Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique latine

Le mouvement étudiant chilien depuis avril 2011

A l’occasion de l’Université d’été du NPA, Franck Gaudichaud a interviewé Marco Àlvarez Vergara, un des animateurs du mouvement étudiant chilien, est militant du Movimento Libres del Sur (Mouvement Libres du Sud) [1], une nouvelle formation anticapitaliste chilienne.

Franck Gaudichaud : Nous aimerions en premier lieu que tu nous présentes la situation des luttes sociales actuellement au Chili. Une multitude de mouvements sociaux ont traversé l’Amérique Latine au cours de la dernière décennie, et lors de la dernière année, le Chili a été un des pays qui ont connu de grandes mobilisations sociales, en particulier dans le milieu étudiant. Quel est, à ton avis, l’état de la dynamique actuelle du mouvement social chilien ?

Marco Àlvarez Vergara : Pour comprendre le processus social chilien, il faut d’abord tenir compte des événements qui ont marqué les quinze dernières années en Amérique Latine. Le triomphe d’Hugo Chávez à l’élection présidentielle de 1998 au Venezuela ouvre une nouvelle étape historique dans le contexte latino-américain présentant deux caractéristiques majeures. La première est l’avancée de la gauche progressiste à l’échelle de tout le continent, qui confie la magistrature suprême à différents présidents, ce qui, du point de vue de la carte régionale, génère une majorité quasiment absolue qui modifie le rapport de forces via la politique institutionnelle. Il faut ensuite souligner l’apparition de nouveaux mouvements sociaux qui ont joué un rôle important dans le scénario actuel à travers leur radicalisation et leur avance continue.

Ce sont les deux caractéristiques ayant prévalu en Amérique Latine. Si nous devions réaliser une analyse comparative avec ce qui s’est passé au Chili, il y a un an, nous parlerions d’un grand décalage par rapport à ce qui se passait dans les autres pays du continent, mais ce décalage a disparu au moins depuis le développement du mouvement social, avec l’apparition de la forme intempestive du mouvement étudiant chilien en avril 2011. Parce que nous pouvons voir jusqu’à aujourd’hui, que la voie électorale de la gauche non néolibérale se limite encore à une participation de simple témoignage. Il est important de rappeler que les étudiants ne sont pas les seuls à être en lutte. D’autres mouvements existent comme le mouvement écologiste et celui pour le droit au logement, qui n’ont malheureusement pas la même visibilité. Mais, en regardant de près le mouvement étudiant de 2011, on constate qu’il se caractérise par différents facteurs qui déclenchent son apparition sur la scène avec une intensité et une force déjà connues dès lors qu’on a compris que ce mouvement existe au sein des luttes populaires depuis des décennies.

• Le premier de ces facteurs est, selon moi, d’ordre politico-structurel, généré dans le sang par l’imposition du néolibéralisme au Chili via la dictature dans les années 1970 et par la légitimité que lui a ultérieurement conférée pendant plus de 20 ans la Concertation des partis démocratiques [2] non seulement à travers le pacte démocratique, mais également en mettant en œuvre un processus d’approfondissement de ce système économique, politique, social et culturel. Par conséquent, ce qui se produit au Chili est un problème endémique centré sur le néolibéralisme. C’est sa critique radicale à laquelle on assiste de la part des étudiants et d’une grande partie de la société, se soulevant contre la culture du marché et de ses gigantesques profits qui s’apparentent à l’usure. Une transformation radicale du modèle dominant est la seule voie qui permettrait de dépasser ce facteur politique de type structurel.

• Le deuxième facteur à prendre en compte avec le développement du mouvement étudiant est de caractère politico-conjoncturel. En 2009, les élections ont porté à la présidence Sebastián Piñera, l’homme qui rassemble les pires caractéristiques du système capitaliste représentées sur une même pièce de monnaie. Sur une face l’image du pouvoir économique et sur l’autre, l’image de la classe politique traditionnelle, laquelle crée les meilleures conditions pour atteindre le plus haut niveau de critique et de mobilisation dans le pays. Elles n’existaient pas pendant la première année de son mandat en raison du séisme [3] et de la tragédie des 33 mineurs bloqués dans leur puits à cause des mauvaises conditions de travail, ce qui a engendré un sentiment d’unité nationale et une volonté de « non affrontement ».

