Édition du 16 avril 2024

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Environnement

Oléoducs : Les conditions élémentaires d’acceptabilité sociale.

Seuls des gestes concrets illustrant la bonne foi d’une entreprise peuvent prouver la sincérité d’un promoteur. Cette affirmation est particulièrement vraie pour des projets comportant d’importants risques sanitaires et environnementaux comme les canalisations d’hydrocarbures. Les entreprises Enbridge et TransCanada ne semblent pas l’avoir compris.

Enbridge semble avoir été capable d’éviter un processus environnemental rigoureux. L’entreprise de l’Ouest fait déjà circuler des dizaines de milliers de litres à l’heure de pétrole brut dilué par des chimiques, sous le fleuve dans une vieille canalisation. Comble de l’arrogance, elle a su éviter de faire la totalité des tests hydrostatiques demandés sur sa canalisation. Un bien mauvais départ pour cette industrie en mal d’appuis.

Transcanada et son projet Énergie Est a su éviter un Bureau formel d’audience publique sur l’environnement. L’entreprise participe maintenant contre son gré à une simple consultation non décisionnelle, payée entièrement par les contribuables québécois. Elle évite les procédures normales d’évaluation imposées aux grands projets à impact environnemental important au Québec. Les dirigeants se justifient en insistant sur la juridiction exclusive du fédéral sur leur industrie, soit de l’Office nationale de l’Énergie. Rien pour gagner la confiance des contribuables.

Des gestes pour gagner la confiance.

Déjà, simplement sous l’angle des communications, l’approche est douteuse. A ce jour, seuls des gestes concrets pourraient sauver la donne pour ces constructeurs d’oléoducs. Ces projets qui visent essentiellement à alimenter les méga raffineries de classe mondiale qui ont soif de millions de barils de pétrole brut par jour nécessitent une acceptation des populations. Mais comment faire ?

Il est facile d’identifier des gestes simples et concrets qui peuvent être posés par ces entrepreneurs. La crainte des citoyens semble celle de voir les profits empochés par les promoteurs, et les dépenses de sécurité assumées par l’État québécois. Ces craintes semblent de plus en plus justifiées.

Les récents travaux de l’École Polytechnique sur les meilleures pratiques pour franchir les cours d’eau ont précisément indiqué la voie à suivre. L’étude affirme que sous les rivières à grand débit, les canalisations devraient passer sous les cours d’eau dans des tunnels. L’eau est isolée du pétrole, et cette pratique permettrait une inspection visuelle des canalisations. Isoler le flot de bitume des eaux de rivières. L’idée ici est de protéger la source principale d’eau potable des québécois, une eau d’une qualité exceptionnelle. Garantir la protection de l’eau de fleuve Saint-Laurent, il y aurait ici un point de départ pour gagner la confiance, générer un minimum d’acceptabilité sociale.

Rappelons que les deux traverses du fleuve pour le projet Transcanada se situent en amont des puises d’eau des villes de Montréal et de Québec. Simplement autour de l’île de Montréal elles constituent un risque important pour près d’une trentaine de puises d’eau alimentant des millions de personnes. Les promoteurs pétroliers, surtout l’entreprise Enbridge devraient de toute urgence se mobiliser pour construire des réservoirs d’eau brute protégés et oxygénés. Toutes les usines d’eau municipales s’approvisionnant de rivières et du fleuve qui pourraient être touchées par une fuite de leur canalisation devraient isoler un volume d’eau répondant à un mois de consommation. Autrement, ces travaux importants devront rapidement être assumés par les municipalités du Québec. Ces travaux déjà prioritaires avec la menaçante ligne 9B, deviendront urgents si le projet Énergie-Est est autorisé. Ces réservoirs similaires à celui construit à Granby, ont pour but d’éviter la contamination de la chaîne de traitement, et d’offrir une marge de manœuvre de plusieurs semaines aux municipalités advenant la nécessité de fermeture des puises d’eau. Il est à peine croyable qu’une telle exigence n’ait pas déjà été imposée au promoteur de la canalisation 9B, Enbridge.

