Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Charte des valeurs québécoises

La grande illusion démocratique de la commission sur la Charte

Ce billet est signé par Bochra Manaï qui s’exprime ici comme membre de la Collective des féministes musulmanes du Québec.

Nous, membres de la Collective des Féministes Musulmanes du Québec avons décidé de boycotter la commission parlementaire qui portera sur le projet de loi numéro 60.

En tant que citoyennes et féministes, nous contestons cette démarche politicienne qui repose sur la création d’une fausse crise « d’islamisation alarmante du Québec » et sur l’instrumentalisation de l’égalité des sexes. Nous considérons que ce projet propose une « laïcité falsifiée », liberticide et libératrice d’un discours xénophobe qui ne sert qu’à diviser et à marginaliser. Nous refusons ainsi de prendre part à une démarche où les dés sont pipés et où le gouvernement en prélude à cette commission affirmait déjà que sa position resterait inchangée sur le point le plus litigieux de la charte à savoir celui de l’interdiction élargie des signes religieux.

Étant fortement attachées au principe de consultation citoyenne, nous nous serions a priori réjouies d’un projet de consultation publique si le gouvernement péquiste avait été sincèrement soucieux de consulter ses citoyen(ne)s, auquel cas nous y aurions pris part avec enthousiasme. Ceci est d’autant plus vrai que les questions touchant l’égalité des sexes, l’identité, l’immigration, la laïcité, la neutralité de l’État, la place de la religion dans l’espace public, le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie sont des questions non seulement légitimes, mais cruciales pour l’avenir de la province. Toutefois, ces dernières requièrent une volonté gouvernementale qui crée les conditions nécessaires facilitant la mise en place de débats transparents, de recherches académiques et de consultations pluridisciplinaires auprès de spécialistes et d’organisations proches du terrain, et ce loin de toute forme de populisme ou de récupération politique. Plus que tout, ces questions nécessitent, de la rigueur intellectuelle et de l’éthique. Valeurs justement qui font cruellement défaut au sein du parti au pouvoir.

Le Parti québécois depuis le début de cette démarche ne fait que créer l’illusion de transparence :

Dès le 20 août 2013, ce gouvernement a utilisé une stratégie orchestrée de « coulage médiatique » dans les tribunes du Journal de Montréal pour tester son projet de charte et créer une polarisation de l’opinion bien avant le dépôt même de la proposition de projet de loi.

Le ministre Drainville, déclare s’être basé sur un sondage d’opinion pour établir les balises de ce projet : un sondage de 1000 internautes dont les questions tendancieuses feraient sourciller même les plus néophytes en recherche statistique.

M. Drainville tout en déclarant vouloir un « débat serein » décide de ne pas publier le contenu des 26 000 messages et courriels reçus suite à la proposition du projet numéro 60, priant les Québécois(e)s « de lui faire confiance » puisqu’il s’agit d’un « bon échantillonnage » dont la majorité appuierait le projet de charte, et ce même s’il n’a aucune « valeur scientifique » de l’aveu même du ministre.

Le gouvernement est en déni total face à la montée de l’islamophobie et du racisme qui a suivi la proposition de projet de charte des valeurs et qui a causé l’escalade de propos et de gestes violents dirigés surtout contre les Québécoises de confession musulmane. Il nous semble donc évident que ce gouvernement n’est pas du tout concerné par le vivre-ensemble et encore moins par la sérénité des débats.

Le Parti québécois s’est enlisé dans une démarche électoraliste, frisant l’obsession, pour tenter de devenir un gouvernement majoritaire en confortant l’appui des électeurs favorables à l’interdiction élargie des signes religieux et particulièrement celle du foulard dit islamique.

Le parti québécois a volontairement décidé d’ignorer l’opinion des centres de femmes et des mouvements féministes du Québec. Il n’a pas non plus daigné consulter les premières concernées à savoir les citoyennes musulmanes qui sont proches du terrain. En effet, le gouvernement a stratégiquement choisi les discours miroirs de quelques citoyennes de culture arabo-musulmane, seules interlocutrices jugées « légitimes », avec lesquelles il cultive une accointance politique et qui contribuent à parachever l’impératif de la majorité électorale visée par ce gouvernement.

Ces partenaires « utiles » de culture arabo-musulmane, érigées en « sauveuses de la laïcité » contre « l’invasion islamiste », ont été soit parachutées dans des circonscriptions électorales de choix, soit dans des instances d’influence comme le conseil d’administration du Conseil du Statut de la femme. Au sein de notre collective, nous dénonçons cette démarche partisane du parti québécois qui tend à dresser les femmes musulmanes les unes contre les autres en sacralisant les opinions de celles totalement détachées de la réalité du terrain et qui transposent bien trop souvent au Québec, des réalités, des problèmes ou encore des pertes de privilèges vécus dans d’autres contextes (ex : Maghreb, Moyen-Orient, France).

Le PQ a décidé d’ignorer tous les avis juridiques qui posaient de sérieuses critiques à l’égard de ce projet de loi, violant ainsi les fondements même de notre démocratie.

Au sein de notre collective, nous refusons de nous laisser aveugler par la pseudo participation citoyenne à la commission parlementaire d’un projet qui sert d’abord de paravent pour poursuivre le virage néolibéral de l’État ; un état déjà grandement affaibli par une perte de souveraineté économique et qui parie tout sur la question de la souveraineté nationaliste-identitaire quitte à jeter la cohésion sociale aux oubliettes.

Bochra Manaï

Doctorante en études urbaines et membre de la Collective des féministes musulmanes du Québec.

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