Édition du 26 mars 2024

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Rio+20

Les peuples du monde face à l’avancée du capitalisme : Rio +20 et au delà

Du 20 au 22 juin 2012, des gouvernements du monde entier vont se rassembler à Rio de Janeiro au Brésil dans le but de commémorer les 20 ans du « Sommet de la terre », la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement durable (CNUDD) qui, pour la première fois en 1992, établit un calendrier mondial pour le « développement durable ». C’est lors de ce sommet qu’ont été adoptées la Convention sur la Diversité biologique (CDB), la Convention des Nations Unies sur le Changement climatique (CNUCC) et la Convention sur la Lutte contre la Désertification. Chacune de ces conventions promettait de mettre en place un ensemble de mesures destinées à protéger la terre et la vie sur la planète tout en contribuant à la dignité de tous les êtres humains.

Document de positionnement de La Via Campesina

À cette époque, de nombreux mouvements sociaux avaient salué ces nouvelles conventions porteuses d’espoirs. Vingt ans plus tard, nous nous rendons compte que les causes réelles de la détérioration environnementale, économique et sociale n’ont pas été touchées. En outre, nous constatons avec une inquiétude profonde que cette prochaine réunion de juin renforcera les politiques néolibérales et les processus d’expansion capitaliste, de concentration et d’exclusion qui nous entraînent dans une crise environnementale, économique et sociale aux proportions démesurées. Sous le nom trompeur et mal intentionné d’ “économie verte”, de nouvelles formes de pollution et de destruction de l’environnement vont être annoncées ainsi que de nouvelles vagues de privatisation, de monopolisation et d’expulsion de nos terres et de nos territoires.

La Via Campesina va se mobiliser lors de cet événement et fera en­tendre la voix paysanne dans le débat mondial. Le mouvement international défendra une nouvelle voie de développement, fondée sur le bien-être de tous et toutes, une voie qui assure l’alimentation de chacun, qui protège les biens communs et les ressources naturelles, garantissant qu’ils servent au “bien vivre” de tous et toutes et non au désir d’accumulation d’une minorité.

20 ans plus tard : planète et humanité en crise

20 ans après le Sommet sur la Terre, la vie est devenue plus difficile pour la majorité de ses habitants et habi­antes. Le nombre de personnes souffrant de la faim approche maintenant du milliard, ce qui signifie qu’une personne sur six a faim, les enfants et les femmes paysannes étant les plus touchés. Les expulsions de nos terres et de nos territoires se sont accélérées. Elles ne sont pas seulement dues aux conditions désavantageuses imposées par les traités commerciaux et le secteur industriel, mais aussi à de nouvelles formes d’accaparements de la terre et de l’eau, à l’imposition mondiale de nouvelles législations sur la propriété intellectuelle qui nous volent nos semences, à l’invasion des semences transgéniques, à l’avancée des plantations de monocultures, des méga­projets d’infrastructure et d’extraction minière.

Les grandes promesses de Rio 92 se sont avérées vaines. La Convention sur la Diversité biologique n’a pas mis fin à la destruction de la biodiversité. Au contraire, elle a contribué à de nouveaux mécanismes destinés à la privatiser et à la convertir en marchandise. La désertification continue à avancer de pair avec l’agriculture industrielle et l’expansion de l’agro-industrie et des plantations de monocultures. Le réchauffement de notre planète – avec son cortège de désastres et la souffrance qui en découle — n’a pas été diminué, mais il s’est plutôt accéléré et aggravé.

La grande tromperie de 1992 a été le “développement durable”. Alors que les mouvements sociaux le voyaient comme une possibilité de traiter l’origine des problèmes, cela n’a finalement été qu’une recherche de nouvelles formes d’accumulation. Aujourd’hui il s’agit de légitimer ce qu’ils appellent “l’économie verte”.