Capacité de détection et de traitement

Il est impensable de maintenir la situation actuelle. Les municipalités du Québec sont incapables de détecter une contamination aux hydrocarbures dans leur réseau et encore moins de caractériser le type de toxines qu’elle implique. Nos municipalités dépendent présentement du sens civique des promoteurs, de la divulgation volontaire d’incidents par les entreprises pétrolières. Elles sont incapables d’assurer seules l’innocuité de leur eau et de leur source d’approvisionnement en eau potable. Des laboratoires d’analyse chromatographique en phase gazeuse devront-ils se multiplier sur le territoire québécois ? Les villes devront-elles dorénavant s’appuyer sur des équipes de chimistes pour échantillonner adéquatement, et analyser quotidiennement la présence de produits pétroliers dans l’eau puisée aux rivières à risque, et au fleuve ? Une telle réalité est bien présente en Europe. Qui paiera la facture ? Les promoteurs ? Les municipalités ?

Les barrières de traitement de toutes les usines de purification des eaux vulnérables devraient être améliorées. Elles devraient toutes être munies d’une étape d’ozonisation en pré-traitement, capable de réduire l’impact d’une contamination pétrolière. Cette étape d’oxydation chimique devrait être suivie d’une étape supplémentaire de dosage de charbon activé capable de capter par adsorption les dérivés complexes d’oxydation. Des produits organiques complexes font partie de la dégradation du pétrole. Ces étapes de traitement combinées à une amélioration des étapes de clarification par l’ajout de processus de décantation par tubulures pourraient atténuer les dangers de contamination des réseaux de distribution et des étapes de filtration des eaux.

Nombre de précautions élémentaires.

Rappelons qu’on parle ici de mesures de précautions élémentaires qui doivent présentement faire partie des priorités des municipalités. Rappelons que la ville de Lévis est située 80 km en aval de la municipalité de Lac-Mégantic. Suite à l’accident ferroviaire, les autorités ont dû fermer l’approvisionnement en eau brute de la rivière Chaudière pendant près de deux mois. Pourtant l’accident tragique n’avait déversé que 100 000 litres d’essence dans le cours d’eau. La ligne 9B d’Enbridge fait présentement circuler une soupe de plus de 10 000 litre de brut bitumineux lourd à la minute. Le scénario de Transcanada semble envisager une fuite de 3,6 millions de litres. On parle ici de désastre déversant une soupe toxique à moins de 25 kilomètres des puises d’eau du grand Montréal. Pouvez-vous imaginer un tel désastre ? Ce scénario sous la glace en hiver ?

Les 4 millions investis par la ville de Lévis pour faire face au désastre ferroviaire ont été payés par l’État Québécois. Ni le transporteur ferroviaire, ni le raffineur Irving auquel le pétrole était destiné ne se sont bousculés pour payer la note. Ces millions n’ont pas suffi, un autre montant équivalent a dû être investi par la municipalité de Lévis pour la construction d’une conduite alternative d’eau brute à partir de la rivière Beaurivage. Un tel ouvrage a été jugé nécessaire afin d’éviter d’être à nouveau exposés à une telle situation de crise. La ville a dû en quelques jours rendre fonctionnelle une nouvelle source d’approvisionnement pour près de 50 000 citoyens. Les travaux de construction de cet approvisionnement alternatif payés par les contribuables se poursuivent à ce jour, trois ans après le désastre. Est-ce la voie que doivent maintenant envisager nos villes ? Il y a matière à réflexion !

Capacité de détection 2

Finalement, une autre barrière de détection devra être mise en place. Les villes devront faire des prélèvements réguliers, déjà nécessaires avant les barrières de traitement de l’eau potable, dans les réservoirs d’eau traités. Les complexes carboniques des hydrocarbures, en se décomposant risquent de produire une diversité de radicaux libres très réactifs. Toute une gamme de toxines pourraient être générés dans le processus de traitement d’une eau contaminée aux hydrocarbures. Certaines toxines solubles pourraient se frayer un chemin dans l’eau traitée, même après les barrières de filtration. L’innocuité de l’eau après les barrières de traitement devra être inévitablement confirmée par des tests chimiques complexes effectués sur une base régulière. Actuellement pratiquement aucun opérateur d’usine et pratiquement aucun technicien n’ont les compétences nécessaires, les équipements ou les connaissances pour effectuer de telles tâches. Suite à la mise en fonction de la canalisation 9B, le Ministère de l’éducation doit revoir maintenant et de toute urgence les programmes de formation des spécialistes de l’eau. Peu de gens réalisent le genre de précautions que nécessite la production de l’eau potable.

