Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le débat sur l’indépendance au congrès Solidaire de mai : les alternatives sur la table mène au cul-de-sac du faux-débat

Les trois alternatives en débat au congrès de la fin mai du congrès de Québec solidaire, dont celle du statu quo, concernant « le mandat de l’Assemblée constituante », succédané réducteur du débat sur la stratégie de l’indépendance, sont respectivement une Assemblée constituante ouverte à toutes les possibilités et combinaisons constitutionnelles (statu quo), une seconde indépendantiste et une troisième qui contraint ses membres à élaborer deux versions, une indépendantiste et une autre fédéraliste, avec un tronc commun.

La persistance à la Solidaire du flou artistique référendaire

Toutes options confondues, cette stratégie de l’Assemblée constituante a l’avantage électoraliste de permettre un flou artistique sur le moment référendaire en le promettant dans le premier mandat... tout en laissant entendre que le temps pourrait ne pas le permettre... si les fédéralistes étaient mauvais joueurs en multipliant les obstacles légaux, financiers, économiques... et militaires. Ils le pourraient d’autant plus que le 1% québécois fait très majoritairement partie de sa composante purzédure... nonobstant PKP. Ajoutons-y un appui ferme et dur d’Ottawa, en particulier de sa Cour suprême, et de Bay Street... et une connivence certaine de Washington et de Wall Street que n’émouvra pas l’historique parti pris pro libre échange du PQ.

L’option deux versions : dérive consensuelle et ratatinement de l’indépendance

L’option deux versions de la Constituante est un produit pur de la dérive consensuelle de Québec solidaire en plus de ne pas saisir le sens holistique de l’indépendance. Pour admettre un tronc commun, il faut supposer un fédéralisme satisfaisant à certains égards ou qui pourrait le devenir, ce qui implique une participation loyale à la politique canadienne, sans chantage « séparatiste », malgré l’intensité du Quebec bashing sur fond de non reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise et d’une histoire pan-canadienne de son élimination brutale ou en douce.

Cette minimisation de la portée de l’indépendance laisse entendre sa réduction à une affaire constitutionnelle à dimension sociale uniquement linguistique et culturelle sans conséquence déterminante socio-économique. Une telle réduction de la signification de l’indépendance recèle un danger de ratatinement ethnique surtout en ces temps de montée identitaire planétaire. Il ne s’agit pas de renoncer à défendre la langue en ces temps de recul du français, particulièrement à Montréal et en Outaouais, comme langue commune mais de faire de cette défense la partie d’un tout englobant tout en promouvant le français comme la langue d’un projet de société alternative.


L’option indépendantiste fait l’affaire des électoralistes et des purzédurs...

L’option indépendantiste de la Constituante procède soit de la frustration indépendantiste soit de la frustration électoraliste sans exclusion mutuelle entre les deux motivations.

Les électoralistes sont conscients que la progression électorale de Québec solidaire repose principalement sur des gains aux dépens de l’électorat porté vers le PQ qu’il vote ou qu’il ne vote pas. Plus précisément elle dépend des gains dans l’électorat nationaliste progressiste pour qui est attrayante la Constituante pré-référendaire comme garant progressiste, ce qui est jugé électoralement rentable pour la « cause », en autant que cette assemblée soit indépendantiste.

Les purzédurs, de plus en plus conscients de l’impasse électoraliste de l’élection référendaire et même d’un parti promettant un référendum lors du premier mandat, accueillent favorablement l’Assemblée constituante pré-référendaire en autant qu’elle soit carrément indépendantiste... tout en se méfiant d’un contenu trop progressiste qui pourrait aliéner les nationalistes traditionalistes.

… tout en ralliant la gauche indépendantiste

Finalement, la gauche indépendantiste souscrit à l’Assemblée constituante indépendantiste parce que pour elle libération nationale et émancipation sociale sont inextricablement liées. Ainsi l’option indépendantiste permet l’adhésion de la majorité populaire francophone et d’une portion non banale de la minorité populaire non-francophone tout en ralliant les nations autochtones et inuit par son écologisme et son aspect plurinational et en suscitant l’appui ou la sympathie du peuple canadien.

Quant aux nationalistes conservateurs, en autant que le mouvement d’ensemble ne les entraîne pas car la plupart appartienne au 99%, leur perte est plus que compensée par les gains progressistes. D’autant plus que leur conservatisme les fait souvent reculer devant la peur de l’inéluctable rupture ce qui explique qu’ils soient davantage tentés par l’autonomisme caquiste que par le souverainisme du PQ... qui tente de les garder au bercail par son ambiguïté.

La quête institutionnelle de l’indépendance se fracasse sur le mur du fédéralisme

néolibéral

Le choix de l’Assemblée constituante indépendantiste, plus que les autres options, heurtera de plein fouet l’ire des fédéralistes, ce qu’ils vont exploiter à la planche avec possiblement l’appui des nationalistes autonomistes. Les actuels rapports de force issus d’une génération de victoires néolibérales, encore plus en ces lendemains de défaite du Front commun et tout probablement de sa dissidence ouvrant la porte à un budget non-contesté de soi-disant réinvestissement social, ferment pratiquement la porte de la stratégie de l’Assemblée constituante vers l’indépendance. Toute démarche purement institutionnelle vers l’indépendance, particulièrement celle clairement indépendantiste, se fracassera sur le mur électoral avant même d’atteindre celui référendaire.

