.

Le pactole des banques

Selon Kostas Melas, six milliards d’euros seraient toujours détenus par la BCE. L’Allemagne a, elle engrangé, 1,34 milliards sur la crise grecque, dont 952 millions dans le cadre du SMP. Comme le souligne Éric Toussaint, « il y eut un versement important quand Antonis Samaras, issu de Nouvelle démocratie (droite) était premier ministre. Puis, de l’arrivée d’Alexis Tsipras et de Syriza à la tête de l’État, en janvier 2015, jusqu’à la capitulation de juillet 2015 [1], il n’y a plus eu de remboursements. Par la suite, seul de modiques ont été effectués, qui ont, de surcroît, servi uniquement au remboursement de la dette alors qu’ils devraient servir aux dépenses légitimes de l’État (investissements, dépenses sociales...) »

Politique, le SMP l’est donc clairement malgré le principe d’indépendance de la BCE. Et ce rôle politique continue de jouer à plein. « En mai 2016, l’Eurogroupe a décidé que la BCE pourrait rétrocéder ces profits quand le troisième mémorandum arrivera à son terme, en août 2018. Mais uniquement pour les années 2017 à 2019, date d’échéance des obligations. »

Selon Kostas Melas, les intérêts dégagés entre 2014 et 2016 resteront acquis à la BCE. Et l’universitaire d’ajouter : « Ce n’est pas tout ! Dans le cadre du programme ANFA [2], les banques nationales ont prêté environ 14,4 milliards d’euros à la Grèce ». Selon lui, elles ont réalisé entre 5 et 5,5 milliards de profits. La crise grecque a été visiblement un juteux marché. Pour les banques en tout cas.

Notes

[1] La signature du troisième mémorandum.

[2] L’ANFA est un accord conclu entre les Banques centrales nationales de la zone euro et la BCE. Cet accord permet aux banques nationales d’acheter des titres sur le marché dans une limite fixée par la BCE.

Fabien Perrier

Auteur pour le journal L’Humanité (France) au Forum social de Tunis 2013

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