• Le troisième facteur est lié à l’âge. La majorité des étudiants chiliens est âgée de 14 à 25 ans, très peu sont nés sous la dictature militaire et ceux qui étaient nés ne s’en souviennent pas, la plupart étant nés pendant la période du gouvernement de Concertation. Ce qu’a fait la dictature militaire n’a pas seulement été d’exterminer les organisations révolutionnaires et d’interrompre un processus historique, elle a également généré un processus subjectif de peur pour que les gens ne puissent plus jamais se réorganiser. Ces jeunes n’ont pas cette peur, ils ne font pas partie de cette génération, ce qui fait qu’ils assument la révolte majeure sans avoir peur de la politique. Ils sont la nouvelle génération dont le Chili a besoin.

• Le quatrième facteur est de dimension internationale, il suffit de voir « l’indignation » qui est devenue coutumière en n’importe quel endroit du monde, et il ne s’agit pas d’une simple coïncidence avec ce qui se produit avec le « printemps arabe », les indignés en Espagne, Occupy Wall Street, les mouvements étudiants à Porto Rico et en Colombie, etc. C’est un mouvement qui s’inscrit dans une crise générale du système capitaliste au niveau mondial, et en même temps à ses antipodes, qui est la mobilisation constante des opprimés dans chaque coin du monde.

Le mouvement étudiant au Chili est ancien : la simple observation de son existence dans le secondaire au cours des dix dernières années, révèle des exemples de mobilisations importantes. En 2001, les étudiantes et les étudiants se sont mobilisés pour une baisse des frais de scolarité et ont appelé ce mouvement « el mochilazo » (le mouvement du « sac à dos »). Bien que de nature corporatiste mais avec une mobilisation plus ou moins radicale, en 2006 la « révolution des pingouins » fut un mouvement de nature politique, bien que circonscrit par ses dirigeants et bridé par la Concertation à travers un conseil présidentiel impulsé par l’ancienne présidente Michelle Bachelet.

L’union de ces différents facteurs qui, selon moi, sont les plus importants, a déclenché l’apparition du mouvement étudiant chilien et fournit aux luttes du futur une nouvelle génération de militantes et de militants sociaux, engagés dans un Chili différent.

Franck Gaudichaud : Ce mouvement social pour l’éducation est exceptionnel, il se maintient depuis des mois, montre une orientation clairement radicale et politique, met en cause le modèle hérité de la dictature et le système néolibéral et a su se remobiliser depuis peu, après les vacances de l’été austral. Tout ceci avec un panel d’actions très riches et variées : assemblées, occupations d’écoles et d’universités, grandes marches, activités populaires et fêtes, etc. Quelle analyse fais-tu de la conjoncture actuelle et des luttes des jeunes, de leurs revendications, de leurs difficultés et de leurs réussites ainsi que de leurs perspectives ?

Marco Àlvarez Vergara : S’il fallait caractériser le mouvement étudiant chilien, il faudrait partir de sa première caractéristique qui est la temporalité. Depuis avril 2011 et jusqu’à aujourd’hui il se maintient debout malgré les processus inévitables de flux et de reflux inhérents à la lutte. Début 2012, les mobilisations ont connu une baisse d’intensité et ont été données pour mortes, mais un retour de flamme s’est manifesté en août 2012 et les manifestations ont réuni des dizaines de milliers d’étudiants dans tout le pays. La temporalité est une caractéristique très importante, qui se nourrit de l’expérience des luttes passées. Aucun type de promesses ne sera accepté. Le mouvement étudiant sait que l’unique moyen de changer le modèle éducatif au Chili est de maintenir les mobilisations de manière soutenue et de ne pas se laisser diluer ses forces par les promesses futures de la classe politique. Le modèle chilien est soumis à une crise de légitimité, qui s’exprime par une critique radicale de ses partis politiques et de leurs représentants. Ce qui fait que les étudiantes et les étudiants ne vont pas se fatiguer tant que leurs revendications exprimées ne seront pas satisfaites, parce qu’ils sont sûrs que le futur de l’éducation chilienne ne peut rester dans les mains de ceux qui l’ont vendue. La temporalité est une caractéristique importante, par-dessus tout dans la compréhension du fait que ce changement ne se fera pas d’un jour à l’autre. Qui plus est, les mobilisations sont déjà planifiées dans le futur. Par exemple, certains secteurs appellent au boycott des prochaines élections municipales d’octobre 2012.

La temporalité n’est pas la seule caractéristique, la transversalité également renforce la légitimité des exigences. Des enquêtes bourgeoises accordent au mouvement un taux de 89 % d’approbation des revendications étudiantes. Quelles sont ces exigences ? Enseignement gratuit, de qualité, meilleur accès, démunicipalisation de l’enseignement secondaire, etc. Les étudiantes et les étudiants ont impulsé cette plateforme de lutte et la majorité de la société les appuie dans la voie de la réappropriation de l’éducation.

