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La dictature néolibérale qui menace le Brésil

22 oct. 2018 | tiré du blog de Christian Laval - mediapart.fr

Le second tour de l’élection présidentielle au Brésil, le 28 octobre, risque de voir triompher le partisan d’une dictature néolibérale. Ce nouveau néolibéralisme, aux couleurs du nationalisme autoritaire et même du fascisme dans le cas brésilien, entend se débarrasser de toute opposition sociale et de tout frein institutionnel.

Le second tour de l’élection présidentielle au Brésil, le 28 octobre, risque de voir triompher le partisan d’une dictature néolibérale. A certains égards, elle n’est pas entièrement nouvelle. Le Chili de Pinochet en a été le laboratoire historique. Mais depuis les années 80, le néolibéralisme, devenu un système de pouvoir mondial, semblait s’accommoder des institutions de la démocratie libérale. Mieux encore, et c’était même un des grands arguments des partisans du néolibéralisme, il devait apporter avec lui la paix dans le monde et la démocratie dans tous les pays. On a vu et on continue de voir l’exact contraire. Ignorants de l’histoire, les promoteurs de la supposée « démocratie de marché » n’ont jamais voulu admettre qu’un système inégalitaire qui ne voit dans les individus que des consommateurs ou des entrepreneurs sape petit à petit les fondements de la citoyenneté. Aujourd’hui, le Brésil dévoile la vérité du néolibéralisme : il ouvre la voie à la dictature.

Par une succession d’actes de force aux allures légales, la présidente Dilma Rousseff a été démise de ses fonctions en 2016 puis l’ancien président Lula a été condamné sans preuves à la prison à la suite d’un procès déséquilibré, ce qui a permis de l’écarter de la course électorale qu’il était en position de gagner. La voie était libre pour prolonger et même radicaliser la politique néolibérale menée par le président Temer. C’est le candidat « outsider » Bolsonaro qui a réussi par sa démagogie, sa violence verbale, ses mensonges, à devancer les autres candidats de la droite « classique ».

Son programme, loin d’aller contre les vœux des classes dominantes, va les combler comme jamais de nouveaux privilèges et de nouvelles opportunités de profit. Cette coalition d’intérêts économiques et d’idéologies religieuses et nationalistes conservatrices, à écouter les propos du candidat et des membres de son équipe, devrait déboucher sur un vaste programme de privatisations des grandes entreprises et banques publiques, sur une aggravation des conditions et droits des travailleurs par une nouvelle réforme du travail et une mise au pas des syndicats et des mouvements sociaux, sur l’intensification de l’austérité en matière de dépenses sociales et publiques, sur un asservissement politique du système scolaire et universitaire au nom de la « rentabilité » des études, sur une stérilisation de la culture.

Sa campagne, soutenue par les oligarchies rurales, industrielles, médiatiques, religieuses et financières, laisse déjà entrevoir ce que serait une dictature néolibérale ouverte. Pour gagner les élections avec un tel programme néolibéral, refusé par une majorité de la population au Brésil d’après les sondages, il a fallu d’abord mobiliser l’électorat des couches supérieures et moyennes sur le thème de la sécurité et de la corruption, il a fallu aussi exploiter tous les ressorts de la haine contre les femmes, les noirs, les indiens, les homosexuels. A écouter le Bolsonaro et ses proches, il faudra réprimer et criminaliser toute activité sociale et politique qui pourrait s’y opposer pour réaliser l’unité nationale autour de son programme. L’arme de la dictature policière et militaire sera demain le moyen d’appliquer dans toute sa logique et avec toutes ses conséquences un néolibéralisme généralisé.

La leçon qu’il faut en tirer est simple. Nous sommes entrés, et pas seulement au Brésil, dans une situation historique nouvelle. Le nouveau néolibéralisme, aux couleurs du nationalisme autoritaire et même du fascisme dans le cas brésilien, entend se débarrasser de toute opposition sociale et de tout frein institutionnel. D’ores et déjà, les principes les plus élémentaires de la vie collective sont menacés par le règne de la calomnie, de la délation, de la vengeance, du mensonge systématique, des fake news, de l’agression physique et des meurtres.

Les classes dominantes tombent le masque en menant ouvertement une guerre civile contre une partie de la population et en détruisant elles-mêmes les institutions démocratiques libérales. En s’impliquant directement dans la mise en place de la dictature, elles entraînent leur pays dans le chaos social et elles prennent un risque considérable pour elles-mêmes. Le roi est nu quand le règne du capital ne peut plus se cacher derrière les apparences de la légalité démocratique.

Les résistances ne manqueront pas de s’organiser en cas de victoire de Bolsonaro mais dans des conditions difficiles et dangereuses. Soyons donc conscients des enjeux de l’élection brésilienne. Ce n’est pas un « populiste » de plus qui est en position de gagner les élections, c’est un dictateur féroce qui appliquera avec la violence la plus sauvage le programme néolibéral le plus complet. Il suffit d’écouter le discours de Bolsonaro devant ses partisans le 20 octobre dernier Avenida Paulista, à Sao Paulo, pour se rendre compte du danger qu’il représente pour la gauche, les mouvements sociaux et les intellectuels, et tout simplement pour la démocratie. Il n’a pas caché que s’il gagne il enverra les opposants de gauche en prison ou les bannira du pays. Et il promet même à son concurrent F.Haddad de l’envoyer « pourrir en prison » avec Lula. Quant aux mouvements des sans terre et des travailleurs sans toit, il les considérera et les traitera comme des organisations menant des « actions terroristes ». Ce qu’il annonce est clair : « J’effectuerai le plus grand nettoyage jamais vu dans l’histoire du Brésil. Vous verrez une armée fière qui travaillera en collaboration avec le futur du Brésil ». Tous les démocrates du monde sont prévenus : Bolsonaro est un fasciste fanatique qui risque d’accéder très bientôt au pouvoir au Brésil.

Christian Laval

Chrsistian Laval est docteur en sociologie, est membre du GÉODE (Groupe d’étude et d’observation de la démocratie, Paris X Nanterre/CNRS)[1] et du Centre Bentham[2]. Il est aussi chercheur à l’Institut de recherches de la Fédération syndicale unitaire et membre du Conseil scientifique d’Attac. Il figure également parmi les auteurs d’ouvrage comme "La nouvelle école capitaliste" (La Découverte), "La nouvelle raison du monde" (La Découverte) et de "Marx, prénom Karl" (Gallimard).

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