Édition du 26 mars 2024

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Québec

Laurence Belcourt et la proportionnelle : ses arguments ne résistent pas à l’examen des faits

On peut se demander dans quel monde vit Laurence Belcourt lorsqu’il affirme, dans Le Devoir de fin de semaine, que « la proportionnelle est une fausse bonne idée » ? Il fait reposer son assertion sur quatre arguments : l’instabilité gouvernementale que causerait ce mode de scrutin, la représentation des partis extrémistes qu’il favoriserait, le risque d’un accroissement du sectarisme politique et la mise en place de gouvernements omnipotents. Après avoir examiné les faits j’en conclus qu’aucun de ses arguments ne tient et qu’il se livre même à de la désinformation ; ce qui est malheureux pour les lecteurs du Devoir.

L’instabilité gouvernementale :

En 2015, n’existe t’il pas de gouvernements plus stables, aussi bien politiquement qu’économiquement, que ceux des pays scandinaves qui jouissent de la proportionnelle depuis un siècle ? Celui également de l’Allemagne qui a adopté un scrutin mixte à l’issue de la dernière grande guerre ou encore de la Nouvelle-Zélande qui, dans les années 1990, s’est débarrassé de son système majoritaire, source d’instabilité gouvernementale, pour elle aussi se adopter par référendum un système mixte ? De plus, n’est-ce pas le cas pour l’Écosse qui s’est vue octroyer ce type de scrutin, en 1997, par le gouvernement travailliste de Tony Blair qui projetait d’en instaurer également un en Angleterre avant qu’il ne soit emporté dans la tourmente de la guerre en Irak ? Deux des trois partis d’opposition à l’Assemblée nationale - Québec solidaire et la Coalition avenir Québec représentant 31% des électeurs - proposent un mode de scrutin semblable à celui de l’Écosse.

Ces pays sont beaucoup plus stables que le Canada où le scrutin majoritaire a plongé le Parlement fédéral dans l’instabilité gouvernementale lors de huit des 18 élections tenues depuis 1957, soit 45% des fois. Et faute de gouvernements de coalition, qu’aurait rendu possibles la proportionnelle, on a dû tenir des élections précipitées à grands frais. Par ailleurs, on peut s’attendre à ce que le Parlement fédéral soit doté d’un neuvième gouvernement minoritaire après les élections d’octobre prochain. Quant au Québec, il a connu deux gouvernements minoritaires depuis 2007. Et il risque fort d’en connaitre un autre en 2018 compte tenu de la conjoncture qui se dessine.

La représentation des partis extrémistes :

L’exemple d’Israël survient immanquablement lorsqu’on aborde cette question puisque que des petits partis religieux sectaires ont souvent tenu en otage les partis plus modérés qui ont accès au pouvoir. Il faut savoir que ce pays utilise un scrutin proportionnel intégral démodé où il n’y pas de seuil minimum de proportion de votes à atteindre pour que les partis puissent être représentés à la Knesset. Ce système n’a rien à voir avec un scrutin mixte compensatoire - comme ça existe en Écosse - où 60% des députés sont élus au scrutin majoritaire pour représenter des circonscriptions locales comme ça existe présentement. Mais où également 40% sont élus à la proportionnelle sur une base régionale pour corriger les distorsions de représentation qu’amène automatiquement le scrutin majoritaire. Dans ce système on impose un seuil minimum de votes à atteindre pour qu’un parti puisse avoir accès à la représentation parlementaire. Ce seuil est ordinairement de 4% à 5% des votes valides. Il suffit à écarter les partis extrémistes qui n’ont pas d’assise suffisante dans l’électorat.