Alors que nous mettons en avant la revendication d’enseignement gratuit depuis un an et demi, nous sommes catalogués comme fous, volontaristes et utopistes. L’importance du nombre d’organisations politiques de gauche qui cohabitent dans le mouvement étudiant a posé une limite différente. Il apparaît aujourd’hui que le temps nous a donné raison. Le mouvement étudiant a levé l’étendard de l’enseignement gratuit. Pourquoi mettre l’accent sur ce point ? Parce qu’à un moment donné, les idées des révolutionnaires se transforment en réalité et deviennent les idées de la majorité.

D’autres spécificités mettent en marche le mouvement étudiant et l’une des plus importantes est la créativité et le sentiment de pouvoir atteindre la majorité. Quand nous voulons faire avancer les processus radicaux de transformation de la société, il est nécessaire de le faire avec la majorité. La créativité doit occuper une position stratégique fondamentale, à travers les activités les plus diverses qui tendent au rassemblement du peuple. Le mouvement étudiant a intégré cette caractéristique de manière excellente, à partir de laquelle il faut apprendre et comprendre qu’elle est particulièrement importante pour pouvoir bâtir une nouvelle société.

Une autre caractéristique est le caractère massif du mouvement. 150.000 personnes dans les rues de Santiago, sans oublier les autres régions, et en plus les occupations des établissements scolaires et des universités. Les transformations s’opèrent avec la majorité à partir du même mouvement social. Le slogan « Nous sommes 99 % contre 1 % ! » reçoit beaucoup d’écho dans les rues de Santiago.

L’autonomie et le respect de la démocratie interne sont d’autres caractéristiques du mouvement étudiant. Il ne dépend que de lui-même et de personne d’autre, et chaque organisation, qui a essayé de s’immiscer dans les mobilisations ou de les affaiblir, a été sanctionnée. Le meilleur exemple est ce qui est arrivé avec le Parti communiste chilien qui, au début de 2011, tenait une grande partie des fédérations universitaires sous sa coupe, fédérations qui aujourd’hui ont perdu la quasi-totalité des élections universitaires, y compris celle de l’Université du Chili. Cette défaite est la conséquence du rôle qu’a tenu le Parti communiste en ne comprenant pas la dynamique ni le lien avec le mouvement social, attitude qui a été sanctionnée par les étudiants en ne réélisant pas ses militants pour les représenter.

Conformément à ta question, un des grands apports du mouvement étudiant, au-delà de l’articulation avec d’autres secteurs en luttes, est d’avoir incorporé leurs revendications à sa propre plate-forme. Mais cette orientation est nécessaire, car il est certain que pour que le mouvement étudiant puisse arracher la satisfaction des revendications qu’il met en avant, il est impératif d’imposer une transformation radicale de la société chilienne car les autres revendications qui sont aujourd’hui sur le tapis font également partie du mouvement. Elles comprennent la création d’une Assemblée Constituante au Chili, pour la mise en place d’un nouveau système politique, pour la renationalisation du cuivre, pour une réforme fiscale, etc.

Les étudiants avancent également des solutions concernant la gratuité de l’enseignement et par conséquent disent que pour la permettre, il est nécessaire d’imposer une réforme fiscale qui amène les plus riches et les entreprises à payer davantage. La demande n’est pas que les riches ne paient pas leur éducation — ce que beaucoup de gens critiquent — mais que les riches la paient à travers les impôts, ce qui leur reviendrait beaucoup plus cher qu’une tarification réelle. Le système est très exclusif car il utilise un processus de sélection universitaire dans lequel les universités chiliennes sont accaparées par les riches.

Franck Gaudichaud : Parlons un peu maintenant des gauches, en particulier de l’espace de la gauche anticapitaliste chilienne, un espace toujours aussi fragmenté et limité, quand une autre partie de la gauche et du « progressisme » a totalement ou partiellement intégré le système et s’est institutionnalisée. Vous, les « Libres del Sur », vous vous revendiquez de l’anticapitalisme et de l’écosocialisme. Comment la gauche chilienne se positionne-t-elle à l’intérieur de ce camp ?