“L’économie verte” et les autres fausses solutions : un nouvel assaut sur les peuples et les territoires

L’économie capitaliste a causé la plus grande crise systémique depuis 1929. Depuis 2008, le système hégémonique s’efforce de trouver des sorties à la crise structurelle, tout en recherchant de nouvelles possibilités d’accumulation dans la même logique.C’est dans ce contexte que le secteur financier s’est emparé des conventions sur la diversité biologique et le changement climatique et a dé­veloppé cette nouvelle ingénierie financière appelée Capitalisme vert.

Gouvernements, secteur industriel et organes onusiens ont passé les dernières années à construire le mythe de “l’économie verte” et du “verdissement de la technologie”. Présenté comme le point de rencontre entre la planète et le monde des affaires, il s’agit, en réalité, d’une nouvelle façon de faire avancer le capitalisme jusqu’à ce que toute la terre soit sous le contrôle du grand capital. De nombreux mécanismes sont mis en œuvre par cette économie verte qui, tous, nous entraînent vers davantage de destructions.

1. L’économie verte ne cherche à atténuer ni le changement climatique ni la détérioration de l’environnement mais bien plutôt à généraliser le principe donnant à ceux qui en ont les moyens le droit de polluer. Jusqu’à présent, on a utilisé le ridicule achat de bons carbone (compensation carbone) afin de pouvoir continuer à émettre des gaz à effets de serre. Maintenant ce sont des bons pour la biodiversité qu’on invente. Ce qui signifie que les entreprises pourront continuer à détruire les forêts et les écosystèmes dans la mesure où elles paient quelqu’un qui est supposé conserver la biodiversité ailleurs. Il est bien possible que de­main des bons pour l’eau, le paysage et l’air pur soient ainsi créés.

2. Ces systèmes de paiement en échange de services environnementaux aboutissent à l’expropriation des terres et des territoires des paysannes, paysans et des peuples autochtones. Les gouvernements et les entreprises donnent une forte impulsion aux mécanismes REDD et REDD+. Ils sont présentés comme des mécanismes qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre provenant du déboisement et de la dégradation des forêts. Mais en réalité, on les utilise pour imposer des projets qui empêcheront les familles et les communautés rurales d’accéder à leurs terres, leurs forêts et leurs sources d’eau en échange d’un paiement dérisoire. De plus, ces mécanismes garantissent au secteur industriel un accès sans restriction aux zones forestières communes, rendant possible des actes de biopiratage. Des contrats sont imposés liant les communautés paysannes à ces projets de développement pour 20 ans ou plus ; les terres autochtones et paysannes sont alors hypothéquées et risquent d’être saisies. L’objectif de ces services environnementaux est de prendre le contrôle des réserves naturelles et des territoires de nos communautés.

3. Une autre initiative de l’économie verte consiste à transformer les plantes, les algues et tous les déchets organiques (paille, fumier, etc.) en sources d’énergie afin de remplacer le pé­trole. Il s’agit de “l’utilisation de la biomasse”. Avec les agrocarburants, des millions d’hectares qui devraient être couverts de forêts ou produire des aliments, sont désormais consacrés à une production agricole qui alimente des machines. Si l’utilisation énergétique de la biomasse se développe nous constaterons que la vie maritime sera encore plus réduite car une partie importante des espèces marines ne trouvera plus à se nourrir. Nous constaterons que nos sols ne récupèrent plus la matière organique qui est indispensable à leur fertilité et à leur protection contre l’érosion et la sécheresse. Il deviendra ainsi impossible de nourrir nos animaux, les aliments devenant de plus en plus chers et rares. Les réserves aquifères s’épuiseront encore davantage soit à cause des cultures d’agrocarburants, soit que, par manque de matière organique, nos sols auront perdu la capacité d’absorber l’eau et de la retenir.

