Édition du 16 avril 2024

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Canada

Le Bloc québécois d’Yves-François Blanchet ou comment s'enfoncer dans le souverainisme de province

Le Bloc québécois a un nouveau chef, Yves-François Blanchet. C’est pour sa notoriété et ses facilités de communicateur qu’il a été couronné chef du Bloc et qu’il œuvre maintenant à mettre au point l’offre politique du Bloc québécois qui sera adopté à son prochain congrès le 24 février prochain. Mais plus fondamentalement, c’est parce qu’il s’inscrit dans la tradition du Bloc de représentant des "intérêts du Québec" à Ottawa qu’il a été bien accueilli par la députation actuelle de ce parti.

L’analyse de la conjoncture d’Yves-François ou pourquoi a-t-il accepté de faire le saut

C’est son analyse de la conjoncture des prochaines élections fédérales qui a motivé l’ex-ministre péquiste de l’environnement à se lancer dans l’aventure. Pour lui, le NPD sous la gouverne de Jagmeet Sing va être marginalisé aux prochaines élections. Il pourrait même être complètement rayé de la carte au Québec. Le Parti libéral du Canada déçoit, particulièrement sur la question environnementale en défendant les intérêts des pétrolières et des gazières, allant jusqu’à acheter un pipeline désuet et à se montrer intransigeant face aux positions de la CAQ sur les questions de l’immigration et de l’interdiction des signes religieux. Andrew Scheer, personnalité sans relief, s’inscrivant essentiellement dans l’orientation de Stephen Harper, peine à s’imposer au Québec. D’autre part, les dernières élections québécoises ont montré que plus d’un tiers des votes sont allés à des partis indépendantistes, le Parti québécois et Québec solidaire. Dans ce contexte, il y a un espace qui s’ouvre sur la scène politique pour le Bloc, une place que le Bloc peut et doit occuper. Le Bloc québécois, croit-il, peut devenir une voix forte à Ottawa s’il sait puiser dans un bassin de 30 à 35% d’indépendantistes sans parler des nationalistes que l’on peut retrouver à la CAQ et qui se heurteront à l’intransigeance du gouvernement Trudeau dans les prochains mois.

Tourner la page sur l’épisode de Martine Ouellet à la tête du Bloc

Yves-François Blanchet a été le ministre du gouvernement Marois qui ne s’est pas particulièrement distingué par la fermeté sur la question de la souveraineté. Il a été solidaire de la démarche de ce gouvernement sur la Charte des valeurs. Il a été ministre de l’Environnement d’un gouvernement qui a favorisé l’exploration pétrolière à Anticosti et qui a eu une attitude de bon ententisme avec le gouvernement de l’Alberta et son projet de construire un oléoduc pour transporter de pétrole des sables bitumineux.

Yves-François Blanchet veut définitivement tourner la page sur l’épisode Martine Ouellet. Il veut bien rallier les indépendantistes, mais pas question de faire de l’indépendance le mandat premier du parti. D’autant plus que le souverainisme péquiste est actuellement en panne depuis l’effondrement électoral du PQ le premier octobre dernier.

En fait, Yves-François Blanchet s’inscrit complètement dans la ligne de Gilles Duceppe. On peut la résumer comme suit : la tâche du Bloc est de défendre les intérêts du Québec et particulièrement les consensus majoritaires à l’Assemblée nationale. La crise du Bloc sous Martine Ouellet, c’est la crise d’une direction qui refuse l’orientation dominante dans le Parti québécois de remettre aux calendes grecques la lutte pour l’indépendance du Québec. La réorientation proposée par Martine Ouellet s’est heurtée à la majorité de la députation bloquiste qui a lancé une offensive contre une orientation qui remettait en cause leur travail d’opposition constructive au sein du parlement canadien.