Marco Àlvarez Vergara : Ce que nous affirmons en premier lieu, c’est que pour qu’un autre monde soit possible, une autre gauche est nécessaire, c’est notre orientation fondamentale pour permettre d’enclencher un processus de construction d’une organisation anticapitaliste et révolutionnaire. Au Chili ce n’est pas la gauche mais les gauches qui existent. L’organisation la plus ancienne est le Parti communiste chilien, existant depuis 90 ans, depuis sa fondation en 1922, qui est le parti réformiste par excellence et dont la politique est principalement basée sur les alliances avec des secteurs socio-économiques, ce que nous critiquons radicalement. Il ne se différencie en rien de la gauche néolibérale, qui s’intègre dans le processus de transition vers la démocratie de cogestion faisant partie du processus d’approfondissement du système néolibéral. Aujourd’hui ces deux gauches sont liées par un pacte électoral et je crois que ce pacte va un peu plus loin encore dans le domaine programmatique ce qui se manifeste par une parfaite harmonie. Nous avons d’un côté la gauche néolibérale, réfugiée dans quelques partis de la Concertation, et de l’autre côté la gauche traditionnelle représentée par le Parti communiste.

Mais nous avons également un autre type de gauche, plus « délirante », qui essaye de se revendiquer ou de se sentir héritière de ce qu’est la gauche révolutionnaire au Chili, ce qui est faux. La gauche révolutionnaire chilienne, dans sa longue marche, a toujours eu un projet politique révolutionnaire et a toujours essayé d’avoir une incidence sur ce qu’a été la politique nationale. Nous ne mesurons pas la profondeur de la crise de la gauche chilienne depuis la dictature jusqu’à aujourd’hui. Ce que je puis affirmer c’est que ces petits groupuscules sectaires qui se limitent à ce qui est la mémoire historique avec une radicalité verbale mais avec zéro incidence politique, ne sont pas les héritiers naturels de la gauche révolutionnaire. Par conséquent, que cela plaise ou non, la gauche révolutionnaire chilienne a subi une attaque très douloureuse et quand elle a pu se libérer de la clandestinité de la même dictature militaire, elle a généré sa propre clandestinité et s’est figée dans les slogans et les pamphlets des années 1960 et est restée dans cet état. Une autre gauche qui apparaît dans le paysage politique chilien, est la gauche « progressiste », composée principalement de secteurs qui rompent avec la concertation en raison de son orientation néolibérale, et qui se tournent vers la gauche. Ce sont diverses organisations qui ont vu le jour récemment et qui se considèrent comme « progressistes ». Son substrat politique n’est cependant pas clairement défini et son engagement pour une transformation du Chili actuel reste encore sujet à évaluation.

Nous avons également une gauche sociale qui correspond à la grande majorité de la société et qui prend part à différentes mobilisations pour la transformation du Chili. En majorité, cette gauche sociale ne milite pas dans les organisations politiques ou dans des gauches organisées pour critiquer ce qu’elles sont. Nous-mêmes faisons également partie de cette gauche sociale, nous faisons partie du mouvement social, nous nous considérons comme partie prenante des différentes résistances qui sont en gestation partout dans le pays. Nous nous sentons partiellement représentés par cette gauche, mais nous savons qu’il est fondamental d’impulser la création d’un instrument organique qui se constitue en tant qu’apport révolutionnaire à la grande alternative politico-sociale qui doit se préparer à éclore à travers tout le pays. Pour cette raison, nous avons décidé au mois d’avril 2012, de créer notre propre organisation le « Movimiento Libres del Sur » (Mouvement Libres du Sud), dans le droit fil d’un processus de réflexion bien plus important, qui a duré pratiquement plus d’un an et qui reste encore d’actualité. Quand nous avons fondé « Libres del Sur », nous nous sommes dits « voyons quelle est la gauche avec laquelle nous sympathisons et à laquelle nous voulons participer ». La problématique première est que nous ne trouvons pas cette gauche, parce que si elle avait existé au Chili, le plus probable aurait été que nous nous y serions incorporés et qu’il nous aurait été beaucoup plus facile de développer notre politique. C’est par conséquent de là que nous vient l’obligation de nous construire en tant qu’organisation, en relevant le défi de naviguer au milieu des écueils du nouveau scénario politique du XXIe<:sup> siècle et de tracer les contours des nécessaires révolutions futures.

Confrontés à l’absence de rencontre avec une alternative de gauche qui corresponde à nos attentes minimales de révolutionnaires, il ne nous reste aucune autre alternative que de lever la bannière du mouvement Libres du Sud du Chili, mais nous disons « nous allons faire les choses comme elles doivent être faites ». Et notre première affirmation est de dire que ceci n’est pas un acte de fondation, mais le début d’un processus large et compliqué, pour nous construire en tant qu’une alternative réelle jouant un rôle dans les luttes à venir, tout en sachant que cela exige que beaucoup d’eau passe sous les ponts. Nous savons que la lutte de classes et les processus de constitution d’alternatives réelles sont lents et qu’il faut s’armer de patience.

