Édition du 26 mars 2024

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Afrique

Les défis de la gauche égyptienne

La gauche égyptienne a devant elle un moment unique, un terrain nouveau dans lequel tout peut être possible. Dans des centaines d’entreprises réparties dans tout le pays, les travailleurs organisent des grèves dans lesquelles il n’y a pas seulement des revendications pour un salaire digne et un minimum de droits sociaux.

Dans plusieurs cas, ils ont ajouté l’exigence de la nationalisation des entreprises dans lesquelles ils travaillent et qui ont été privatisées il y a quelques années suite à la vague de « réformes économiques » de Moubarak, un euphémisme destiné à masquer la vente de compagnies nationales aux multinationales étrangères à un prix bien en dessous de leur valeur réelle. Et avec la bénédiction de Washington, du Fond Monétaire International et de la Banque mondiale.

Ces revendications de nationalisation ont été présentées devant les tribunaux. Les avocats qui défendent les ouvriers allèguent qu’il y a eu corruption dans ces ventes – les responsables des entreprises et du régime ayant été achetés pour fixer un prix de vente au rabais – et que les nouveaux propriétaires n’ont pas seulement renié leur engagement écrit de procéder à des investissements dans les usines, mais qu’ils ont même commencé à les démanteler, à vendre les terrains, dans le seul but de s’enrichir.

En plus de ces demandes de nationalisation d’entreprises, les travailleurs continuent à s’organiser massivement dans des syndicats indépendants et pour l’intégration de ces derniers dans une fédération de nouveaux syndicats libres. Il y a des cas absolument exemplaires, comme par exemple celui de l’Hôpital Mansheat El Bakry à Heliópolis, où les médecins et les infirmières et y compris les conducteurs d’ambulances se sont rassemblés dans un nouveau syndicats indépendant, ont expulsé le directeur, exigé de l’armée qu’elle poursuive en justice les cas de corruption et ont élus un nouveau directeur, un chrétien copte. Un bel exemple de la manière avec laquelle le sectarisme religieux est mis de côté par la lutte de classes.

Les défis sont nombreux. Depuis la chute de Moubarak jusqu’à aujourd’hui, il y a des centaines d’institutions, de représentants de gouvernements occidentaux et d’organisations non gouvernementales étrangères qui ont débarqué en Egypte dans l’intention de « conseiller » et de diriger les projets révolutionnaires des Egyptiens. « Si nous acceptons ces aides financières, nous seront les jouets d’intérêts étrangers » assurent les différents groupes de la gauche socialiste égyptienne.

Le principal débat qui occupe les esprits aujourd’hui tourne autour de la manière de s’organiser avec force sans devoir dépendre de l’intervention gouvernementale ou institutionnelle extérieure et, en conséquence, sans beaucoup de moyens financiers. La nouvelle loi électorale exige pour la création d’un parti un minimum de 5.000 membres – contre 1.500 nécessaires jusqu’à présent – répartis dans une bonne partie des différentes zones géographiques du pays. Chaque membre doit s’enregistrer et payer une petite contribution pour cela et tous doivent payer l’annonce de fondation du parti dans les pages d’un journal, ce qui coûte également de l’argent.

C’est entre autres pour cela qu’un secteur important de la gauche égyptienne ne concentre pas son attention sur les élections parlementaires de septembre ni dans les présidentielles de novembre vu que, si rien ne change d’ici là, il est probable que toutes deux bénéficient aux partis déjà existants sous la dictature – et qui comptent sur une structuration plus solide – ou qui ont plus de moyens financiers.

Une bonne partie des organisations révolutionnaires sont d’accord pour souligner que leur objectif principal est le travail sur le terrain, la construction de réseaux militants au travers des syndicats, des associations et des mouvements sociaux comme autant de plateformes à partir desquelles ont peut exiger et mettre sous pression le pouvoir. Autant de lieux à partir desquels faire progresser l’organisation, l’égalité et la justice sociale qui, ultérieurement, serviront de base pour la construction d’une nouvelle structure politique forte, pour atteindre un système politique, économique et social qui abolisse les pratiques de corruption et les inégalités actuelles.

Les incertitudes et les obstacles sont nombreux, mais il est indiscutable que ce qui est semé aujourd’hui dans le champ social égyptien donnera des fruits qu’il sera difficile de détruire.

L’auteure est journaliste et envoyée spéciale du journal « Público » au Caire

Article publié dans le journal « En lucha / En lluita » http://enlucha.org/site/?q=node/15997

Olga Rodríguez

Journaliste et envoyée spéciale du journal « Público » au Caire

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