4. On nous parle maintenant d’une “agriculture intelligente pour le climat”, qui entraîne une nouvelle révolution verte –probablement avec des OGM– et qui nous pousse à accepter des paiements dérisoires sur la même base que les REDD au lieu d’exiger un soutien efficace pour nous défendre contre les effets du réchauffe­ment climatique. On cherche aussi à nous imposer des systèmes dépendant des pesticides, tel que le semis direct avec des pulvérisations aériennes de Round up : et c’est appelé une “agriculture faible en carbone” ! On va nous obliger à faire un certain type d’agriculture où nous risquons de perdre le contrôle de nos territoires, de nos écosystèmes et de notre eau.

5. L’un des aspects les plus pervers des fausses solutions promues lors des négociations internationales est la restriction de l’accès à l’eau. Prétextant la rareté de l’eau, il est proposé qu’elle soit réservée aux “cultures de grande valeur”, c’es-à-dire d’arroser uniquement les cultures d’exportation, les agrocarburants et autres cultures industrielles et non les cultures des­ti­nées à l’alimentation.

6. La promotion de solutions technologiques qui n’apportent aucune solution se trouvent aussi à l’ordre du jour des discussions de Rio. La géoingénierie et les cultures transgéniques sont parmi les plus dangereuses. Jusqu’à présent aucune des solutions proposées par la géoingénierie ne s’est avérée avérée capable de résoudre les problèmes climatiques. Bien au contraire, certaines formes de géoingénierie telle que la fertilisation des mers, sont si dangereuses qu’un moratoire international a été décrété. Dans le but de nous faire accepter les cultures transgéniques, on nous a dit qu’elles résistaient à la sécheresse et à la chaleur, mais la seule nouveauté des OGM est leur résistance aux herbicides ce qui crée un marché de produits très toxiques, comme le 2,4,-D.

7. Le projet le plus am­bitieux et celui que certains gouvernements identifient comme “le plus grand défi”, consiste à mettre un prix à tous les biens de la nature (l’eau, la biodiversité, le paysage, la forêt, les semences, la pluie…) dans le but de les privatiser (sous couvert que les conserver coûte cher). Et ensuite, nous faire payer leur utilisation. Cela s’appelle l’Économie des Écosystèmes et de la Biodiversité (TEEB The Economics of Ecosystems and Biodiversity en anglais). C’est l’assaut final contre la nature et la vie mais aussi, contre les moyens de subsistance et la vie des peuples qui vivent de l’agriculture, de la chasse et de la pêche

Ce capitalisme “vert” dirige sa convoitise vers les espaces ruraux communs, l’agriculture, la terre et l’eau. Nous en souffrons déjà les effets lors des accaparements de terre et de la privatisation de l’eau, des océans, des territoires indigènes, des parcs nationaux et des réserves naturelles. Tout cela va de pair avec les expulsions forcées des communautés paysannes et autochtones.

La solution réelle : placer les agricultures paysannes et autochtones au centre des politiques

Les communautés paysannes et autochtones vivent dans la plus grande pauvreté car leurs terres ont été volées. Des législations ont été créées pour les empêcher de cultiver et d’échanger librement leurs semences. Cependant, nous sommes des peuples qui résistons à l’expulsion et nous représentons encore 90% de la population rurale. Notre système agricole refroidit la planète, respecte les écosystèmes et assure l’alimentation des plus pauvres.

Toute solution réelle doit aller à l’encontre de la recherche effrénée de profit du capital, elle doit mettre fin à la complicité des gouvernements et soutenir les systèmes de production qui respectent la planète. La souveraineté alimentaire est au cœur de tout changement nécessaire, c’est la seule voie afin d’alimenter l’humanité. Nos propositions sont claires et apportent des solutions réelles :

1. Nous de­vons remplacer le système alimentaire industriel agro-exportateur par un système basé sur la souveraineté alimentaire qui rend à la terre sa fonction sociale de terre nourricière, donnant une place prépondérante à la production locale d’aliments, aux circuits de commercialisation et de transformation locaux. La souveraineté alimentaire permet d’en finir avec les monocultures et l’agro-industrie, de promouvoir un système de production paysan qui se caractérise par une plus grande productivité et intensité ; la création d’emplois, le respect des sols et une production saine et diversifiée. L’agriculture paysanne et autochtone est aussi celle qui peut refroidir la planète car elle peut éviter la production ou absorber jusqu’à 2/3 des gaz à effet de serre émis chaque année.

