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France

Débat

Ni césarisme présidentiel, ni sectarisme populiste

Pour une Assemblée plurielle contre le fait présidentiel (Extrait)

29 mai 2017 | tiré de mediapart.fr

Pas d’unité sans pluralisme, insistait cet auteur, sans reconnaissance et respect de la contradiction : « Le pluralisme ne pacifie pas seulement : il libère aussi… À la place de la politique qui vise à écraser les autres, je plaide pour la politique qui écoute, qui accepte le pluralisme des opinions, qui l’accepte et même qui le recherche. » L’auteur de ces lignes, tirées de Résolution française (Éditions de l’Observatoire, 2017), n’est autre que François Bayrou, aujourd’hui ministre d’État et garde des Sceaux dans le premier gouvernement de la présidence Macron.

L’hégémonie d’une « majorité présidentielle » sûre d’elle-même et dominatrice en serait le démenti radical. D’autant plus que sa composition renouvelée ne porte en elle-même aucune garantie de plus-value démocratique, tant la culture institutionnelle de la Cinquième République invite aux majorités moutonnières, obéissantes et suivistes. Pis, ce zèle des convertis propre aux nouveaux venus en politique peut aussi bien renforcer son incapacité à se dresser face au pouvoir exécutif.

Mais, de même qu’il nous oblige à refuser le chèque en blanc d’une majorité absolue, cet impératif démocratique nous invite aussi à rejeter le sectarisme d’une opposition unique. Comme en miroir de la volonté hégémonique de La République en marche, portée par le fait présidentiel, la gauche, dans sa diversité, est aujourd’hui confrontée au désir hégémonique de La France insoumise, portée par le score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour.

Alors même que, pour la première fois, les thématiques démocratiques (la Sixième République), sociales (le refus de la loi sur le travail), écologiques (la transition environnementale), européennes (la démocratisation de l’UE) unissent toutes les gauches, partisanes ou sociétales, qui se sont opposées ou ont rompu avec le quinquennat Hollande incarné par Valls, jamais la division et la dispersion n’ont dominé à ce point. Maître du jeu au soir du premier tour, Jean-Luc Mélenchon, à l’inverse de son modèle François Mitterrand dans les années 1970, alors champion de l’union pour reconstruire la gauche, s’est refusé à tout dialogue, à toute convergence, à tout rassemblement. 

L’engagement de refondation démocratique ne saurait se limiter à la proclamation virtuelle d’une nouvelle République pour les calendes grecques. Il se vérifie d’abord par la pratique démocratique elle-même, ici et maintenant, qui suppose respect des partenaires, écoute des différences, souci des convergences, refus des insultes et des diabolisations, des exclusions et des exclusives. Comment comprendre que des candidatures de La France insoumise soient systématiquement opposées à des candidats de rassemblement et d’union qui ont incarné la résistance aux renoncements du quinquennat Hollande ? C’est, par exemple, le cas à Paris de Caroline de Haas, militante associative qui fut à la pointe du combat contre la loi sur le travail et d’autres initiatives citoyennes ; à Besançon de Barbara Romagnan, frondeuse socialiste entêtée, restée fidèle aux engagements pris en 2012 devant les électeurs ; à Grenoble des candidats soutenus par le maire écologiste, Éric Piolle, dont la majorité inclut le Parti de gauche, alors même qu’il avait appelé à voter Mélenchon au premier tour.

Allié objectif du césarisme présidentiel, ce sectarisme populiste risque fort d’amplifier la défaite de la gauche après qu’elle a été éjectée du second tour de la présidentielle. Car jamais la gauche, dans sa pluralité, n’a été aussi minoritaire et aussi fragile, situation que le plaisir morbide des différences et des divisions ne peut qu’accroître. En 2002, malgré son élimination au premier tour, la gauche totalisait avec ses cinq candidats 32,45 % des suffrages exprimés, total qui montait jusqu’à 42,89 % avec les trois candidats d’extrême gauche. En 2017, les scores additionnés de toutes les gauches ne dépassent pas 27,67 % des exprimés, un des étiages historiquement les plus bas.

Croire, dans un contexte si défavorable, qu’une seule force pourrait solitairement relever le défi de l’opposition, ce n’est pas seulement s’illusionner, c’est aggraver les blessures portées à la gauche par le quinquennat Hollande, notamment sous le gouvernement Valls. Toute l’histoire de la gauche est tissée de diversité, forte de courants pluralistes, riche de tendances multiples. Et chaque fois qu’une force politique a prétendu en faire table rase à son profit, se proclamant seule propriétaire de l’orthodoxie programmatique, l’échec et la désillusion ont été au rendez-vous final.

En France, sous ses divers atours selon les circonstances historiques, des Napoléon Ier et III à Charles de Gaulle, le bonapartisme a toujours été la ruse politique des classes dominantes pour préserver l’essentiel, leurs intérêts, quitte à les obliger à faire taire leurs querelles. Son habileté, d’autant plus grande que son maître d’œuvre est averti ou expérimenté, a toujours été de parier sur la division des forces se réclamant de l’émancipation. C’est bien pourquoi il nous faut espérer que ces élections législatives donnent la main aux représentant-e-s les plus divers d’une opposition intelligente, rassemblée sur l’essentiel, sans sectarisme aucun, engagée au plus près des réalités quotidiennes et des espérances concrètes, ne se payant pas de mots et ne se grisant pas de colères.

« On ne peut ni ne doit tout attendre d’un homme » et l’élection présidentielle « n’apportera pas plus qu’auparavant le démiurge »… Refonder l’action politique, sa légitimité et son efficacité, suppose donc de la penser au-delà du « spasme présidentiel », « loin du pouvoir charismatique et de la crispation césariste de la rencontre entre un homme et son peuple ». Autrement dit d’échapper à ce temps court de l’élection, où « la vie politique s’écrase » sous le poids du « présidentialisme », pour mieux retrouver le temps long de la « délibération permanente », cette « double vertu du parlementarisme et de la démocratie sociale que notre République a encore trop souvent tendance à négliger ».
L’auteur de ces lignes, parues en 2011 dans la revue Esprit, n’est autre qu’Emmanuel Macron, désormais bénéficiaire de ce présidentialisme qu’il critiquait hier. Par-delà son propre revirement, elles expriment parfaitement l’enjeu de ces élections législatives : imposer la vitalité d’un Parlement pluraliste au rêve hégémonique du pouvoir présidentiel.

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