Édition du 26 mars 2024

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États-Unis

Le précipice fiscal : le plus grand mythe de l'affrontement Obama-oppositon républicaine

Juan Gonzalez pour DN : Jeudi, le Président Obama a rencontré pour la troisième fois M. J. Boehner le « speaker » de la Chambre des représentantEs pour tenter de négocier des moyens d’éviter le précipice fiscal. La Maison Blanche et les RépublicainEs du Congrès espèrent en arriver à une entente sur les dépenses avant que des hausses d’impôt et des coupes (automatiques) dans les dépenses n’entrent en vigueur en janvier prochain.

democracynow.org, 14 décembre 2012,

Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr,

Les unEs et les autres continuent de subir les critiques publiques même si les discussions se poursuivent en arrière scène. (…) Alors qu’il ne reste que deux semaines avant l’échéance, le Président insiste pour une augmentation immédiate du taux d’imposition des plus riches comme condition de la poursuite des négociations sur des changements au niveau des dépenses et aux programmes sociaux liés à des droits. Mais M. Boehner dit que les discussions sur les coupes dans les programmes de dépenses du gouvernement sont l’obstacle majeur à une entente et qu’il est urgent que la Maison Blanche identifie plus exactement les coupes (qu’elle acceptera).

Amy Goodman, DN : Pour discuter de ce qu’on appelle le « précipice fiscal », nous nous tournons vers Dean Baker, co-directeur du Center for Economic and Policy Research à Washington D.C.
Dean, soyez le bienvenu à Democracy Now ! Parlez-nous des mythes au sujet du précipice fiscal.

Dean Baker : Il y en a un nombre infini, mais que nous soyons face à quelque précipice que ce soit, est le premier et de loin le plus important. Vous voyez, il y a eu tous ces efforts, entre autre à Washington, pour mystifier l’échéance du 31 décembre. Mais dans les faits, si nous n’avons pas d’entente à ce moment-là il n’arrivera rien. Si nous arrivons au premier janvier sans entente nous allons faire face à une augmentation du taux d’imposition. Peu de gens seront payés le premier janvier. Si jamais une entente intervenait au cours des premières semaines de janvier, probablement que nous ne verrons aucun effet sur nos chèques de paye. Et même s’il y en avait, ça nous serait remboursé sur la paye suivante. Bien sûr que personne n’a envie de voir des déductions de plus sur son chèque de paye mais si vous devez être remboursé….Je suis bien conscient que ça va être plus dur pour certainEs mais l’effet sur l’économie va être bien minime.

Pour ce qui est des dépenses : le Président Obama a un énorme contrôle sur le tempo des dépenses. Et s’il y a une entente en vue avec le Congrès il ne fera qu’ajuster le rythme des dépenses en conséquence. Alors, l’idée que si nous n’arrivons pas à une entente avant la fin d’année, l’économie va s’effondrer, que nous allons vers la récession, est totalement malhonnête. J’ai entendu cela de multiples fois. Et la base de ce raisonnement repose sur l’idée qu’il n’y aurait pas d’entente durant toute l’année (2013). Le fait que vous n’ayez pas d’entente le 31 décembre 2012 ne veut pas dire que vous n’en aurez pas le 31 décembre 2013. Je pense que tous et toutes savent cela.

J.G. : (…) Jeudi, le sénateur républicain Jim DeMint de la Caroline du sud, a annoncé sa retraite et a prédit que le Président Obama allait gagner le débat sur les coupes dans le budget.

Sénateur DeMint : Je pense que le Président est en train de gagner sa campagne en faveur de la fin des baisses d’impôts de l’ère Bush. On n’augmentera pas seulement les impôts sur les plus hauts revenus ; tout le monde va payer plus l’an prochain dans ce pays. Et je pense que c’est ce que le Président cherche. Nous avons doublé les dépenses du gouvernement au cours des dix dernières années. Cette année, les revenus de la taxation, au taux actuel, vont probablement atteindre un niveau historique. Si nous examinons la réalité, nous n’avons pas besoin de plus de revenus ; nous n’avons qu’à cesser de dépenser.

J.G. : (…) Le sénateur DeMint est un leader du Tea Party. Il a annoncé sa retraite à titre de sénateur quatre ans avant la fin de son mandat. Il va devenir directeur de l’Heritage Foundation.

D.B. : Quelques mots sur cette déclaration. D’abord, (…) le Président a été très clair : il ne veut pas augmenter les impôts de tout le monde. Si demain, le Congrès se ralliait à ce que le Président demande : que l’actuel niveau d’impôt s’applique aux 98% des contribuables, il signerait immédiatement. Il l’a dit des centaines de fois. S’ils ne le croient pas, pourquoi n’adoptent-ils pas cette disposition et le mettent au défi ?

