Édition du 26 mars 2024

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Élections fédérales 2015

Mulcair et les pipelines : ménager la chèvre pétrolière et le chou climatique

La possibilité réelle d’une prise du pouvoir par le NPD au parlement fédéral remet sur les rails la lutte contre les changements climatiques et les projets associés aux sables bitumineux. En fait, la complicité du gouvernement Harper avec cette industrie la plus pollueuse au pays est tellement odieuse qu’une majorité souhaite l’élection d’un gouvernement social-démocrate pour inverser la tendance. Mais le NPD est-il cet outil capable de faire écho aux luttes citoyennes à Ottawa ? Ses récentes prises de position et ses silences sur les projets de pipelines nous portent à en douter...

Relatée par Le Devoir du 10 août, la scène est révélatrice : Thomas Mulcair rabroue la prise de position de la candidate NPD dans la circonscription de Toronto centre Linda McQuaig. L’auteure et journaliste a affirmé vendredi dernier au cours d’une discussion télévisée sur les ondes de CBC qu’ « une grande quantité de sables bitumineux pourrait devoir rester sous terre » si le Canada souhaitait atteindre ses objectifs en matière de changements climatiques.

La députée conservatrice sortante de Calgary-Centre-Nord, Michelle Rempel, elle aussi sur le panel de la CBC, a alors accusé le NPD de proposer un moratoire sur l’exploitation des sables bitumineux. Elle a ajouté qu’une telle situation allait provoquer des pertes d’emplois dans un contexte d’instabilité du secteur pétrolier.

Dans les heures qui ont suivi son intervention télévisée, Linda McQuaig a voulu « clarifier » sa position sur Twitter. « La politique du NDP est le développement durable, supervisé par un rigoureux processus d’évaluation environnementale, lequel a été détruit par Harper », a-t-elle publié sur le réseau social vendredi après-midi. Elle s’est rangée sur la position officielle du NPD. Oui au pétrole mais dans un cadre de développement durable appuyé sur des études crédibles et la consultation populaire, et transformé au Canada.

Par la suite, la première ministre de l’Alberta Rachel Notley et élue sous la bannière NPD a été claire : sa porte-parole Cheryl Oates, a assuré que la position du NPD provincial sur les sables bitumineux demeure la même. « Nous nous sommes toujours engagés à assurer la viabilité de l’industrie énergétique, qui fournit de bons emplois bien rémunérés, et rien n’a changé », a résumé Mme Oates.

Le NPD défend deux orientations incompatibles. On ne peut lutter contre les changements climatiques tout en développant la filière des énergies fossiles.

Développer un pétrole « durable » ?

La position du NPD à propos des projets de pipelines au Canada s’appuie sur une approche « nationaliste canadien » : si de bons emplois peuvent être générés par cette industrie, le NPD l’appuiera. Le problème avec les sables bitumineux se situerait au niveau des études et consultations populaires que le gouvernement Harper a tout simplement sabotées de façon à paver la route pour l’industrie pétrolière canadienne. Le NPD remettra sur les rails les processus de consultation de la population et donnera toutes les latitudes nécessaires aux chercheurs et scientifiques pour dresser une image réaliste de la situation de l’exploitation des sables bitumineux. À ce titre, le programme adopté en 2011 est clair : « Le NPD s’engage à reconnaître que le pétrole et le gaz continueront d’occuper un rôle prépondérant à moyen terme. C’est pourquoi le NPD découragera l’exportation de masse de nos ressources non-transformées, tout en encourageant les industries qui créent des emplois dans différents secteurs, comme la pétrochimie ou les raffineries, ici au Canada, pour maximiser les avantages économiques et les emplois pour les Canadiens. »

On tente ici de ménager la chèvre et le chou en s’engageant à instaurer une politique de transition énergétique s’appuyant sur les énergies renouvelables tout en maintenant et développant une industrie d’extraction des sables bitumineux dorénavant « durable » et s’appuyant sur des études environnementales « crédibles ». Or pour le mouvement écologiste, une telle attitude va à l’encontre des recommandations du GIEC : selon un des plus récent rapport de l’organisme, « éviter le pire impliquerait (...) d’opérer rapidement un virage sans précédent dans l’histoire de l’économie mondiale.

Selon les scientifiques, il faudrait réduire les émissions mondiales de 40 à 70 % d’ici 2050 (par rapport à 2010) et les faire complètement disparaître en 2100. À titre de comparaison, (on prévoit que) les émissions de GES du Canada (vont) au contraire poursuivre leur croissance marquée, en raison de l’exploitation pétrolière. » Selon le GIEC, il faut donc que les producteurs de pétrole au Moyen-Orient renoncent à exploiter près de 40 % de leurs réserves pétrolières et la Chine, les États-Unis et la Russie, l’essentiel de leur charbon. À l’échelle de la planète, il faudrait même refuser d’exploiter un tiers des réserves pétrolières, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % du charbon. Et ce jusqu’en 2050.

