Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Les impacts de l'austérité sur l'environnement du Québec

Avant-propos : tandis que le Printemps 2015 bat son plein, il y a un millier de sujets que je voudrais aborder... et je n’arrive pas à tout couvrir. Avant de retourner sur le terrain, je veux surtout souligner le courage de vous tous et toutes qui vous levez pour la justice sociale et environnementale à travers la province, c’est d’une beauté fracassante et le Réseau québécois des groupes écologistes [RQGE] est avec vous !

Ceci dit, il ne faudra pas oublier le paternalisme dégueulasse de "nos" élus, la violence éhontée d’une police militarisée, la cruauté généralisée des radios poubelles, la complicité des nouveaux conservateurs québécois et merde, l’introduction de la loi C-51, la répression politique dans les universités ! Ouah !

Faisons donc abstraction du champ de bataille un moment pour essayer de rappeler, au fond, les enjeux de l’austérité. À cet effet, les chercheurs de l’IRIS viennent de dévoiler une compilation des compressions budgétaires depuis le budget Leitao 2014. On voit l’ampleur des dégâts. Mais qu’en est-il pour l’environnement ?

L’austérité en environnement, ça ne date pas d’hier

D’abord, si on a entamé le débat de société sur l’austérité seulement au printemps dernier lors du dépôt du budget Leitao 2014, force est de constater qu’il n’y a vraiment rien de nouveau pour le secteur de l’environnement. J’argumentais dans un billet précédent que le ministère de l’Environnement et sa pierre angulaire, la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), ont été dépouillés à plusieurs reprises depuis les trente dernières années.

Le bal commence à l’entrée de Lucien Bouchard comme PM en 1996. Comme Couillard, il n’a pas peur des contorsions sémantiques. Le futur lobbyiste pétrolier parlait "d’assainir" les finances publiques. Ah bon, vraiment ?

Ce qu’on a vu, c’est des coups de sabre dans ses services sociaux (ex. santé, éducation) et des avantages fiscaux au secteur privé. Tous les gouvernements depuis ont maintenu la logique néolibérale. Ils sont responsables de la diminution des revenus de l’État québécois, notamment en baissant les impôts pour les particuliers et les entreprises et en refusant d’intervenir contre l’évasion fiscale.

Cette stratégie bien connue de la droite, Starve the Beast (affamer la "bête"), ne peut pas être plus claire : on baisse les revenus (taxes et impôts) et lorsqu’il y a un déficit, on joue les grands décideurs paternels en proclamant qu’il faut équilibrer le budget de la maisonnée. Il faut faire notre part, hein ? Se serrer la ceinture ? Possiblement autour du cou ?

Perte d’expertise, perte de contrôle

En environnement, on procède depuis plusieurs années à un démantèlement des mécanismes de suivi et de réglementation en matière de protection. Empruntant une page au livre du gouvernement Harper, les normes environnementales, et surtout notre capacité à les appliquer, sont menacées.

Juste durant cette année, on a coupé 100 postes au ministère de la Faune, dont plusieurs agents de la faune responsables du suivi d’espèces menacées et de contrer le braconnage. Attention, on était déjà en situation de manque flagrant de personnel pour couvrir l’immense territoire du Québec. Évidemment, lorsque le braconnage va reprendre, il n’y aura plus personne pour le rapporter alors... no news, good news !

Autre coupure : un million de moins pour le Forestier en chef. Notre "ombudsman de la forêt" constitué à la suite de la Commission Coulombe pour surveiller l’industrie forestière et intervenir en cas d’abus perd 15 personnes de son équipe. En tant que technologue forestier, je peux vous confirmer qu’il n’est pas simple d’aller chercher les données pour calculer la possibilité forestière (qui, en soit, est une façon sursimplifiée de considérer les écosystèmes du Québec, mais ça, c’est une autre histoire). Qu’à cela ne tienne, le Forestier en chef pourra toujours se fier uniquement aux chiffres des compagnies forestières à l’avenir. What could possibly go wrong ?

