Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

G7

« Les contestations sont revenues dans des cadres nationaux »

Interview avec Marcos Ancelovici, Professeur de sociologie des conflits sociaux à l’université de Québec à Montréal (UQAM). Marcos Ancelovici pointe les causes du reflux du mouvement altermondialiste québécois. (tiré du journal suisse, Le Courrier, www.lecourrier.ch.)

Quelle est la nature de la contestation du G7 au Québec ?

Marcos Ancelovici : Elle est diverse. A Montréal, elle s’appuie sur l’extrême gauche anticapitaliste, au sein du Réseau de résistance anti-G7 (RRAG7), dans une logique de démocratie directe autonome. A Québec, la mobilisation tourne autour du REPAC, un réseau d’organisations qu’on appelle ici « communautaires », actives dans la revendication et/ou l’aide sociales. Celles-ci peuvent également développer des discours radicaux mais plus prudents.

D’autres secteurs, comme les syndicats ou les étudiants, paraissent très en retrait. Comment l’expliquer ?

Marcos Ancelovici : Les syndicats, s’ils ne peuvent être absents d’un tel mouvement, n’en font pas une priorité. Leur agenda est plus terre à terre. Du côté étudiant, quelques groupes politisés, notamment en sciences humaines à Montréal, se mobilisent. Mais les campus ont l’air assez indifférents. Du moins du côté des organisations. Et comme ce ne sont pas les ONG qui mettent du monde dans la rue, ça laisse augurer une participation assez modeste. Cela dit, attendons de voir : les sociologues sont très mauvais à prédire les mobilisations !

Le Sommet des Amériques en 2001 avait pourtant mobilisé des dizaines de milliers de contestataires. Que s’est-il passé ?

Marcos Ancelovici : Cette rencontre arrivait dans une vague de transnationalisation des luttes, où les mobilisations – Seattle, Prague, Québec, Gênes – se répondaient les unes aux autres. Aujourd’hui les contestations sont revenues dans des cadres nationaux, voire régionaux, notamment sous l’effet de la crise financière de 2008 et des politiques d’austérité qui ont rendu plus aigus les problèmes sociaux immédiats. En se recentrant sur des sujets concrets, on a un peu perdu la vision englobante développée par les altermondialistes. A part la lutte contre l’évasion fiscale, les revendications internationales se sont estompées. Le thème de la mondialisation du commerce a presque disparu du débat public, au Québec comme ailleurs. Ainsi la montée des inégalités n’est plus associée aux mouvements financiers internationaux mais aux politiques gouvernementales d’austérité. Cela ne veut pas dire que les phénomènes transnationaux soient moins importants : c’est affaire de perception, de cadrage du débat. Et puis les questions de sécurité et de guerre sont devenues omniprésentes. Si le Sommet du G7 remplit les journaux, c’est uniquement en termes sécuritaires. Par sensationnalisme, on a réduit tout un mouvement social à cette seule dimension. Avec pour conséquence d’effrayer les gens qui pourraient être tentés de manifester. A la décharge des médias, relevons que le dispositif policier est tellement impressionnant qu’il suggère à lui seul l’avènement de graves violences.

Plus largement, la question sociale est peu présente en ce moment au Québec. Le « Printemps érable » (mouvement étudiant contre la hausse des taxes universitaires) et les luttes pour les services publics du début de la décennie n’ont-ils laissé aucun héritage ?

Marcos Ancelovici : La grève de 2012 a été le plus important mouvement social de l’histoire du Québec. Son héritage s’est pourtant rapidement dilué. En premier lieu car le Parti québécois [1], à peine victorieux des élections anticipées de septembre 2012, a lancé le projet de Charte des valeurs québécoises. Cela a eu pour effet de mettre le focus des politiques et des médias sur la laïcité, notamment, sur le port du voile. Les préoccupations identitaires ont occulté les questions d’éducation, d’avenir des services publics, de néolibéralisme, des inégalités que la grève avait fait surgir. En second lieu, le mouvement étudiant, pourtant victorieux, est entré en crise dès 2013. Des organisations ont disparu, d’autres sont moribondes. Cela dit, l’effet du Printemps érable est bien réel. Ses participants ont été profondément marqués par leur expérience, on les retrouve aujourd’hui dans les syndicats, les groupes communautaires et les partis de gauche comme Québec Solidaire.

Voit-on des signes d’une réaction face à cette invisibilisation de la question sociale ?

Marcos Ancelovici : Pas vraiment. Le débat identitaire a coupé de façon transversale la gauche québécoise. Une partie est hostile à toute intrusion du religieux dans l’espace public, tandis que l’autre se montre beaucoup plus lexible à l’égard de la présence d’autres cultures. A gauche aussi, la question du voile cristallise le conlit, en particulier son port au sein de la fonction publique. La tension est telle que le travail de mobilisation en est entravé et rend très dificile la constitution d’un front commun face au néolibéralisme.

PROPOS RECUEILLIS PAR BPZ


[1Parti souverainiste voire indépendantiste, le PQ était situé au centre-gauche dans les années 1970-1980. Bâtisseur de l’Etat social québécois, il s’est depuis fortement recentré.

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