L’accroissement du sectarisme politique :

L’exemple le plus probant de sectarisme politique provient actuellement du Congrès américain où sévit le Tea Party. Pourtant les États Unis utilisent le scrutin majoritaire. Par contre, les élections présidentielles- qui se déroulent à la proportionnelle puisqu’il s’agit d’une république - ont porté au pouvoir, ces 40 dernières années, des politiciens exempts de sectarisme ; le cas de George W. Bush faisant exception. L’histoire prouve, au contraire, que la proportionnelle favorise la conciliation entre les partis puisqu’ils doivent s’entendre entre eux pour former un gouvernement majoritaire. Ainsi cessent les débats où les partis s’affrontent de façon stérile. Le Québec aurait tout intérêt à être dirigé présentement par un gouvernement issu de la proportionnelle plutôt que par un gouvernement dont le projet de société est l’imposition à tout prix de l’austérité budgétaire. C’est le gouvernement Couillard-Coiteux qui, au contraire, est sectaire car il a transformé le déficit zéro en dogme.

La mise en place de gouvernements omnipotents :

La proportionnelle éliminerait les contre-pouvoirs, selon Laurence Belcourt. Mais n’y a-t-il pas de gouvernements plus omnipotents que ceux issus du scrutin majoritaire où l’exécutif contrôle complètement le Parlement et où le premier ministre est en quelque sorte un dictateur élu. Ceux d’Harper et de Couillard nous en fournissent la preuve présentement sans parler de ceux de Bourassa, de Duplesssis et de Taschereau au Québec, ainsi que de Chrétien, de Trudeau et de King à Ottawa. Au contraire, la proportionnelle inciterait les citoyens à s’impliquer davantage au niveau politique ne serait-ce que parce que que leur vote compterait. Elle favoriserait ainsi la mise sur pied d’une démocratie participative forte complément indispensable à la démocratie représentative.

Pour que tous les votes comptent et que tous les partis soient traités avec équité

De plus, la proportionnelle n’empêcherait absolument pas la mise sur pied d’une deuxième chambre, comme le prétend M. Belcourt. Ce pourrait être une Chambre des Régions dont les membres seraient élus à ce niveau et qui apporterait « sa propre dynamique » pour employer son expression. Je suis d’accord avec elle lorsqu’elle se prononce pour un Québec souverain. De même lorsqu’elle écrit que le débat doit s’inscrire d’une réflexion plus large sur le meilleur régime politique. À mes yeux ce serait un régime républicain. Mais cette question doit être réglée par une assemblée constituante. En attendant, rien n’empêche de réformer notre mode de scrutin pour lui ajouter un élément de proportionnalité significatif.

Mon choix est fait depuis longtemps. C’est un système électoral permettant à tous les votes de compter et qui traiterait tous les partis avec équité au chapitre de la représentation parlementaire. Pas un mode de scrutin qui annule pratiquement les votes qui ne vont pas aux députéEs éluEs (environ 55% des votes valides d’une élection à l’autre). Un mode de scrutin qui ne floue pas les tiers partis en leur imposant des règles qui faussent le jeu de la démocratie représentative comme c’est arrivé une fois de plus en 2014 dans le cas de la CAQ et de Québec solidaire. Bien entendu, ce mode de scrutin n’est pas une panacée permettant de régler l’ensemble des problèmes démocratiques. Mais, je suis convaincu qu’il permettrait au Québec de revitaliser sa démocratie pour qu’il puisse enfin sortir des ornières dans lesquelles il s’est embourbé depuis quelques décennies. Finie la hantise du PQ d’imposer son hégémonie sur la mouvement souverainiste pour ne pas perdre le contrôle de la tenue d’un éventuel référendum constitutionnel en étant obligé de composer avec d’autres partis indépendantistes. Fini aussi le rêve des libéraux de vivre une nouvelle ère où leur parti seraient au pouvoir sans interruption pendant 50 ans comme c’est arrivé de 1886 à 1935.

Paul Cliche, auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : la proportionnelle et membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN)

Montréal, le 3 mai 2015

Paul Cliche

Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTIONNEL et membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle.

Il a été responsable du dossier de la réforme des institutions démocratiques à l’Union des forces progressistes (UFP).

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