Édition du 26 mars 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

#Ni Una Menos #Vivas Nos Queremos : Comment s’est tissé l’appel à la Grève Internationale de Femmes ?

tiré de : entre les lignes et les mots 2017 12 18 mars

Le 19 octobre dernier, l’appel à une grève de femmes lancé depuis l’Argentine pour dénoncer le féminicide de Lucia Perez, une jeune femme de 16 ans violée et morte après avoir été empalée, est parvenu à faire le lien entre les violences machistes et les modes de violence et de précarisation au travail, économiques, sociales et territoriales, et à les dénoncer comme autant de nouveaux traits d’une « pédagogie de la cruauté » exercée sur le corps des femmes (aux échos coloniaux indéniables).

Publié le 12 mars 2017

Ce féminicide avait eu lieu au lendemain de la clôture de la 31ème rencontre nationale des Femmes1 à Rosario (Argentine), à laquelle avaient participé pas moins de soixante-dix milles femmes, réalisant une manifestation dans la ville s’étendant sur plus de 4 km. Les médias n’en firent pourtant mention qu’en raison de la répression en fin de cortège. En ce même début du mois d’octobre 2016, en Pologne, des femmes avaient appelé à une grève nationale contre les tentatives de modification de la législation visant à restreindre encore plus l’accès à l’avortement légal.

C’est suite à la grève des femmes du 19 octobre et à la constitution d’une alliance de femmes dans plusieurs endroits du monde, qu’a été lancé l’appel à une grève internationale de femmes le 8 mars.

Les précédentes manifestations massives contre les féminicides sous la consigne #Niunamenos, ayant eu lieu le 3 juin 2015 et en 2016 avaient montré une forte capacité de mobilisation et avaient permis de tisser une coordination entre différents pays d’Amérique Latine.

La grève du 19 octobre a été la première grève de femmes dans l’histoire de l’Argentine et de l’Amérique Latine. L’appel consistait à arrêter le travail pendant une heure, dans tous les espaces possibles : au travail, à l’école, au lycée, à l’université, à la maison, dans le quartier, etc. La manifestation qui s’en est suivie a été réellement énorme : plus de 250 000 personnes à Buenos Aires, et de nombreuses autres manifestations dans tous les pays (#NosotrasParamos). En même temps, le reste de l’Amérique Latine avait très rapidement repris cet appel à la grève2.

Utiliser un outil tel que la grève a permis de mettre à jour la trame économique de la violence patriarcale. Elle fut également l’occasion d’une énorme démonstration de puissance, qui nous éloignait de la place de victimes pour nous situer comme sujets politiques et productrices de valeur. Nous avons également complexifié la catégorie de travailleuses, en mettant en évidence que le travail est également domestique, informel, et qu’il inclut aussi les formes d’associations autogérées. La consigne #Niunamenos avait déjà été reprise dans plusieurs pays d’Amérique Latine auparavant, et le 19 octobre est devenu un jour où se sont multipliées un peu partout des manifestations reprenant l’appel de l’Argentine et formulant pour chaque pays des revendications afin de faire face aux violences patriarcales.

L’organisation d’assemblées, d’actions publiques et autres manifestations pour le 25 novembre (à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes, rendez-vous incontournable dans l’agenda du mouvement) a accéléré un travail de connexion transversale entre de nombreux pays, débordant les initiatives ayant d’habitude lieu ce jour-là.

Nous avons vu une nouvelle géographie se dessiner, reliant Ciudad Juarez à Moscou, Guayaquil à Varsovie et San Pablo, Rome à San Salvador de Jujuy. Le tissu local et global a produit un nouveau type d’internationalisme visible sur les réseaux et dans les rues. Une nouvelle pratique de l’internationalisme féministe.

Il existe une coordination à travers Facebook de l’initiative de grève internationale de femmes (PIM), animée par un groupe de femmes de Pologne et rejointe par des militantes de plusieurs pays d’Europe et d’autres régions du monde. En plus de la création d’un site internet, le groupe facebook faisait également circuler une proposition de pétition aux Nations-Unies et un manifeste.

Le 23 janvier, nous lancions depuis #Ni Una Menos un appel différent de la pétition aux Nations-Unies et du manifeste. Il nous semble que le manifeste doit être nourri des situations et des luttes concrètes, et les relier à une autre question : comment construisons-nous une dynamique qui exige des changements systémiques et qui combatte le modèle néolibéral, néoconservateur, raciste et patriarcal dominant ? Nous considérons que nous nous trouvons dans un processus d’accumulation d’un nouveau type, dans lequel les luttes résonnent et travaillent ensemble, en puisant leur force de leur intersectionnalité.

La Women´s March du 21 janvier dernier aux Etats-Unis contribue à ce cycle où émerge une nouvelle forme de féminisme : le mouvement de femmes, trans, migrantes, défie l’imposition de nouvelles formes d’exploitation capitalistes. Après cette marche, ses organisatrices ont également appelé à s’unir au 8 mars.

Nous faisons le pari qu’au-delà de la coordination virtuelle, il faut un tissage patient, au corps à corps et dans la rue. Nous ouvrons des espaces de discussions et nous travaillons quotidiennement à la construction de réseaux avec tous les pays d’Amérique Latine et du reste du monde.

Le 3 février, lors d’une assemblée ouverte et hétérogène, tous les courants des mouvements de femmes argentins sont tombés d’accord : il fallait demander aux syndicats de soutenir la grève de femmes3. Cet appel à la grève vise justement à interroger la question du travail et à le faire dans une perspective féministe : nous ne nous adressons pas seulement aux travailleuses salariées et employées, nous appelons plus largement à inscrire notre critique, nos revendications et notre grève dans un cadre qui lutte pleinement contre la précarisation de nos existences et la criminalisation de notre autonomie.

Nous croyons que la multiplicité d’appels à la grève internationale de femmes le 8 mars prochain sera d’autant plus puissante qu’elle mettra en lumière une longue lignée de luttes populaires et de mouvement de femmes, d’une manière renouvelée, en proposant ici et maintenant le monde dans lequel nous voulons vivre, et en reliant de manière située les trajectoires et les luttes de chaque territoire.

#Ni Una Menos #Vivas Nos Queremos

Cet article a été publié le 17 février 2017 sur le site Lobo Suelto

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