Franck Gaudichaud : Et, dernière question, tu es ici à l’Université d’été du NPA, tu passes également par l’Espagne et tu connais les camarades d’Izquierda Anticapitalista, tu vois un peu ce qui se passe en Europe : Quelle est la vision, à partir de ton expérience au Chili (et en Amérique Latine), de ce qui se passe ici et sur les tentatives de construction des mouvements anticapitalistes ?

Marco Àlvarez Vergara : Ma présence en Europe se fait au travers d’une invitation permettant à des camarades de venir voir par eux-mêmes ce qui est en train de se développer. Je suis allé en Espagne à la rencontre des camarades d’Izquierda Anticapitalista. J’ai appris à partir de son processus interne, principalement par rapport à son lien avec le Mouvement des indignés, comment ses militants ont développé la construction d’une alternative révolutionnaire adaptée aux temps nouveaux. Ils ont vécu une situation largement semblable à la nôtre, comme leur implication actuelle dans ce qui est le mouvement étudiant, le mouvement des masses, leur lien avec les travailleurs. À partir de là nous nous sommes largement reconnus dans ce que construisent les camarades d’Izquierda Anticapitalista de l’État espagnol, nous avons trouvé une grande similitude avec ce que nous sommes en train de réaliser au Chili, principalement dans leur conviction que la voie à suivre est l’impulsion d’une alternative révolutionnaire au XXIe siècle. Nous avons ressenti la même chose avec les camarades du Nouveau Parti Anticapitaliste en France, nous avons une similitude évidente dans le fait que nous avons intégré à nos axes de développement des thématiques sur lesquelles le travail a été entrepris depuis longtemps ici en Europe : écosocialisme, LGBT, féminisme et nouvel internationalisme. Il nous apparaît que la similitude est grande dans ces domaines mais que le travail a commencé depuis bien plus longtemps en Europe qu’en Amérique Latine. J’ai également rencontré des camarades de différentes organisations européennes telles que Syriza en Grèce, le Bloco de Esquerra au Portugal parmi de nombreuses autres…

Mais si nous devons faire une analyse comparative entre l’Amérique Latine et l’Europe, les choses sont terriblement différentes. Ce qui caractérise l’Amérique Latine aujourd’hui, c’est l’avancée de ses mouvements sociaux, exprimée au niveau institutionnel par les victoires électorales d’une large gauche. L’Europe a récemment vu l’exemple de Syriza, la coalition de la gauche radicale, dont le score a été particulièrement élevé dans les élections grecques, donnant certains espoirs et certaines illusions que la gauche radicale anticapitaliste européenne avance de la même manière dans ces domaines. Nous sommes également confrontés à une question objective, reliée à la crise européenne qui a touché le fond : nous voyons certains pays comme l’Espagne avec un chômage touchant 25 % des actifs, produit d’une crise générée par le capital et sa classe politique ; ce qui permet de voir avec une clarté supérieure qui sont les ennemis du peuple. Tout en reconnaissant les différences fondamentales de processus et de coutumes, nous nous unifions dans quelque chose qui a été antérieurement semé et qui est lié au fait qu’aujourd’hui existe une crise du capitalisme au niveau mondial à laquelle notre réponse doit être une alternative révolutionnaire et anticapitaliste au niveau mondial. Il n’est pas possible d’envisager la lutte du point de vue local national, pas plus que régional, en ce qui nous concerne au niveau latino-américain, notre réplique doit se répandre dans tous les domaines de la société mais d’un point de vue mondial. Il y a quelque chose qui s’applique également à mon bastion géographique de lutte : « si la révolution n’est pas mondiale, il n’y aura pas de révolution ». ■

Propos recueillis le 28 août 2012

Notes

[1] http://libresdelsur.cl

[2] Concertation démocratique. Coalition de centre-gauche, dominée par le PS, la démocratie-chrétienne et le Parti pour le démocratie (PPD). Formée en 1988. A a été au pouvoir après le retour de la démocratie, de 1990 à 2010.

[3] Le 27 février 2010, un tremblement de terre de magnitude 8,8 suivi d’un tsunami a fait 521 morts.

* Paru dans Inprecor n° 588-589 décembre 2012 sous le titre « Nous nous considérons comme partie prenante des luttes qui se déroulent dans tous les recoins du pays ». http://orta.dynalias.org/inprecor/

* Franck Gaudichaud est membre de la Commission Internationale du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA - France), membre du comité de rédaction de la revue Contretemps et du collectif éditorial du portail www.rebelion.org.

Traduit par Antoine Dequidt.

Marco Alvarez Vergara

Un des animateurs du mouvement étudiant chilien, est militant du Movimento Libres del Sur (Mouvement Libres du Sud) [1], une nouvelle formation anticapitaliste chilienne.

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