2. La terre qui est entre les mains de paysannes, de paysans ou de peuples autochtones représente environ 20% de la surface agricole mondiale. Cependant, sur ces terres, les familles et les communautés paysannes et autochtones produisent au moins la moitié de l’alimentation mondiale. Nous avons donc entre nos mains la forme la plus sure et la plus efficace d’éradiquer la faim dans le monde.

3. Pour nourrir l’humanité et restaurer la normalité climatique, l’agriculture doit retrouver sa place au sein des communautés paysannes et des peuples autochtones. Dans ce but, des reformes agraires intégrales de grande amplitude doivent être entreprise dans les plus brefs délais, afin de mettre fin à la concentration extrême et croissante de la terre qui affecte l’humanité. C’est grâce à ces réformes agraires que les conditions matérielles se­ront réunies pour que l’agriculture paysanne et autochtone remplisse la fonction nourricière pour l’humanité. Il est donc nécessaire d’arrêter immédiatement toutes transactions et concessions qui conduisent à des concentrations ou accaparements de terres ou à des déplacements de communautés rurales.

4. Les systèmes d’agriculture paysanne ou autochtone, de chasse, de pêche ou d’élevage qui protègent la terre et produisent l’alimentation doivent être soutenus de façon adéquate par des fonds et des moyens publics sans condition. Les mécanismes de marché – vente de carbone et de services environnementaux – doivent être an­nulés immédiatement et remplacés par des mesures réelles telles que celles mentionnées ci-dessus. Arrêter la pollution est un devoir auquel nul ne peut échapper en achetant des droits de continuer à détruire.

5. Ce que les organismes internationaux et le secteur industriel nomment biomasse doit légitimement servir à alimenter les êtres humains et retourner à la terre afin de restaurer sa fertilité. Les émissions provenant du gaspillage d’énergie doivent être réduites par des économies d’énergie et en arrêtant le pillage. Nous avons besoin de sources d’énergie renouvelables décentralisées, à la portée des peuples.


Mobilisons-nous tous afin de démasquer Rio+20 et le capitalisme vert

Nous paysans et paysannes, sans-terres, peuples autochtones, migrants et migrantes, nous opposons fermement à la marchandisation de la terre, de nos territoires, de l’eau, des semences, des aliments, de la nature et de la vie humaine, nous répétons ce qui a été dit au Sommet des Peuples de Cochabamba en Bolivie : “L’humanité est aujourd’hui à la croisée des chemins : poursuivre sur la voie du capitalisme, de la mise à sac et de la mort ou emprunter le chemin de l’harmonie avec la nature et du res­ de la vie.”

Nous répudions et dénonçons “l’économie verte”, elle n’est qu’une façade qui cache la convoitise du secteur industriel et de l’impérialisme agroalimentaire dans le monde.C’est une couche de peinture verte sur le capitalisme qui n’impose que de fausses solutions : le commerce du carbone, le mécanisme REDD, la géoingénierie, les OGM, les agrocarburants, le biochar et toutes les solutions à la crise de l’environnement basées sur le marché.

Notre défi est de retrouver d’autres types de relations avec la na­ture et entre les peuples. C’est notre de­voir et notre droit et voilà pourquoi nous continuons à lutter sans trêve pour la construction de la souveraineté alimentaire, pour la réforme agraire intégrale et la récupération des territoires autochtones, pour mettre fin à la violence du capital et pour la restitution des systèmes paysans et autochtones basés sur l’agroécologie.

NON AUX FAUSSES SOLUTIONS DU CAPITALISME VERT

POUR L’AGRICULTURE PAYSANNE !

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