C’est essentiellement ce que Linda McQuaig a affirmé lors de son intervention à la CBC. Mais face aux profits en jeu, les pressions des milieux financiers et du lobby des énergies fossiles confrontent la direction du NPD qui ne possède plus la culture politique pour imposer un agenda politique alternatif à ces intérêts. Un NPD au pouvoir risque d’abandonner ces ambitions "vertes" pour poursuivre la politique d’appui à l’industrie. Pas de façon aussi odieuse que les conservateurs mais suffisamment pour ne pas provoquer une mobilisation des intérêts des énergies fossiles qui possèdent plus d’un trucs dans leur sac pour manipuler des gouvernements qui ne suivent pas au doigt et à l’oeil leur stratégie.

Deux poids, deux mesures

Pourtant, au sujet du projet Northern Gateway vers Kitimat, Mulcair déclarait en août 2014 : « ... la côte nord de la Colombie-Britannique n’est pas pour les superpétroliers... » [et il serait] « absolument fou de permettre à des superpétroliers transportant du bitume brut d’emprunter cet étroit passage ». Il ajoutait que la route prévue pour exporter du pétrole vers l’Asie « n’a aucun sens » Ce qui est bon pour la Colombie-Britannique ne le serait pas pour le Québec. (La côte nord de la C.-B. n’est pas pour les superpétroliers, estime Mulcair », La Presse du 19 août 2014)

La société québécoise a exprimé un net refus de voir l’industrie du gaz de schiste s’implanter dans la vallée du St-Laurent. Les mobilisations récentes tendent à démontrer que le même refus s’adresse aux projets de Trans Canada (pipeline Energie est) et Enbridge (inversion de la canalisation 9B entre Sarnia et Montréal). Le transport par train est de plus en plus suspect depuis la catastrophe de Lac-Mégantic et la multiplication de pétroliers sur le fleuve demeure une solution rejetée par une majorité de québécoisEs. Les résidentEs des Îles-de-la-Madeleine refusent le développement d’Old Harry. Un regroupement de pêcheurs a récemment réclamé l’arrêt des travaux en vue d’une exploitation dans le golfe.

Le NPD a manifesté son opposition aux projets des conservateurs au Québec en soulignant que ces derniers avaient vicié le processus d’acceptabilité sociale de l’exploitation de la ressource en court-circuitant les processus de consultation publique, en muselant les chercheurs scientifiques et en orientant le développement économique du Canada sur l’exportation des ressources. Une politique d’exploitation du pétrole des sables bitumineux qui serait acceptée par une majorité de canadienNEs, s’appuyant sur des études scientifiques et générant des retombées économiques en terme de création d’entreprises et d’emplois représenterait une approche tout à fait acceptable pour le NPD. Dans ce sens, le passage de pipelines au Québec pour acheminer le pétrole vers les ports des maritimes afin d’en faire l’exportation sans transformation préalable devrait être vue comme inutile. Pourtant non. Le NPD maintient son appui aux projets de pipelines.

Manifester notre opposition

Les personnes bien informées savent que plusieurs éluEs québécois du NPD s’opposent au projet de Trans Canada. Mais ces prises de position demeurent « officieuses ». Personne n’ose aller devant la population et prendre position sur le sujet et de cette façon, mettre au défi la haute direction du NPD pour adopter une réelle politique de lutte aux changements climatiques qui comporte des attaques au principe de la propriété privée des moyens de production. La social-démocratie a depuis longtemps cessé de menacer l’entreprise privée d’intervenir dans « ses affaires ».

Le NPD tente de s’appuyer sur la frange la plus « nationaliste canadienne » de l’industrie afin de lui faire prendre le virage vers davantage de transformations au Canada et une production tournée avant tout vers les besoins domestiques. Gérer à la fois les aspirations au maintien des emplois de qualité en Alberta et les nécessaires mesures à la lutte aux changements climatiques ne peut se faire que lorsque l’on conjugue la lutte contre les entreprises émettrices de gaz à effet de serre (GES) et la lutte contre un système, le capitalisme, à la base de cette course effrénée au profit immédiat, au consumérisme et au maintien des énergies sales, quitte à empirer la situation. Le NPD n’a pas la culture de résistance nécessaire pour tourner le dos aux chants des sirènes du lobby pétrolier. Il sera confronté à deux réalités irréconciliables : les intérêts de l’économie extractiviste ou la nécessaire sortie du pétrole dans un horizon de quelques décennies. Pas besoin d’études supplémentaires pour arriver à cette conclusion. Il suffit de consulter les conclusions du GIEC.

La social-démocratie a depuis longtemps abandonné l’idée d’une transformation systémique de la société capitaliste pour, une fois installée au pouvoir, adopter plutôt une politique tout ce qu’il y a de plus compatible avec les intérêts des entreprises du grand capital. À ce titre, le NPD, dont la prise du pouvoir devient de plus en plus une possibilité réelle, doit être l’objet de pressions populaires partout au Canada, au Québec (projet Energie est) et dans les provinces maritimes (projet Belledune) en particulier, afin de le faire reculer sur ces projets. Comme les opérations d’hier alors que des manifestantEs ont interrompu le lancement de son autobiographie afin d’amener Mulcair à se prononcer contre les projets de pipelines. De cette façon, ça ne coulera pas chez nous.

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