Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Économie

Le gorille et le cobra

La guerre des droites bat son plein en ce moment et ses clameurs nous cassent les oreilles. D’un côté, on retrouve la droite sophistiquée, mondialiste, libre-échangiste, multiculturaliste et de l’autre, les nationalistes conservateurs, protectionnistes et sinon xénophobes, du moins assez hostiles à l’endroit des courants migratoires en provenance du Tiers-Monde.

Ses représentants sont souvent forts en gueule et ils aiment jouer du muscle pour rassurer leur électorat déboussolé et inquiet devant les bouleversements économiques et sociaux induits par les mesures rétrolibérales de la droite « élégante », celle-ci encore hégémonique, mais pour combien de temps encore ?

Cette droite sophistiquée s’alarme de la montée en influence de sa soeur honteuse et son exaspération vis-à-vis elle est palpable. La droite « élégante » se présente par contraste comme un modèle d’ouverture, elle est attachée à la préservation d’un ordre économique international patiemment (et sournoisement) élaboré au fil des ans. Le libre flux des investissements et des mouvements divers de capitaux, l’abolition ou du moins la diminution des barrières tarifaires entre pays, la « flexibilité » du travail, un taux de chômage non-inflationnaire constituent des mesures auxquelles elle tient par dessus tout et qu’elle présente comme normales et garantes de la « prospérité ». Cet ordre des choses paraît menacé par le « retour de flammes » représenté par l’irruption d’une droite jugée primaire (« populiste », selon l’expression consacrée) que Donald Trump n’incarne que trop bien.

Les membres de la droite rétrolibérale sophistiquée redoutent le chaos du bouleversement économique et financier que pourraient provoquer les mesures protectionnistes imposées par le président américain, moins pour les populations affectées (dont le bien-être n’a jamais importé aux rétrolibéraux) que pour le système de valorisation du capital laborieusement mis sur pied depuis une trentaine d’années (et pour les intérêts qu’il connote).

Si les politiques protectionnistes finissaient par s’imposer durablement, les actuels « maîtres du monde » en pâtiraient et elles constitueraient une condamnation des orientations financières et économiques qu’ils défendent. L’image flatteuse, orgueilleuse que ces gens entretiennent d’eux-mêmes s’en trouverait ternie aussi.

Les maladresses de Trump permettent aux tenants de la « mondialisation heureuse » de poser devant les opinions publiques comme des modèles d’ouverture et de tolérance.

Cependant, on ne doit pas oublier que la gauche et les progressistes en général s’opposaient vers la fin de la décennie 1980 à la conclusion d’accords commerciaux internationaux comme l’ALÉNA en raison des risques qu’ils faisaient peser sur la souveraineté économique des États et les politiques de redistribution du revenu au profit des investissements privés. Ces gens dénonçaient aussi à juste titre les politiques « d’austérité » visant à fournir aux employeurs une main d’oeuvre à bon marché.

En fait, ce qui oppose rétrolibéraux mondialistes et nationalistes conservateurs est avant tout la méthode de valorisation du capital : les premiers misent sur des flux financiers aussi libres que possible alors que les seconds comptent surtout sur le rétablissement de barrières tarifaires et sur le soutien à certaines industries en déclin. Chacun défend les intérêts de fractions bien distinctes de ce qu’on appelle la classe dominante.

Mais pour ce qui regarde une politique de plein emploi appuyée par l’État et des mesures de redistribution équitable de la richesse, les deux droites s’entendent : pas question d’en revenir aux politiques des « Trente glorieuses » et leurs programmes sociaux développés.

Par les temps qui courent, il est bien vu de dénigrer Donald Trump sur tous les tons. On assiste peut-être à un étrange rapprochement entre la droite hégémonique et divers courants de gauche. Mais il est loin d’être sûr que le courant nationaliste conservateur représente le véritable danger, vu le relatif (mais bien réel) consensus des élites politiques et financières internationales en faveur du rétrolibéralisme.

Le « gorille » Trump gesticule et grogne ; mais le cobra rétrolibéral lui, continue à distiller le venin de l’austérité comme si la chose allait de soi et qu’elle représentait la modernité économique.

Le plus dangereux n’est pas nécessairement le plus spectaculaire. Il faut prendre garde au sifflement discret du reptile...

Jean-François Delisle

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