Ces sept dissidents du caucus des député-e-s ont mené leur rébellion en stigmatisant la personnalité de Martine Ouellet comme une personnalité autoritaire et inflexible. Pour parvenir à leur fin, ils n’ont pas hésité à démissionner et à s’engager dans une démarche de fondation d’un nouveau parti, pour défendre leur orientation politique. La crise a atteint un tel niveau, que l’existence même du Bloc québécois semblait en péril. Devant une telle perspective, la base de Martine Ouellet s’est effritée et elle n’a obtenu que 36% du vote de confiance qu’elle avait initié. Gilles Duceppe a joué un rôle non négligeable dans cette crise et dans sa résolution.

Lors la démission de Martine Ouellet, en juin 2018, il a demandé aux députés dissidents de revenir au Bloc. Il a demandé la démission de l’équipe de direction alors en place et de mettre au pilon la proposition principale intitulée « Pour faire du Québec une république », qu’il a définie comme un document ridicule. Après moult tergiversations, et un travail systématique de ralliement du président du Parti, Mario Beaulieu, les député-e-s dissidents sont finalement rentrés au bercail et ont abandonné le projet de nouveau parti, et accepté l’arrivée d’un chef qui partagerait leur orientation. Le Bloc québécois d’Yves-François Blanchet s’inscrira donc dans la ligne de la gouvernance souverainiste vouée à la défense des « intérêts du Québec » dans le cadre canadien.

Bloc québécois et le cadre stratégique de la défense des intérêts du Québec

Que signifie donc la défense des intérêts du Québec ? Quels sont ces intérêts ? Qui définit ces intérêts ? On prétend les définir à partir des consensus majoritaires qui se dégagent à l’Assemblée nationale ? Dans ce cas, alors que cette Assemblée est composée d’une majorité de politicien-ne-s caquistes, qu’est-ce que cela peut-il bien signifier ? Le chat commence à sortir du sac, quand Yves-François Blanchet salue le nationalisme de François Legault et promet de ne pas s’opposer aux visées de la CAQ même si cette formation n’adhère pas à la cause souverainiste.

C’est ainsi, que défendre les intérêts du Québec pourra s’identifier au soutien du Québec dirigé par un gouvernement caquiste qui veut appliquer son programme de réduction des seuils d’immigration, qui veut soutenir l’interdiction des signes religieux contre le multiculturalisme canadien, qui veut que les accords de libre-échange tiennent comptent des intérêts des entreprises québécoises. En ce qui concerne l’environnement, la politique de la CAQ de soutien à la construction du gazoduc dans le nord du Québec sera plus difficile à soutenir pour un parti qui maniera la rhétorique environnementaliste, mais on peut douter qu’il s’attaque ouvertement à la complicité de la CAQ avec le fédéralisme canadien à ce niveau. Défendre les intérêts du Québec peut être identifié à la défense du nationalisme identitaire de la CAQ et à son test des valeurs, à sa laïcité falsifiée visant à faire des musulmans le bouc émissaire et diviser la classe populaire.

En fait, défendre les intérêts de la majorité populaire sur la question environnementale par exemple signifie comprendre que pour bloquer les politiques du capital fossile canadien, il faut construire des alliances avec les forces qui s’opposent à une telle offensive à l’échelle de l’État canadien. Mais le nationalisme étroit du Bloc québécois empêche que de telles perspectives soient un horizon possible pour un tel parti. Dans de nombreux domaines, ce nationalisme étroit conduit à l’aveuglement sur les alliances possibles avec les organisations syndicales, féministes, populaires, écologistes qui oeuvrent au Québec comme dans le reste du Canada pour résister aux visées de la classe dominante. Et une telle orientation d’unité envers les secteurs populaires et les nations opprimées dans l’État canadien est une démarche nécessaire pour s’assurer de la solidarité à notre lutte de libération nationale.

En somme, il faut comprendre la logique stratégique dans laquelle s’est engoncé le Bloc québécois. Cette logique a amené sa députation à rejeter brutalement le tournant indépendantiste proposé par Martine Ouellet et à se contenter de poses nationalistes visant à rallier dans la confusion tant des nationalistes de droite que de gauche pour maintenir une opposition parlementaire impuissante à la Chambre des communes. Les indépendantistes qui veulent dépasser le souverainisme de province prôné par le PQ, lui-même en perdition, n’ont véritablement rien à faire dans cette galère !

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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