En ce sens, il est intéressant de se référer au mémoire de la ville de Laval, une municipalité particulièrement vulnérable aux projets d’oléoducs, et qui semble poser les bonnes questions. Dans son mémoire sur le projet d’oléoduc de Transcanada, la ville décrit parfaitement la menace nouvelle que constitue le tout nouveau facteur pétrolier pour la qualité de l’eau du fleuve :

« Selon les dernières informations de la société TransCanada, l’oléoduc pourrait traverser la rivière des Outaouais près du village de Pointe-Fortune. Un déversement majeur à cet endroit pourrait contaminer la rivière des Outaouais, rejoindre le lac des Deux-Montagnes et ainsi contaminer les rivières des Mille Îles et des Prairies où sont situées toutes les prises d’eau potable de la Ville de Laval.

La catastrophe de Lac-Mégantic a démontré que la Ville de Lévis, une municipalité pourtant située très en aval sur la rivière Chaudière, a dû investir massivement dans des mesures temporaires pour alimenter sa population en eau potable, en raison de la présence de traces d’hydrocarbure détectées dans son eau brute. »

Et plus loin, le mémoire des spécialistes de la municipalité détaille la situation :

« Ainsi, un déversement de pétrole dans la rivière des Outaouais pourrait priver d’eau l’ensemble des Lavallois pour une durée indéterminée. De surcroît, tout le système de traitement d’eau potable incluant le système de distribution pourrait être affecté si les eaux captées par les prises d’eau étaient contaminées aux hydrocarbures. Ce scénario est très envisageable dans le cas d’une fuite non détectée. Le nettoyage des infrastructures de traitement et de distribution d’eau potable pourrait alors être long, difficile et onéreux. »

Mais, où sont nos dirigeants ?

Pour l’instant ce que les contribuables doivent retenir, c’est que la fonction numéro 1 de leur municipalité est de protéger les sources d’eau brute. Si les sources et les puises d’eau sont menacées par de nouveaux contaminants, les municipalités doivent préventivement s’équiper pour être en mesure de faire face à ces nouveaux contaminants. Elles n’ont pas le choix : l’eau est parmi les raisons principales pour lesquelles le citoyen paie ses taxes. L’eau est essentielle à la vie, et est la plus importante composante d’une approche préventive en santé publique.

La ligne Enbridge 9B menace déjà la qualité des eaux du Fleuve. Aucune des usines de traitement qui s’y approvisionnent n’est en mesure de détecter, d’identifier, de se protéger, de traiter minimalement et d’approvisionner en eau potable la population en cas de contamination pétrolière. Ce sont des millions qui doivent immédiatement être investis par les municipalités du Québec. On doit se demander où étaient nos dirigeants municipaux au moment de l’autorisation de l’inversion de la ligne Enbridge 9B ? Pourquoi les élus n’ont-ils pas été informés adéquatement des dangers par leurs spécialistes ?

Bref, les promoteurs pétroliers ont l’embarras du choix quant aux mesures qui peuvent être prises pour démontrer aux citoyens et aux autorités publiques qu’ils se comportent en citoyens corporatifs responsables. La voie des gestes concrets est la seule voie qui pourra conduire cette industrie vers une acceptabilité sociale.

Pour le moment, les québécois ont le profond sentiment que les promoteurs tentent de leur faire avaler une couleuvre ; et que la facture « Eau » sera encore refilée aux municipalités. C’est ce que vient tout juste de faire la corporation Enbridge. Le promoteur Transcanada semble avoir choisi la même voie.

Normand Beaudet
Blainville
Étudiant en traitement des eaux.

Normand Beaudet

L’auteur est fondateur du Centre de ressources sur la non-violence et
propriétaire d’une entreprise de consultation en informatique.

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