L’opposition fédéraliste, qui fera feu de tout bois, aura beau jeu de questionner la légitimité démocratique de l’Assemblée constituante indépendantiste (et même celle à deux versions), et ce en autant qu’elle accepte la réalité de l’Assemblée constituante tout court, ce qui est loin d’être acquis. Elle plaidera que la contrainte indépendantiste fait que l’Assemblée constituante n’est pas vraiment constituante, qu’elle n’a pas à se soumettre à l’Assemblée nationale, son égale... ce qui pose d’ailleurs le problème plus général de l’autorité souveraine durant la transition.

La seule façon de légitimer une telle assemblée indépendantiste serait qu’elle s’appuie soit sur un référendum préalable soit sur une élection portant principalement sur cette question. Automatiquement, cette élection, première étape de la stratégie Solidaire, deviendrait par la force des choses une élection à demi référendaire équivalente à celle prônant un référendum lors du premier mandat. Ce serait là la conséquence inéluctable de cette modification au programme Solidaire. On en reviendrait donc à l’insoluble casse-gueule péquiste en ces temps de rapports de force défavorables. Ce sont ceux-ci qu’il faut modifier par la rue.

L’indépendance se gagne essentiellement dans la rue

Une stratégie gagnante vers l’indépendance requiert de rompre avec la stratégie purement institutionnelle de l’Assemblée constituante, stratégie qui est aussi électoraliste car elle repose exclusivement sur trois votes consécutifs sans apport essentiel d’une mobilisation sociale. Si malgré tout on fait l’hypothèse qu’on se rende jusque là, par exemple en cas de grave crise politique que pourrait susciter une replongée dans la crise économique, ou dans le scandale de la corruption, les forces fédéralistes, intérieures et extérieures, retrouveraient le chemin des basses manœuvres à la 1995, des bas coups fourrés à la Brinks, et à la limite d’une invasion militaire à la Octobre 1970, le tout complété par des menaces de scissions du West Island et au-delà.

L’indépendance se gagne essentiellement dans la rue par une mobilisation sociale de grande ampleur. C’est ce que nous apprend l’histoire du Québec. C’est dans la grande mobilisation 1966-76 culminant avec la grève sociale du printemps 1972 que le mouvement indépendantiste, revitalisé au début des années 60, est devenu une force sociale majeure. Son échec politique origine en grande partie de son usurpation institutionnelle par le Parti québécois, issu de l’aile nationaliste des Libéraux et cooptant dans l’honneur la droite indépendantiste du RN et avec réticence celle de gauche du RIN, pour canaliser le mouvement dans la victoire électorale de 1976. Celle-ci mit en berne et en tutelle le mouvement avant d’avilir l’indépendantisme en étapisme vers la souveraineté-association qui telle une courbe asymptotique n’aboutit jamais.

Des récentes expériences catalane et écossaise toujours en développement on peut tirer les mêmes leçons. Si la défaite référendaire écossaise a quand même galvanisé la nation c’est que la longue (pré)-campagne référendaire a vu l’émergence d’un mouvement indépendantiste qui a débordé l’équivalent écossais du PQ (et a poussé à gauche son discours) et dont émerge aujourd’hui un nouveau parti indépendantiste de gauche. Si les partis indépendantistes catalans ont obtenu la majorité parlementaire et la quasi majorité populaire, c’est dû à un immense mouvement populaire née dans les dernières années contre l’intransigeance centralisatrice espagnoliste. Et si est actuellement en panne la montée indépendantiste, c’est en grande partie parce que l’équivalent catalan du PQ réussit encore à garder l’hégémonie sur le mouvement grâce à un discours indépendantiste en porte-à-faux à la PQ.

Recréer un massif mouvement indépendantiste pour « sortir du pétrole »

C’est ce mouvement massif que la stratégie indépendantiste de Québec solidaire doit contribuer à recréer en ses temps de catastrophe climatique sous un ciel sombre de néolibéralisme guerrier. En 2016, ce mouvement passe par un plan de plein emploi écologique pour « sortir du pétrole » et de ses corollaires d’austérité compétitive dégageant des fonds pour financer l’extractivisme, et de guerre pour le pétrole. Un tel plan requiert la mobilisation et le contrôle démocratique de toute l’épargne nationale, fiscalité comprise. Ce qui exige l’expropriation de la finance, le rejet du libre-échange et la nationalisation des secteurs stratégiques de l’énergie et du transport. Toutes ces tâches, dont les clefs sont dans les capitales et métropoles des Quebec bashers, nécessitent la conquête de l’indépendance.

Faut-il préciser que cette stratégie de la rue relègue l’Assemblée constituante à une tactique institutionnelle à régler en temps et lieux quand la mouvance combinant libération nationale et émancipation sociale remportera haut la main l’adhésion populaire éliminant toute contradiction entre démocratie et indépendance. Faut-il préciser que cette stratégie de la rue relègue aux oubliettes toute alliance directe ou indirecte, ouverte ou tordue, entre les Solidaire et le PQ y compris avec son faire valoir Option nationale et avec son appendice faux mouvement social, le OUI. L’alliance est à construire avec les véritables mouvements sociaux en lutte contre l’austérité, contre les hydrocarbures et contre la guerre.

Marc Bonhomme, 18 mars 2016

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