En deuxième lieu, ce que nous devons tous et toutes comprendre c’est que l’ampleur de l’actuel déficit est lié à notre désastre économique. Des gens, comme le Sénateur DeMint, se promènent en disant : « C’est un problème de dépenses, bla. bla.bla. ». Ils n’ont qu’à examiner les colonnes de chiffres. Jusqu’ici, nous n’avions pas de problèmes de dépenses. Nous n’avons pas dépensé à outrance. Le Congressionnal Budget Office a démontré que les déficits successifs de 2009 à 2012 n’ont jamais dépassé 1,5% du PIB. Nous connaissons la longueur de temps au cours de laquelle nous pouvons vivre avec ce niveau de déficit, et on peut le déclarer exactement : pour toujours. Le ratio entre la dette et le PIB est en baisse. La raison de la hausse explosive du déficit est très simple : le crash immobilier qui a provoqué l’effondrement de l’économie. En ce moment, les déficits supportent l’économie. Il y en a qui hurlent contre les grands déficits. Peut-être qu’ils-elles sont au courant (de l’explication que je viens de donner), peut-être pas. Ils et elles veulent ralentir la croissance économique, que le chômage augmente. Il se peut que l’objectif soit de mettre le secteur privé à genoux mais cela ne va pas développer la demande qui devrait venir du secteur privé que vous l’aimiez ou non. La réalité est donc que le déficit supporte l’économie en ce moment parce que le secteur privé s’est effondré. (…) Il se peut que l’on n’aime pas cela mais c’est la réalité.

A.G. : …plus tôt ce mois-ci, le Secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, a déclaré (sur les ondes de CNBC) que l’administration Obama était prête a faire face au premier janvier sans entente plutôt que de céder aux RépublicainEs qui demandent la poursuite des baisses d’impôts de l’époque Bush pour les contribuables les plus riches.

Secrétaire Geithner : « …Encore une fois, nous ne voyons pas de possibilité d’entente qui ne comporte pas la fin des baisses d’impôts des 2% les plus riches. Retenez qu’il ne s’agit que de 2%.

A.G. : (…) Dean Baker, qu’elle est l’importance de cette déclaration sur la hausse d’impôt pour les gens qui ont plus de 250,000$ de revenu par année ? Et jusqu’où l’administration Obama est-elle prête à aller dans les coupes à Medicare et Social Security en retour ?

D.B. : En premier lieu, je pense que la réponse à la première question est facile. D’une façon ou d’une autre, nous n’avons pas besoin de plus de revenus cette année ni l’année prochaine. Mais nous allons finir par en avoir besoin. Et si vous n’allez pas les chercher auprès du 2% le plus riche, vous allez devoir les prendre chez tous les autres. Ça tombe un peu sous les sens. (Ce 2%), a été le grand gagnant dans l’économie des trente dernières années sinon le seul. Alors, pour moi, cela tombe sous le sens. Et l’élection a porté là dessus, alors on ne devrait pas poursuivre ces débats.

Pour ce qui est de Medicare et Social Security, le Président Obama a déjà dit qu’il était prêt à y faire des coupes. Mais, si vous examinez les données concernant les personnes âgées vous vous rendez compte que la plupart ont tout juste la tête hors de l’eau. Le revenu médian de ceux et celles de 65 ans et plus est d’environ 19,800$. On peut difficilement dire que ce sont des riches. Mais on entend partout répéter que ces programmes sont en train d’exploser. On prévoit pourtant qu’il y aura peu d’augmentations significatives des dépenses de Social Security au cours des quatre prochaines décennies peut-être même au cours du prochain siècle. Le vrai problème est autour de Medicare et Medicaid et c’est un problème de soins de santé. Nous payons déjà plus du double de ce qui se paye dans d’autres pays riches, (Allemagne, Canada), pour nos soins. Il nous faut résoudre ce problème. Si nous le faisons, nous n’avons plus de problèmes budgétaires (dans ces programmes). Et nous pouvons le prouver ; nous avons les chiffres pour le faire. Alors, s’il y en a qui veulent discuter des moyens de résoudre nos problèmes de coûts de soin, il faut parler de restrictions des coûts. Mais ce ne sont pas Medicare ou Medicaid qui posent problème, c’est notre système de soins privatisé.

A.G. : Et comment corriger la situation ?

D.B. : Si nous réduisons les coûts nous sommes sortis du problème.
(…) Et nous avons eu une chance de le faire avec Affordable Care Acti. Il y a là quelques moyens de contrôle des coûts. J’espère que cela sera utile. Nous avons déjà eu une baisse sensible des coûts de soins au cours des dernières années. Il se peut que cela continue, mais peut-être pas. Bien sûr, nous voudrions arriver à un système universel sur le modèle de Medicare. Nous voyons ce qui ce passe au Canada et dans d’autres pays où ce genre de système existe. Là les coûts sont environ la moitié des nôtres et ils réussissent mieux que nous. Ici, c’est politiquement difficile d’arriver à ça ; la question porte sur le « comment ». Il y a eu une proposition qu’on a rejetée en la qualifiant de farce : que l’on autorise les personnes âgées bénéficiaires de Medicare à se faire soigner ailleurs (où les coûts sont moins élevés) pour ensuite partager les épargnes ainsi réalisées. En ce moment, je pense que c’est une bonne proposition. Ces personnes pourraient économiser beaucoup chaque année et le gouvernement économiserait aussi comme tout le monde dans cette histoire.

