Édition du 26 mars 2024

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LGBT

La dépression : ma squatteuse

Je n’ai qu’une seule envie, prendre ma chienne sous le bras et partir loin, au Mexique, n’importe où !

 Vous voulez partir en vacances ?

Dialogue absurde en 2006 avec une soi-disant experte d’une compagnie d’assurance venue chez moi vérifier, non pas si j’allais mieux, mais si je pouvais reprendre le travail.

tiré de : Objet : Abu ou faire la paix avec soi et sa famille De Infolettre de Fugues

Bref, si j’étais apte à redevenir un bon petit soldat social. C’était ma troisième grande dépression. La première à l’âge de 35 ans, la seconde à 40, la troisième à 50. Dépressif à vie selon certains médecins. En fait, dès le premier épisode, le plus intense de tous, j’ai pris conscience que cette pathologie sous des formes plus larvées datait depuis toujours. Les trois fées Noradrénaline, Sérotonine et Dopamine devaient être en grève le jour de ma naissance.

Dépressif donc, c’est un coming-out. Auquel il faudrait associer d’autres symptômes plus légers d’agoraphobie, de moments de panique, de troubles de l’attention, ou encore de mon hyper timidité persistante. Hyper timide ? Ça pourrait faire rire ceux qui me connaissent, effectivement Mais j’ai appris depuis tout jeune à surcompenser, à faire comme si, à faire semblant que tout allait bien pour moi. Bien sûr, thérapies et médications ont corrigé un peu le tir. Mais certaines situations restent encore anxiogènes. Et même quand je suis au mieux de ma forme, en toile de fond subsistent ces difficultés d’être lié à ma très chère, ma très ennuyeuse, mais aussi très précieuse mélancolie.

La dépression, je la connais bien. Je la surveille toujours du coin de l’œil, elle peut être derrière moi comme une meute de chiens prête à se lancer à mes trousses, ou surgissant au coin d’une ruelle, ou confortablement installée dans mon sofa quand je rentre chez moi. J’ai appris à la contrer par toutes sortes de techniques : relaxation, méditation, écoute de la musique, ... Bref, je peux la tenir à distance par une auto-surveillance constante. Et si je baisse la garde, croyant lui avoir échappé, elle peut me le faire payer plus chèrement.

La dépression met du piquant dans ma vie, mais il faut aussi tenir compte de l’impact qu’elle a sur ma vie sociale. Comment les autres perçoivent ce symptôme si je m’ouvre à eux ou si je ne peux leur cacher ? Entre celles et ceux qui pensent que c’est contagieux puisque cela vient, par ricochet, les mettre en face de leurs propres failles, leurs propres faiblesses et leurs propres doutes, et celles et ceux qui, souvent avec une certaine arrogance, avancent qu’il suffit d’un bon coup de rein pour régler le problème, sans oublier les donneurs de leçons les Y a qu’à… qui considèrent que nous sommes complaisants avec nous-mêmes, il y a fort à faire pour éduquer les gens à cette symptomatologie. Reprocherait-on à une personne qui a chaque année la grippe d’être complaisante avec le virus ? « Que nenni ! », auraient dit mes grandes tantes qui avaient du vocabulaire, un peu suranné certes, mais du vocabulaire.

Dépressif un jour, dépressif toujours. Ainsi, pour une partie de mon entourage peu au fait de la dépression, tout ce que je vis est perçu à travers le prisme de la maladie. Une rupture, un deuil, une mauvaise nouvelle, quelque chose qui me rendrait triste comme le commun des mortels, et hop, le diagnostic de ces psychologues amateurs tombent : encore un de mes épisodes dépressifs. Des degrés dans la dépression ? Pas question de faire dans le détail. Pour beaucoup, la dépression est calibrée comme une pomme dans un supermarché, il n’y en a pas de petites, de grandes, de fréquentes, d’intenses, de légères, d’occasionnelles. Non, il y en a qu’une et indivisible. Et vous êtes marqué au fer rouge. J’ai eu des périodes de ma vie sans dépression, parfois plusieurs années, mais ça passe à la trappe. L’étiquette colle. Elle prend la taille, dans l’œil de quelques connaissances, d’un panneau publicitaire sur le bord d’une autoroute, et les autres aspects de ce que je suis sont réduits à celles de simples petites annonces en noir et blanc sans visuel dans une obscure publication gratuite.

Il m’est arrivé plusieurs fois de regretter d’en avoir parlé, tant la perception changeait dans le regard de l’autre, et parfois dans son comportement vis-à-vis de moi. Et pourtant comme tout le monde, je vis aussi. J’ai de grands moments de bonheur, de joie, de plaisir. Et le plus souvent, je me maintiens sur la ligne de flottaison avec les petites satisfactions et les petites déceptions quotidiennes. Comme tout le monde…

On oublie que la dépression peut prendre des formes et des intensités différentes selon les personnes et même chez une même personne. On oublie que ces personnes peuvent être tout aussi fonctionnelles 99% de leur temps.

Heureusement, depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déduit que la dépression serait le mal du XXIe siècle dans le monde occidental, je ne me sens pas mieux, juste… un peu moins seul.

Bien sûr, je connais les causes de ce mal d’être qui, de temps en temps, égratigne mon bien d’être par opposition au mal d’être. Rassurez-vous, je ne vous la ferai pas à la Victor Hugo ou à la Émile Zola ; les confidences, je les ai déposées sur le divan de mon psy. Et même si de connaître les causes de la dépression m’aide, ce n’est pas suffisant pour éviter des chutes et des rechutes. C’est comme la grippe, on en connait les symptômes et les causes, on ne l’évite pas pour autant.

J’appelle la dépression, ma squatteuse. Parfois, elle vient me faire un petit coucou, me rappeler à son bon souvenir. Parfois, elle s’installe plus longuement et demande toute mon énergie pour qu’elle reprenne sa route. Heureusement, avec le temps elle s’est faite plus discrète, moins intense, moins fréquente. Et ce n’est pas parce qu’il m’arrive d’éternuer que j’ai automatiquement la grippe. La dépression, c’est la même chose. À méditer quand vous connaissez dans votre entourage quelqu’un qui a ou a eu des épisodes dépressifs, ne le considérez pas comme GRIPPÉ à vie.

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