On coupe 5 millions de dollars au ministère du Développement durable, de l’Environnement et Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), qui passe à 148,5 M$, soit moins de 0,2% du budget total du gouvernement.

En parallèle, on annonce une "modernisation" de la LQE dans une perspective de "simplification et d’allègement réglementaire". Le ministre Heurtel nous assure que la révision ne va pas réduire les exigences environnementales, mais vous comprendrez pourquoi nous sommes sur la défensive. Ce n’est pas la première fois que la LQE est affaiblie et la tendance au gouvernement ne va que dans un sens : on passe d’une protection ferme et non négociable à une ligne abstraite de développement durable où chaque compagnie reçoit l’obligation morale de faire mieux, hors de toute conséquence ou restriction (voir la Loi sur le développement durable).

Les régions prises en otage

Pendant ce temps, le filet de sécurité sociale qui a fait la fierté du Québec depuis la Révolution tranquille commence à avoir de gros, gros trous. Les compressions récentes font particulièrement mal aux régions et communautés éloignées : on vient de couper 15 M$ à l’aide sociale, 300M$ aux municipalités, on abolit les Centres locaux de développement (CLD) et les Conférences régionales des élus (CRÉ), on coupe la quasi-totalité du financement de Solidarité rurale du Québec, 16.8M$ au programme RénoVillage, 9M$ au programme Alternative jeunesse... et j’en passe.

Le grand jeu de roulette russe continue et chacun-e se demande s’il sera le prochain à être éjecté. Considérant que le filet de sécurité sociale s’est aussi désagrégé, l’idée de perdre son emploi est effrayante. Il faut rentrer dans les rangs, baisser la tête, se taire si on ne veut pas y passer.

Les régions du Québec, qui avaient déjà été passablement abandonnées du temps de Charest, se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Sous ces conditions, il devient difficile de refuser des projets extractifs (miniers, pétroliers, énergétiques) débiles et destructeurs. Le gouvernement a coupé les vivres aux autres mécanismes d’autodétermination, aux leviers de prise en charge démocratique de la communauté. Et si votre communauté se lève pour maintenir sa dignité et son territoire, comme Ristigouche Sud-est, vous affrontez directement les compagnies et Québec vous abandonne.

Mais l’austérité, ce n’est pas pour tout le monde ! Pendant ce temps, on investit 425 M$ pour le Plan Nord, 1, 5 milliard pour la Stratégie maritime, près d’un milliard pour la cimenterie de Port-Daniel et la mine Arnaud. Mais quel est ce modèle de développement, sinon que du néocolonialisme pur et dur ? Couillard était on ne peut plus clair en campagne électorale en promettant qu’aucune job en forêt ne serait perdue à cause du caribou forestier. Parce que le caribou est une espèce protégée et que sa présence est un frein à l’industrie forestière. Alors c’est simple, fuck le caribou. En voilà, une logique.

Et merde, on n’a pas enterré Duplessis assez profond, il faut croire. Parce qu’en fin de compte, cette nouvelle époque d’austérité nous promet un grand retour en arrière : le démantèlement lent, mais certain du modèle de l’État providence pour un retour au "bon vieux temps" où la classe moyenne n’existait pas, il n’y avait pas de syndicats, les compagnies faisaient la Loi et les riches étaient comme des dieux sur terre, tous les autres pouvaient crever de froid, manger du charbon et aller se tuer à l’usine pour des miettes.

Nostalgie, quand tu nous tiens !

Le 24 avril, je lance mon roman : M9A : Il ne reste plus que les monstres aux éditions Sabotart.

Lancement le vendredi 24 avril 17:00 @ La Passe, 1214 de la Montagne, Montréal. Lien à l’événement Facebook (plus d’information sur www.brunomasse.com).

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