J.G. : Dean, je voudrais que vous nous parliez des négociations en cours. On en a rarement des informations précises. Mais le Président Obama a déclaré il y a quelques jours qu’il était prêt à envisager que l’âge de l’éligibilité à Medicare passe à 67 ans plutôt que 65. Selon vous, est-ce un recul dans la défense des programmes sociaux ? Je voudrais aussi vous entendre à propos de la taxe sur la masse salariale. Au cours des deux dernières années, on n’a prélevé que 4% d’impôt à la majorité des travaileurs-euses au titre des contributions à Social Security. Mais ce calcul va prendre fin le premier janvier. Est-ce qu’on discute vraiment de ce sujet ? Parce que cela veut dire une réduction sur la paye de la plupart des AméricainEs. Ce sera le retour des prélèvements à 6% qu’ils et elles assumaient antérieurement.

D.B. : Commençons par l’enjeu à Medicare. Je pense que faire passer l’âge d’admissibilité à 67 ans serait un recul majeur. Nous savons que les personnes touchées par cette mesure accuseraient une hausse substantielle de leurs dépenses. Les assurances maladies pour cette catégorie de la population sont dispendieuses. Les personnes de cette tranche d’âge ne sont pas toutes malades mais beaucoup ont une santé fragile. Le système privé de soins des États-Unis n’est pas favorable aux personnes âgées. C’est d’ailleurs pour cela que Medicare a été créé au point de départ. Donc ce sera une bien mauvaise mesure, un vrai recul. Mais j’ai entendu dire qu’elle était écartée des débats. Il y a beaucoup de pressions en ce sens. Ce n’est pas seulement une vraie mauvaise politique mais franchement, une très mauvaise politique. Tous les sondages le montrent.

Pour ce qui est de la fin de la baisse d’impôt sur la masse salariale : je regrette que ce soit toujours lié à Social Security. Il aurait été possible de faire passer cette taxe (de 4% à 6%) en augmentant de 2% l’impôt sur les salaires de 110,000$ et plus. Cela aurait rapporté autant et n’aurait aucun lien avec Social Security. J’aimerais tant qu’on ait procédé de cette façon. Nous avons besoin d’un stimulus. L’économie est très faible. Et, comme je l’ai déjà dit, le secteur privé ne génère pas la demande. On peut toujours examiner cela en détail mais l’essentiel est très simple : il n’y a pas de demande. Les RépublicainES ont beau hurler à propos des créateurs-trices d’emplois et ceci et cela, mais les gens d’affaire ne se précipitent pas dans les rues pour créer des emplois pour les gens que le gouvernement congédie. Ça n’a pas de sens. Alors, en ce moment, nous avons besoin d’un autre programme de stimuli de l’économie. Je déteste que cette augmentation de taxe s’applique sans qu’on ait de solution de rechange pour en annuler les effets. Il est clair que c’est un poids pour l’économie.

A.G. : Dean Baker, pourquoi les RépublicainEs ne s’attaquent-ils-elles pas aux énormes dépenses militaires (dans leur critique du « big government) ? Selon le site Salon, le Pentagone opérerait 234 terrains de golf autour du monde à un coût jamais dévoilé. Le Washington Post dit que le Pentagone dépense aussi un demi milliards de dollars chaque année pour des fanfares militaires. Qu’en est-il du Pentagone ?

D.B. : Vous savez, ce que j’ai toujours pensé de ce débat autour du trop gros gouvernement ; il est fou ! Il ne porte pas sur cela. Il porte sur les « bons amiEs ». Et ici, les meilleurEs amiEs des RépublicainEs sont les entreprises qui obtiennent des contrats du département de la défense. Il faut donc qu’ils et elles s’assurent de leur fidélité. Toute cette notion de gros ou moins gros gouvernement n’a pour ainsi dire aucun sens.

Je vais vous en donner un exemple simple. Nous dépensons autour de 300,000 milliards de dollars seulement pour les médicaments parce que le gouvernement protège les brevets des monopoles pharmaceutiques. On m’arrêtera, par exemple si je fabrique un médicament déjà produit par, disons Pfizers. Cette compagnie en détient tous les droits. Elle peut le vendre à n’importe quel prix. Si ces monopoles n’existaient pas nous économiserions environ 30 millions de dollars sur ces 300,000. (…) Quoiqu’on n’introduise pas cela dans le budget, le gouvernement exige que nous dépensions plus pour nos médicaments. Ça c’est vraiment le « gros gouvernement » mais les RépublicainEs n’en parlent jamais parce que les pharmaceutiques contribuent fortement à leurs campagnes. Donc, le débat ne porte pas sur la grosseur du gouvernement mais bien sur qui empoche l’argent.

A.G. : Nous vous remercions beaucoup, Dean Baker. (…)

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